« Êtes-vous satisfait de la santé de vos sols ? » La question surprend un peu André Ricard et il prend quelques secondes avant d’y répondre. « Depuis qu’on a repris la ferme en 1983, raconte-t-il, la teneur des sols en matière organique s’est accrue graduellement. Au départ, elle était de 2 à 3 %. Maintenant, elle varie entre 3 et 4 %. »
« Et puis, on a d’assez bons rendements, ajoute ce producteur localisé dans un secteur offrant 2650 UTM. Dans le maïs-grain, on sort assez facilement 10 tonnes à l’hectare. Certaines années, on voit du 12-13 tonnes. » « Dans un bulletin de santé, je donnerais une note de huit sur dix à nos sols », dit celui qui n’a pas à être convaincu de l’importance de prendre soin de ses sols. « Un sol en santé, c’est un gage de succès pour avoir de bons rendements année après année. Dans des conditions difficiles, un sol en santé s’en sort beaucoup mieux. »
L’entreprise qu’il exploite avec son épouse, Odette Aumont, et leur fils Vincent se trouve à Saint-Alexis-de-Montcalm, dans Lanaudière. La majorité de leurs 153 hectares sont constitués d’argile Saint-Laurent. Une série de sol que le producteur décrit comme fertile et assez résistante à la sécheresse. « C’est un sol moins coriace que l’argile Sainte-Rosalie et un peu moins sensible à la compaction, résume-t-il. Mais il faut quand même y faire attention. »
Les trois associés se consacrent à la production de maïs-épi humide, de maïs-ensilage, de maïs-grain sec, de haricots secs et de blé d’automne. La présence des trois types de maïs s’explique par le fait que l’entreprise compte un engraissement de bovins de boucherie d’une capacité de 600 têtes. Cet engraissement a, justement, joué un rôle important dans l’amélioration de la teneur des sols en matière organique. « L’élevage produit 3000 tonnes de fumier par année, indique André. C’est un fumier assez équilibré. »
Un de leurs défis des prochaines années, en fait, ce sera de valoriser la totalité de ce fumier. « Depuis une couple d’années, indique le producteur, nos sols sont saturés en phosphore et on a été obligés d’en vendre une partie. Ça nous agace un peu de voir partir cette belle banque de fertilisants. » Cette année, le producteur s’est rapproché de son objectif sans avoir eu à acheter de terre, en procédant plutôt à un échange de terres. On y reviendra plus loin.
Le fumier est épandu en priorité après la récolte du blé d’automne, puis il est enfoui à l’aide d’un chisel. « C’est là que les conditions sont les meilleures, estime André. On doit aussi en épandre au printemps, mais je n’aime pas ça. C’est risqué pour la compaction. On essaie de compenser en utilisant un tracteur léger et en abaissant la pression des pneus. Les parcelles où l’on épand au printemps ne sont jamais celles où l’on obtient les meilleurs résultats. On en épand aussi après la récolte de maïs-épi humide. C’est une récolte qui se fait quelque part entre le maïs-ensilage et le maïs-grain. »
Du côté de l’entreposage, la majeure partie du fumier est stockée en amas au champ. « On a également un entrepôt qui sert de buffer, indique-t-il. On y entrepose le fumier en automne, quand la terre n’est pas encore gelée, et au printemps, à la fonte des neiges. »
Des besoins importants en maïs
Leur rotation de cultures fait une large place au maïs, qui est prédominant dans l’alimentation du troupeau. Elle s’amorce avec une année de maïs-épi humide et, dans une moindre mesure, de maïs-grain. « Notre gros volume, indique André, c’est le maïs-épi, qui apporte à la fois de l’énergie et de la fibre dans la ration. » Puis, on enchaîne avec le maïs-ensilage, suivi du haricot noir sec ou du blé d’automne, selon la parcelle.
Le blé d’automne, qui occupe environ 15 % des surfaces, remplit plusieurs fonctions. André explique qu’il vient combler une partie des besoins en paille de l’élevage. De plus, il permet de niveler dans de bonnes conditions. « Toutes nos terres ont déjà été nivelées une fois et on vient d’amorcer un deuxième tour pour éliminer les cuvettes », dit-il. Par ailleurs, au besoin, les semaines suivant la récolte du blé servent à faire un décompactage à l’aide d’un chisel lourd. Le semis d’un mélange de plantes de couverture vient compléter ces opérations.
