Mi-juillet. La récolte de blé d’automne est sur le point de débuter aux Fermes Richard et Robert Sauvé, à Saint-Polycarpe, dans l’ouest de la Montérégie. Il fait chaud, mais ce que Michel Sauvé veut nous montrer dans ses champs se trouve à l’abri des rayons du soleil.
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Premier arrêt : un champ de soya implanté sur un retour de maïs-grain. Au printemps, une bande de huit à dix pouces a été travaillée en surface pour semer le soya dans l’entre-rang du maïs. Les résidus de maïs couvrent encore la majorité de la surface du sol.
La ferme compte 400 hectares en maïs, soya, blé et pois et haricots de transformation. Depuis 15 ans, l’unique travail de sol est un strip till printanier pour réchauffer le sol et dégager la bande de semis.
Peu avant cette transition au travail en bande, Michel, son père Richard et son oncle Robert se sont aventurés en semis direct. « On y est peut-être allé trop vite. On a sauté des étapes », raconte notre hôte. Le travail en bande s’est alors imposé comme moyen de réduire le travail du sol, le temps d’améliorer l’égouttement et le pH des champs.
Depuis cinq ans, l’évolution vers le semis direct est bel et bien en marche. À terme, toute la ferme sera cultivée en semis direct sur couvert végétal (SCV).
Dans ce champ de soya, la pelle s’enfonce facilement sous les résidus de maïs. Un plant de soya est déraciné, révélant un développement racinaire abondant. « On a de belles racines qui descendent, dit Michel Sauvé. C’est signe que ça va bien. Il n’y a pas de couche dure difficile à pénétrer. »
Maïs SCV (Semis direct sur couvert végétal)
C’est dans le champ d’à côté que l’avenir de la ferme se dessine. Ici, du maïs a été implanté en semis direct sur un couvert végétal détruit à l’herbicide peu avant. Il s’agit d’un champ qui a été ensemencé de blé à l’automne 2023, dans lequel des engrais verts ont été semés au drone au printemps 2024.
Après la récolte de blé à l’été 2024, les engrais verts ont connu une forte croissance. Ils ont été fauchés en septembre, avant de monter en graines. Vers le 11 mai cette année, ils ont été brûlés à l’herbicide en préparation du semis de maïs. Idéalement, le maïs aurait été planté alors que le couvert affichait encore du vert, mais le mauvais temps a repoussé cette opération au 25 mai.
Des intercalaires ont été semés au drone au stade trois à quatre feuilles du maïs. À la mi-juillet, leur croissance était timide, mais on arrivait quand même à repérer quelques pousses. Le déploiement de cette nouvelle régie de semis direct sur couvert végétal est encadré par l’agronome Louis Pérusse, de SCV Agrologie. Michel Sauvé y va de prudence. Un ou deux hectares au début, 20 hectares l’an dernier, 40 hectares cette année.
La première étape consiste à améliorer la gestion des eaux de surface, explique Louis Pérusse, qui réalise les plans de nivelage. Ensuite, on travaille l’aération et la porosité du sol. « Il peut y avoir des interventions mécaniques à ce stade, mais l’objectif est de faire réaliser ce travail par des plantes, dit l’agronome. On s’assure d’avoir un sol adéquat, avec une bonne structure et de beaux agrégats, pas seulement en surface.»
En deuxième lieu, on bonifie la rotation. Maïs et soya seulement, c’est voué à l’échec, affirme Louis Pérusse. Dans une régie sans animaux et sans prairies, une culture d’automne est essentielle. C’est la clé pour pouvoir introduire dans la rotation un large éventail de cultures de couverture, jusqu’à 20 espèces, voire plus.
Le champ de maïs visité profite des effets bénéfiques d’un précédent de huit espèces, dont une luzerne, du lotier, trois trèfles, du plantain, de la chicorée et du dactyle.
Le mélange d’intercalaires semés en post-levée dans le même champ de maïs compte neuf espèces. Dans un champ du sud du Québec capable de livrer 13 Tm/ha de maïs-grain, l’absence de lumière devient un frein à la croissance des intercalaires et il ne faut pas se faire de fortes attentes, nuance Louis Pérusse. Il vaut mieux miser sur la qualité du couvert végétal en amont, croit-il.
À la suite d’une récolte de maïs, ce seront principalement les résidus qui offriront une protection du sol, à l’automne, au printemps et jusqu’aux stades avancés du soya. Idéalement, on choisira un soya hâtif, pour semer le blé d’automne dès le lendemain de la récolte.
Cabanes de vers
Michel Sauvé n’en fait pas de secret : ses 40 hectares de maïs en SCV lui en ont fait voir de toutes les couleurs en début de saison. « On a eu des mouettes et des corneilles dans le champ, du ver-gris noir, du ver blanc, de la mouche du semis. Si la semence avait été traitée, j’aurais eu de meilleures chances d’avoir une meilleure population, mais je suis quand même assez satisfait. »
À genoux entre les rangs, notre producteur n’en finit plus de trouver des cabanes de vers de terre. Ses mains balaient les quelques résidus de culture de couverture qui restent. « Je suis impressionné de voir à quel point le sol a faim, dit-il. Il y avait une couche impressionnante de résidus (de culture de couverture) quand on a semé. Même pas deux mois plus tard, comment tout ça a pu se décomposer ? »
À cinq pouces de profondeur entre deux rangs, le sol est meuble et les racines de maïs sont abondantes. C’est dans ce champ qu’il a trouvé l’an dernier une racine de trèfle à 28 pouces de profondeur.
En évitant de travailler le sol et en le peuplant d’un grand éventail de racines, il devient plus productif. C’est de l’agroécologie. « On prend des principes de biologie et on les applique à nos pratiques culturales, dit Michel Sauvé. C’est le sol qui travaille pour nous. »
L’usage d’herbicides chimiques n’est pas exclu en régie SCV, explique Louis Pérusse. « On vise une réduction globale dans la rotation. » Avec une céréale d’automne, par exemple, les herbicides sont éliminés pour au moins une année. Et en gardant les sols couverts douze mois par année sur l’ensemble de la rotation, la pression des mauvaises herbes s’affaiblit.
Avec les SCV qui se déploieront sur l’ensemble de ses terres, Michel Sauvé a pour objectif de réduire de 50 % les achats d’engrais de synthèse. Si 30 à 40 % des besoins en azote provenaient des couverts végétaux, ce serait déjà beaucoup, estime-t-il. Pour la potasse et le phosphore, ces éléments pourraient être pompés des profondeurs par les racines des engrais verts pour les rendre disponibles aux cultures principales.
Tous ces changements seront calculés, assure le producteur. « On a terminé l’étape de rêver et d’espérer. Là, il faut être capable de quantifier les résultats. Jusqu’à maintenant, ça va très bien. »
L’entreprise en bref…
Fermes Richard et Robert Sauvé
Saint-Polycarpe, Montérégie-Ouest
UTM : 2850
Superficie : 400 hectares
Type de sol : loam limoneux
Cultures : soya, maïs-grain, blé, pois et haricots de transformation
Particularité : travail en bande et semis direct