Des sols minces et généralement rocailleux. Des vallons et des collines. Marcel Bisson a des terres typiques de l’Estrie, quoi ! Il multiplie les actions depuis 35 ans pour les améliorer.
L’agronome qui nous a proposé de rencontrer Marcel Bisson a lancé?: « C’est un producteur qui est soucieux de l’état de ses sols depuis longtemps. Il a réussi à accomplir des petits miracles. Il y a de la côte en masse puisqu’il se trouve dans les restants des Appalaches. Et les sols dans la région, c’est rien que du 4, du 5, du 6 et même du 7 ! »
S’il l’avait entendu, Marcel Bisson n’aurait sans doute pas été entièrement d’accord avec ces propos. Même s’il connaît mieux que quiconque les contraintes qu’imposent ses terres, le producteur de Saint-Claude, une municipalité située un peu à l’est de Windsor, en Estrie, leur trouve des qualités. « Ce sont des sols peu profonds, mais ce sont des sols qui, bien drainés, donnent de bons rendements. Comme un peu partout ailleurs, je pense. »
Peu profonds ? Le producteur de lait n’a pas eu de misère à le démontrer quand nous sommes allés enfoncer une pelle au milieu d’un champ. À une dizaine de centimètres de profondeur, après avoir extrait une couche de tourbe et de la terre de texture loam sableux, la pelle a frappé le dur. Le producteur a extirpé une première roche. Nouveau coup de pelle, nouveau grincement du métal sur la roche. Au bout de quelques-unes, on s’est arrêté. La démonstration était bien assez concluante.
Le matin de notre visite, Marcel Bisson sortait son imposant semoir pour effectuer un semis direct de blé. Le semis direct, il le pratique autant qu’il le peut. Pour le blé d’automne et le soya après le maïs-ensilage, notamment. « Je ne laboure pas parce que je ne veux pas sortir la roche qu’il y a en-dessous », lance-t-il. Il a adopté cette pratique à la fin des années 1990.
Il y a une deuxième raison : il veut limiter l’érosion hydrique. « En fait, c’est à cause des risques d’érosion que j’ai adopté le semis direct, raconte-t-il. L’érosion hydrique, c’est un des pires problèmes qu’on affronte. Le risque d’érosion, il est partout maintenant ! D’ailleurs, ça se comprend. Autrefois, on avait des petits champs. On a rempli les fossés et on a nivelé. On est rendu avec des champs qui font jusqu’à 3000 pieds. »
Au point de vue topographie, ses 450 hectares en culture en offrent pour tous les goûts. Certains champs présentent une belle pente douce et régulière. Dans d’autres champs, il est clair que des ravins se creuseront dès la première pluie si le sol est laissé à nu. « Des pentes à 4 ou 5 %, on en a en masse », lance-t-il. Au moment de notre visite, c’était visible dans une terre que le producteur venait d’acquérir et qu’il était en train de remettre en culture. Il a suffi des quelques jours où le sol a été laissé à nu pour que l’érosion fasse ses ravages. Déprimant de voir le sol partir ainsi quand on sait qu’il faudra des années pour le rebâtir.
L’art de corriger une baissière
Qui dit vallons dit baissières. C’est là un autre défi qu’affronte Marcel Bisson. Corriger une baissière s’apparente à un exercice d’équilibriste. D’expliquer le producteur : « Les baissières, on essaie de s’arranger pour les vider, mais en même temps, si on les dégage trop, elles vont nous faire un ravin au bout. Il faut ôter de la terre pour que ça se vide, mais il ne faut pas en ôter trop non plus. »
« Inversement, poursuit-il, on peut vouloir remplir les baissières. Des fois, on va aller chercher de la terre sur un « button ». Mais il ne faut pas trop en enlever parce qu’il n’y en a pas épais, de la terre. C’est arrivé des fois qu’on en ôte trop. C’est long à ramener. »
« Ce qui va le mieux pour ramener ça, c’est des prairies, ajoute celui qui exploite 250 hectares de prairies qu’il conserve entre quatre ou cinq ans, selon ses besoins en fourrages. C’est un remède qui sauve beaucoup de terres. » Précisons que les 200 hectares restants se partagent presque également entre le soya, le blé d’automne et le maïs. « Je peux me permettre d’avoir une rotation aussi longue parce que mon premier revenu, c’est la production de lait, dit celui qui exploite un troupeau de 185 vaches en lactation. C’est peut-être ce qui explique que ma matière organique se tient en haut de 5 % et parfois même de 6 et de 7 %, ce que j’estime très bon. »
À ses propos, on se doute que le producteur a investi pas mal d’énergie dans le nivelage. « J’ai commencé à en faire dès 1994, raconte-t-il. Les premières années, on faisait de 200 à 300 heures de nivelage par année. Ensuite, ça a ralenti, puis on a acheté plusieurs terres voisines qu’on a renippées à notre goût. Maintenant, bien des fois, je le fais faire parce que je n’ai pratiquement plus le temps, mais on en fait au moins une centaine d’heures par année. Les champs qui ont une pente régulière sont pas mal terminés, mais on a un problème d’assiette à certaines places parce qu’on ne veut pas casser la pente. »
Indispensable, le drainage
À l’écouter, on devine aussi que Marcel Bisson a investi beaucoup d’énergie également dans le drainage. De fait, il confirme que toutes ses terres sont drainées. On aurait tort de croire que, comme il s’agit de loam sableux et qu’il y a une pente plus ou moins prononcée à peu près partout, ses terres se drainent bien naturellement. « Pour moi, le drainage, c’est un élément essentiel pour faire une agriculture rentable, du moins dans notre coin de pays », estime-t-il.
Pour le démontrer, il nous amène sur un plateau où il a semé du blé d’automne quelques jours avant. L’opération y a laissé des traces profondes. « J’ai drainé les deux côtés du plateau parce que comme ils sont plus bas, ils avaient tendance à se tenir humides, décrit-il. Mais le plateau lui-même, je n’ai jamais eu besoin de le drainer. Jusqu’à cette année avec l’été pluvieux qu’on a eu. Quand je suis arrivé sur le plateau, j’ai eu peur de me prendre ! »
« Je pensais n’avoir jamais besoin de drainer ce plateau, mais je pense qu’il va l’être l’année prochaine », ajoute-t-il avec un demi-sourire.

Le drainage, d’ailleurs, va rester au cœur des projets du producteur dans les prochaines années. « J’ai quelques terres qui ont été drainées dans les années 90 avec un espacement de 60 pieds, décrit-il. En plus, il y avait là-dedans des drains de trois pouces. On pense intercaler des drains. Ça se peut aussi qu’on refasse le système de drainage au complet. »
Un autre des projets de Marcel Bisson, à plus long terme celui-là, c’est d’adopter les applications à taux variable. Avec une telle topographie, on peut comprendre le producteur de vouloir prendre en compte la variabilité de ses sols dans ses applications d’intrants. « On voit bien les variations sur les cartes de rendement que produit l’entrepreneur qui fait nos battages, rapporte-t-il. Au moment où l’on se parle, on a fait de l’échantillonnage de sol géolocalisé dans trois champs et on y a ensuite fait des applications de chaux à taux variable. J’ai l’intention de faire le tour de mes champs tranquillement. »
Ferme L’Espoir
Propriétaires : Marcel Bisson et Johanne Carrier.
Municipalité : Saint-Claude, en Estrie.
Troupeau : 185 vaches en lactation.
Cultures : 450 hectares de prairies légumineuses-graminées, de maïs-ensilage, de maïs-grain humide, de maïs-grain sec, de soya et de blé d’automne.
Particularités : topographie accidentée, sols peu profonds et prairies.