Le producteur produit le blé d’automne en semis direct. « Le blé est une plante assez coriace qui réussit à s’implanter facilement, constate-t-il. Ça fait quelques années qu’on le fait et ça réussit très bien. Le haricot, par contre, est plus délicat. Ça lui prend des conditions de germination optimales, car la levée doit être très uniforme. Je ne prendrais pas le risque de le faire en semis direct. Et ce serait plus compliqué pour le contrôle des mauvaises herbes. »
Il a déjà testé le semis direct du maïs sur un retour de haricot et il a très bien réussi. « On n’avait pas épandu de fumier dans ce champ-là, explique-t-il. Mais en général, on préfère enfouir le fumier pour minimiser les pertes d’éléments nutritifs. »
Cultures de couverture: adoptées par hasard
À propos de cultures de couverture, le producteur raconte que c’est un peu par hasard qu’ils les ont adoptées. « En 2016, un vendeur nous a offert un mélange de 12 espèces en spécial, raconte-t-il. On s’est dit : on va l’essayer. On a vu les bienfaits le printemps suivant. La terre était beaucoup mieux structurée et ça se préparait quasiment comme un mélange à jardin. C’était pourtant un secteur argileux difficile à travailler d’habitude. Il faisait toujours de la motte. Ce printemps-là, ça s’est préparé de façon impeccable.»
Depuis, ils ont peaufiné leurs pratiques. « Douze espèces, on trouvait ça un peu exagéré, déclare André. Maintenant, on travaille avec un mélange de quatre espèces et on estime que c’est suffisant. Notre mélange comprend de l’avoine, du pois, du radis et du trèfle incarnat. La texture de sol qu’on obtient avec ce mélange est similaire à celle de 2016. »
Tout comme pour le blé, le producteur aimerait éventuellement faire suivre la récolte du haricot, à la fin septembre, d’un semis de plantes de couverture. « Ça me trotte dans la tête, confie-t-il. On sèmerait de l’avoine fourragère. Cela permettrait de récupérer de l’azote tout en stabilisant la structure du sol. »
Méfiance de la compaction
La compaction, André la garde à l’oeil. D’autant plus qu’elle leur a déjà causé des soucis. « À l’époque où l’on labourait encore, il y a plus de 15 ans, on avait constaté en faisant des profils de sol qu’il s’était créé une semelle de labour, rapporte-t-il. Depuis qu’on passe le chisel, on n’a plus cette zone-là. Mais on reste prudent. On peut faire de la compaction aussi avec un chisel si c’est humide. »
« Au printemps, poursuit-il, ce n’est jamais moi qui ouvre le bal dans le coin. Je veux m’assurer que la portance du sol est correcte et éviter de faire des dommages. Je vais faire un tour dans le champ et je prends une poignée de terre. Si je suis capable de faire une motte de mastic avec, je retourne m’asseoir dans mon lazy boy et j’attends. » Par contre, Dame Nature oblige parfois à certains compromis. « L’automne, avoue-t-il, il arrive qu’on étire l’élastique un peu plus. On veut sortir notre récolte. » D’ajouter le producteur : « On a certaines zones qui se drainent moins bien et qui sont donc plus à risque de compaction. On y trouve une sorte de mélange limon-sable compact où l’eau voyage moins vite. On les connaît et on y fait du redrainage. Ça aide pas mal. »
Un échange de terres
André raconte que cette année, ils ont procédé à un échange de terres avec un producteur maraîcher voisin. « C’est aussi profitable pour lui que pour nous, estime-t-il. Pour lui, c’est bon au point de vue des pathogènes et des prédateurs. Le champ de 14 hectares était en brocoli et idéalement, le producteur doit attendre quatre ans avant de revenir en brocoli. »
De son côté, l’échange permet à la Ferme Ricard et Associés de valoriser son excédent de fumier. Un fumier dont profitera le maïs le printemps prochain. De plus, il ouvre la porte à une diminution des superficies totales de maïs de la ferme. « La parcelle de brocoli a été récoltée tôt, raconte André. On y a épandu du fumier, on a passé un coup de chisel pour détruire les résidus suivi d’un coup de cultivateur, puis on a semé un mélange avoine-pois dans le but de le récolter en fourrage cet automne. » Ce fourrage sera intégré à la ration, ce qui permettra de réduire la proportion de maïs qui la compose.
« Je souhaiterais avoir une rotation plus équilibrée où le maïs occupe moins de place, dit-il. Actuellement, on lui consacre les trois quarts de nos surfaces. Si on avait plus grand de terre, par exemple, on introduirait d’autres cultures. L’échange de terres va un peu dans ce sens-là. »