On parle souvent de la difficulté d’acquérir des terres aujourd’hui, mais on parle très rarement de la difficulté de les garder en considérant tous les efforts qu’on doit déployer pour obtenir une rentabilité et surtout faciliter le transfert vers une relève futur. On mentionne régulièrement la « chance » qu’ont les jeunes provenant du milieu agricole de se voir offrir un accès plus facile vers la profession d’agriculteur.
Dernièrement, j’ai pris connaissance d’une évaluation de différents points économiques qui portent à réflexion. On nous présentait un échantillonnage où on constate que 70% des fermes avait un solde résiduel négatif. Avec tout de même un taux d’endettement correcte qui oscille autour de 28%. À noter que les hausses vertigineuses du prix des terres affectent positivement le bilan et contribuent à favoriser un bon ratio d’endettement. Bref, ça peut nous faire briller une situation qui en fait n’est pas tellement reluisante. Surtout s’il y a un transfert, ça prendra tout près de 60 ans avant de revenir à une rentabilité.
Si j’extrapole, ça veut dire vulgairement : Tiens mon jeune, je te fais un cadeau et tu pourras dégager un peu de sous dans 60 ans! Euh! Ça te tente tu? Pas surprenant que par la suite le moindre centimètre de sol devient crucial et que la vision (jugé à court terme) devient LA chose à faire pour faire rouler la ferme et espérer en vivre. Et le terme vivre doit être défini. Vivre en termes de rentabilité, mais on doit aussi avoir une vie, des moments de repos et de plaisir, une certaine qualité de vie.
À lire aussi

Faire le plein pendant que j’essaie de faire le vide
Je me suis permis une petite escapade à un endroit où j’espérais ne pas trop voir de champs en culture. Question de faire le plein d’énergie en oubliant le plus possible les tracas.
Quand j’en discute avec certains agriculteurs, c’est un point qui, en général, est difficile à réussir à notre goût. On nous conseille grandement de lever le pied, un peu beaucoup pour certain, mais on se retrouve avec le sentiment fortement ancré dans notre éducation d’agriculteur. « Quand il y a du travail, ce n’est pas le temps de prendre des vacances! » D’où l’intérêt d’apprendre à déléguer. Oui, mais si je retourne en arrière, dans notre situation de départ, il n’y en avait pas de sous pour s’évader. J’imagine aujourd’hui avec une pression financière constante et des montants toujours plus importants… On est surpris quand on manque de relève? C’est peut-être une des raisons.
Ce qui me décourage, c’est qu’au moment où notre ferme a atteint un niveau de productivité intéressant, je me vois dans l’obligation d’encore en augmenter la performance aujourd’hui pour qu’une future relève puisse la reprendre et parvenir à surmonter la valeur spéculative du fond de terre. Au moment où nos paiements sur nos actifs diminuent, on doit compenser en payant des assurances vie, des notaires, des fiscalistes, comme si on reprenait un long cercle vicieux pour faire rouler toutes les institutions autour de la ferme et toujours espérer s’en sortir dans 60 ans.
Donc en arrière de la belle tôle qui brille et des beaux équipements qui circulent dans nos campagnes se vivent des défis humains qu’on n’ose pas imaginer. Pour notre part, on se considère vraiment privilégiés d’avoir pu monter une ferme à notre image. Une ferme innovante et nourricière où, comme agriculteur, on peut garder le privilège de prendre part à la majorité des travaux tout en ayant été capable de s’entourer de gens pour nous aider. Maintenant, il nous reste à planifier notre sortie de ce cercle que je considère « vicieux » afin d’offrir le même privilège à ceux qui nous suivront. Profession agriculteur.