Je me souviens qu’on était en plein déménagement de belle-maman. Alors que plusieurs s’affairaient à transporter des boîtes, j’avais la tâche d’installer les électroménagers et tous les petits détails d’installation. Me voilà monté sur un escabeau, les mains dans les fils, une marrette dans la bouche en train d’installer un ventilateur au plafond sous le regard un peu incrédule d’un déménageur qui reprenait son souffle et qui me lance d’un ton réducteur : Coup donc es-tu électricien toi?
Le temps de recracher mes marrettes dans les mains et je lui réponds : Non! Je suis agriculteur. Je suis capable de faire n’importe quoi! On n’est pas en usine sur une ferme. Quand ça brise, faut trouver une solution rapidement parce qu’une ferme ça roule sept sur sept. Donc on se débrouille du mieux qu’on peut quand ce n’est pas possible d’avoir une ressource disponible assez rapidement. En dedans de moi, j’étais particulièrement fier de lui avoir fermé le clapet! Il avait plutôt une vision caricaturale des agriculteurs.
Ça m’amène à me questionner sur la valeur de mon travail. Combien ça vaut? Combien ça coûterait si on devait se contenter de faire notre tâche principale et de tout faire exécuter le reste par des gens qui ont « les cartes de compétence ». Coût d’attente, ajoutons les coûts des taux d’heures supplémentaires, tarif congé férié, tarif week-end, tarif nuit…
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Rien à dire et tout à faire
Sur une ferme, je me retrouve opérateur, responsable des commandes et des facturations, opérateur, mécanicien, etc. Et quand arrive une période intense, les tâches se bousculent.
Les règles de sécurité sont aussi plus élastiques sur une ferme. Quand j’ai eu mes problèmes de dos, j’ai recommencé à travailler en souliers de course parce que je n’étais pas capable de tolérer mes bottes de travail. L’assurance s’est empressée d’arrêter mes compensations, alors que si j’avais travaillé en usine, on n’aurait jamais accepté mon retour au travail sans équipements de protection adéquats.
Je pourrais défiler plein d’exemples, mais l’important, c’est d’essayer d’évaluer le prix que j’ai payé sans trop le savoir en prenant des risques, en reprenant le travail plus rapidement que prévu par le médecin, en allongeant mes heures de travail parce que je considère que je n’ai pas le temps d’attendre. D’être disponible sept jours sur sept pour faire feu dès que la température idéale se pointe. Faire exploser nos heures de travail en haut de 100 heures par semaine dans les périodes intenses. J’imagine que c’est encore pire pour ceux qui possèdent des élevages. Tout ça pour l’efficacité de la ferme, la fierté du travail bien fait, la passion du métier. Mais nourrir nos gens à faible prix a un certain prix humain bien caché à payer. Profession agriculteur.