Nous sommes à la mi-octobre. Sur la grande plaine argileuse de Normandin, au nord du Lac-Saint-Jean, beaucoup de champs sont encore complètement verts. Ici, la production laitière est reine et, pour nourrir les vaches, quoi de mieux que des cultures pérennes.
Voir l’entrevue avec Guillaume Paradis de Ferme Marlise en vidéo à la fin de l’article
Pendant que le camion à lait vide le réservoir que ses quelque 58 vaches à la traite ont rempli, Guillaume Paradis nous amène dans un champ près de l’étable. Le mélange fourrager implanté au printemps savoure le soleil d’automne.
Sous la luzerne et le trèfle, on trouve des fétuques et du dactyle. À certains endroits, on repère des restants du seigle d’automne qui a été récolté le 28 mai. Et il ne faut pas chercher loin pour trouver des tiges de l’herbe du Soudan qui a poussé ici pendant l’été.
Ce champ a connu son dernier labour il y a quatre ans. Depuis, ce sont les vers de terre qui effectuent le travail. Il suffit d’un seul coup de pelle pour trouver un «gros bétail». À la Ferme Marlise, les vers de terre sont gras. Mais ils ne sont pas paresseux, si on se fie à la quantité de matière végétale qu’ils décomposent en la tirant dans le sol.
Il y a cinq ans, Guillaume Paradis a entrepris une conversion complète au semis direct. Il cultive presque uniquement des fourrages. Pas de maïs. Il peut lui arriver de faire battre son orge, mais sinon, tout se retrouve en balles rondes d’ensilage. «J’ai envisagé la culture biologique, confie le producteur. Ce qui m’a bloqué, c’est le travail de sol. Je me suis posé la question : le moindre mal, pour moi, est-ce le labour et la perturbation des sols ou l’utilisation de glyphosate?»
Le Saint-Graal, ce serait une régie bio sans labour, dit-il. Pas évident! «On peut facilement enlever la charrue, mais le glyphosate, ça fait des petits miracles. Et ceux qui labourent (en régie conventionnelle) l’utilisent quand même.»
Seigle, herbe du Soudan, trèfles et luzernes: une RTM en plein champ
Sa rotation sans maïs et sans travail de sol est en constante évolution. Elle se fonde sur un mélange fourrager qui comprend de l’herbe du Soudan. Cette annuelle est fauchée deux fois au cours de l’été de l’implantation. Ce même été, les plantes pérennes s’établissent telles des intercalaires. Elles profitent du soleil après chaque coupe d’herbe du Soudan, puis tout au long de l’automne. «Je n’ai rien inventé, dit Guillaume Paradis. C’est la compagnie Bélisle qui m’a amené ça du Centre-du-Québec.»
Son mélange de semences fourragères et sa régie sans labour lui ont été proposés par l’agronome Lionel Létourneau, de Bélisle Solution – Nutrition. L’herbe du Soudan procure un bon volume et une bonne valeur alimentaire dès l’année d’implantation. Par la suite, les trèfles, les luzernes, les fétuques et le dactyle offrent une véritable «RTM en plein champ».
Pendant les deux ou trois années suivant celle de l’implantation, il y aura un bel équilibre entre les graminées et les légumineuses, fait valoir Lionel Létourneau. «On obtient des coupes égales et on a une bonne stabilité à l’étable.» Pour une régie sans maïs-ensilage, c’est idéal. Chez Guillaume Paradis, il suffit d’ajouter un petit volume de maïs-grain, de soya et de minéraux à la ration. Les vaches procurent un très bon rendement en lait fourrager.
«Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, si tous les producteurs laitiers faisaient des mélanges comme ceux qu’on propose, ils n’auraient pas besoin d’ensilage de maïs, affirme Lionel Létourneau. Pour les frais que ça engendre et la qualité obtenue, il ne devrait pas se faire de maïs-ensilage dans cette région.»
Les représentants de Bélisle prônent la culture de fourrages en semis direct, sachant bien que plusieurs producteurs ne sont pas prêts à abandonner le travail du sol. «En Beauce, des producteurs ont adopté le semis direct pour prévenir l’érosion sur des terres en pente le long de la rivière Chaudière», illustre Lionel Létourneau. D’autres ont choisi cette avenue pour cesser de faire remonter des roches à la surface.
Des terres jamais à nu
Si Guillaume Paradis se contentait de cultiver l’ensemble des 120 hectares de la ferme avec ce mélanger fourrager, il risquerait de se retrouver avec trop d’aliments pour ses vaches. C’est pour ça qu’après quatre ans de prairies, il se donne le choix de faire une ou deux années avec du seigle, une deuxième année d’herbe du Soudan combinée à du trèfle rouge bisannuel ou même de l’orge, récoltée en ensilage ou pour le grain. «Avec une régie comme ça, sans monoculture, mes terres sont en feu», affirme notre producteur laitier.
Les sols ne sont jamais à nu. Au printemps, les cultures détruites forment encore une «couenne» qui donne à manger aux vers de terre, protège la porosité du sol et freine les mauvaises herbes. Une bonne implantation de la prochaine culture contribuera aussi à donner très peu d’espace aux plantes indésirables.
Cette régie en semis direct sans maïs permet à la Ferme Marlise de fonctionner avec un minimum d’équipement aratoire. Deux tracteurs (80 et 100 forces), un semoir et une faucheuse composent l’essentiel du parc de machinerie.
Pour prévenir la compaction, Guillaume Paradis ne met que six balles de foin sur chacune des trois voitures qu’il utilise pour ramener sa récolte se faire emballer à la ferme. Dans son réservoir de lisier de 3400 gallons, il ne met jamais plus de 3000 gallons.
Guillaume Paradis a toujours des projets plein la tête. Sa ferme ayant la capacité d’accueillir un plus gros troupeau, il propose de la partager avec un autre producteur laitier, qui reste à trouver. Devant ses vaches attachées, il prépare l’installation d’un convoyeur qui leur acheminera leur alimentation, comme cela existe en Europe.
Derrière l’étable, sous un toit rond de tôle, son fumier solide s’accumule sur une pente bétonnée qui dirige la portion liquide dans une fosse. Des essais sont en cours avec le Couvoir Scott pour donner son fumier à manger à des larves de mouches. Après l’élevage de vaches et de vers de terre, l’élevage d’insectes!
La rotation de cultures à la Ferme Marlise
An 1
Récolte d’ensilage de seigle vers le 28 mai. Application de glyphosate. Vers le 1er juin, implantation en semis direct d’un mélange fourrager comprenant de l’herbe du Soudan qui servira de plante abri.
Deux coupes d’ensilage d’herbe du Soudan grainée.
An 2 et 3
Trois coupes et récolte du mélange fourrager (luzernes, trèfles, fétuques et dactyle) en ensilage de balles rondes.
An 4
Deux coupes du mélange fourrager, suivi de sa destruction au glyphosate. Implantation de seigle d’automne en semis direct vers le 20 août.
An 5
Récolte d’ensilage de seigle vers le 28 mai. Application de glyphosate. Semis d’orge vers le 5 juin. Battage de l’orge humide vers le 18 août. Semis direct de seigle le 20 août.
Ferme Marlise en bref
Lieu: Normandin, Lac-Saint-Jean.
Quota: 72 kg de quota laitier.
Troupeau: 58 vaches en lactation
Superficie: 120 hectares en cultures.
Particularité: semis direct uniquement, sans maïs dans la rotation.
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