Relever le défi de la série de sol Sainte-Rosalie

Publié: 2 novembre 2022

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La série de sol Sainte-Rosalie est probablement la plus connue au Québec. Ce n’est assurément pas parce qu’elle est la plus répandue. On peut penser que c’est plutôt parce que ce sol est réputé pour être aussi fertile que délicat à gérer. Louis-Éric Trépanier en sait quelque chose, bien que la Ferme Trëma, dont il est copropriétaire, soit située à 150 kilomètres de la municipalité qui a donné son nom à la célèbre série.

La majorité des 580 hectares de cette exploitation de Saint-Anicet, dans le Haut-Saint-Laurent, se composent en effet d’argile et de loam argileux Sainte-Rosalie. Spécialisée en grandes cultures, la Ferme Trëma consacre environ 40 % de ses superficies au maïs-grain, autant au soya IP et 20 % aux céréales. Dans ce dernier cas, il s’agit principalement de blé d’automne. Par ailleurs, quelques hectares sont réservés à la production de semences de seigle et de pois fourrager, semences destinées aux cultures de couverture.

Cette répartition des surfaces conduit à une rotation maïs-soya-maïs-soya-céréale qui se voit assez couramment au Québec. Louis-Éric avoue d’emblée qu’il aimerait bien atteindre une répartition 1/3 – 1/3 – 1/3. « Ce serait mieux économiquement, estime ce diplômé en agroéconomie. Le blé d’automne fait augmenter le rendement du maïs et du soya les années suivantes. De plus, l’ouvrage serait mieux réparti sur l’année. »

Tout comme le soya et les céréales, le maïs-grain se cultive en semis direct. Le rendement moyen des cinq dernières années atteint 13,5 tonnes à l’hectare. Louis-Éric Trépanier a tenté d’y cultiver du seigle en intercalaire, mais il n’a pas obtenu de succès. « Le meilleur moment, dit-il, ce serait dès que le maïs arrive à maturité et qu’il commence à laisser passer un peu de lumière. Mais pour semer à ce moment-là, il faudrait une automotrice avec des pendillards et il n’y a personne qui en possède une dans la région. »

Toutefois, certains obstacles l’en empêchent actuellement. On y reviendra plus loin, mais mentionnons tout de suite qu’un de ces obstacles, c’est que la Ferme Trëma se présente comme deux exploitations dans une : elle se compose des terres d’origine, acquises par les grands-parents du producteur, auxquelles on a greffé il y a 15 ans un deuxième bloc de terres. Or, à l’origine, la ferme se consacrait à l’élevage de bovins de boucherie. Pendant des décennies, les sols ont donc profité d’un généreux apport de fumier. Dans le cas des terres acquises par la suite, c’est tout le contraire. « