Grandes cultures et production de foin. Cultures de couverture et semis direct. Élevages de taures et réception de fumier. À la Ferme Roger Beauchemin, toutes les pratiques contribuent à améliorer les sols, même après la vente du quota laitier. Voir l’entrevue en vidéo à la fin de cet article.
Nous sommes le 2 juillet. Yanick Beauchemin a quelque chose à nous montrer : du soya semé le 30 mai, dans des conditions très spéciales.
Après deux minutes sur un chemin de ferme, le Gator s’arrête sur un plateau au bas de la longue colline qui traverse plusieurs des champs de la ferme. À travers un épais paillis se dressent les rangs de jeunes plants de soya d’« un beau vert John Deere ».
L’automne dernier, au lendemain d’une récolte de maïs-ensilage, Yanick Beauchemin a semé du seigle. Sur ces huit hectares, il prévoyait cultiver du soya cette année. Le printemps a été difficile, de sorte que le soya n’a été semé qu’au 30 mai.
Le seigle était alors en début d’épiaison, atteignant plus 30 cm de hauteur. « J’ai mis le planteur dedans, raconte le producteur. On ne le voyait même pas, tellement le seigle était haut. J’étais en Autotrac. Si j’avais utilisé des marqueurs, je n’aurais pas pu les voir. »
Les tasse-résidus en mode « flottant » ont fait leur travail, ouvrant une bande pour y semer le soya en semis direct. Le 3 juin, le seigle a reçu une dose de glyphosate. Le 7 juin, un coup de rouleau Brillion. Le seigle ne s’est jamais relevé. Couché au sol, il empêche l’émergence des mauvaises herbes et l’érosion hydrique. Le soya se porte à merveille.
« Le système racinaire du soya emprunte les chemins faits par les racines du seigle », affirme Yanick Beauchemin. Le seigle est mort, mais sa présence stimule la vie dans le sol, souligne-t-il. En ce lendemain de pluie, pas de chance. Les vers de terre se cachent. Mais leurs trous sont faciles à trouver, dans des agrégats d’argile bien structurés.
Agronome et producteur
Cette expérience réussie de soya sur seigle roulé illustre parfaitement la quête d’excellence que mène Yanick Beauchemin sur la terre familiale de Sainte-Monique, au Centre-du-Québec, tout en étant agronome conseiller auprès de 38 producteurs membres du Club Yamasol.
Quand son père Roger est décédé en 1999, il n’avait que 24 ans. Son frère Michael en avait 22. Ensemble, ils ont fait prospérer la ferme jusqu’au départ de Michael en 2017. Le troupeau laitier comptait alors 75 vaches en lactation.
En 2020, Yanick décide d’abandonner la production laitière, sans toutefois renoncer aux avantages agronomiques d’avoir une production animale. Il prend 80 taures en pension. Depuis, la charge de travail à l’étable est de beaucoup diminuée. Ses champs profitent du fumier des taures, auquel s’ajoute celui de voisins qu’il entrepose dans sa fosse.
Aujourd’hui, Yanick est appuyé de sa fille Laurie, 24 ans, bientôt vétérinaire diplômée, et de son conjoint Zacharie Lupien, entrepreneur en excavation. Son fils Justin, 21 ans, a été repêché par les Cataractes de Shawinigan. Il vient prêter main-forte à la ferme l’été.
Évidemment, les taures ont de l’appétit et ça tombe bien, puisque la ferme n’a jamais cessé de produire du foin. Sur les quelque 283 hectares en cultures, environ 48 sont consacrés à cette culture pérenne. Une partie de la récolte est vendue en grosses balles rondes.
La rotation maïs-soya-blé d’automne est suivie d’engrais verts (radis, moutarde et pois fourrager). Le foin occupe les terres accidentées et celles qui pourraient profiter d’un « repos » pour en améliorer la structure pendant trois ou quatre ans.
Presque le tiers des superficies est en blé d’automne, principalement du blé de semence. « Le blé, c’est le nerf de la guerre, dit l’agronome. Je vois des producteurs qui font maïs-soya-maïs-soya. Leurs rendements vont en descendant et leur structure de sol se dégrade. »
Mais quand on s’appelle Yanick Beauchemin, une rotation à trois cultures, ce n’est qu’un minimum. Le foin doit garder sa place. « Quand on revient d’un quatre ans de prairies, on a des rendements de maïs et de soya qui montent de 10 à 15 %. Sur un retour de foin, mon maïs est toujours record. C’est fou. Tu ne peux pas manquer ton coup. »
Selon ses calculs avec l’outil Rotation$+, même avec une année d’implantation qui rapporte peu, les prairies sont rentables. « Une prairie de deux ou trois ans va facilement accoter le rendement économique du maïs-grain. » Les rendements de maïs atteignent régulièrement 13 Tm/ha. Ceux de soya jusqu’à 5 Tm/ha. Le blé, en 2022, a fracassé les 7,5 Tm/ha.
Travail minimal
La plupart des cultures sont implantées en semis direct, sinon à la suite d’un coup de déchaumeuse à 3 cm ou moins de profondeur peu avant le semis. C’est en travaillant aussi peu le terrain qu’on en arrive à pouvoir profiter d’un sol argileux bien structuré, dans lequel l’eau percole et les racines croissent aisément.
Environ 70 % des terres que cultive la Ferme Roger Beauchemin sont composées d’une argile semblable à celles de la série Sainte-Rosalie. La différence est un loam sableux Saint-Jude.
Les sols sont toujours couverts à l’automne. Les résidus de maïs ne sont pas touchés. Le soya est suivi de blé d’automne. Ce dernier est suivi d’engrais verts.
Pas d’intercalaires dans le maïs. Mais avec ce seigle implanté après un maïs-ensilage et qui sert de paillis dans le soya l’année suivante, un grand défi a été surmonté : couvrir le sol entre des rangs de soya, sans nuire à sa croissance ni à sa récolte. Malgré les pentes du champ et les récents coups d’eau, aucune trace d’érosion. Il ne reste qu’à déployer cette pratique à plus grande échelle.
Le paillis conserve l’humidité du sol. Il bloque tellement le soleil que les mauvaises herbes se font timides. Leur cas sera réglé avec deux demi-doses de glyphosate et aucun herbicide résiduel, estime Yanick. « On veut abaisser l’usage de pesticides au Québec. Avec une pratique comme ça, on y arrive, tout en améliorant la santé des sols. » Tout ce paillis qui va se dégrader au cours de l’été, ce sera un « buffet chinois pour les vers de terre! », lance-t-il.
Yanick Beauchemin reconnaît que ce n’est que depuis environ quatre ans qu’il observe des résultats tangibles à tous ses efforts pour améliorer ses sols. Ses rendements se démarquent. Ses champs sont plus résilients face à la sécheresse ou aux excès d’eau. « C’est un travail de longue haleine », dit-il, invitant ses pairs à ne pas se décourager après quelques années d’essais.
« Il faut être audacieux, essayer des choses. Des fois, on se trompe. On va de l’avant, on s’améliore au travers de ça. Sans devenir bio, j’appelle ça de l’agriculture raisonnée. »
Ferme Roger Beauchemin en bref
Lieu : Sainte-Monique, Centre-du-Québec
UTM : 2650
Superficie : 283 hectares
Cultures : maïs-grain, maïs-ensilage, soya, blé de semence et foin
Particularités : semis direct et travail de sol minimal
Animaux : 80 taures en pension.
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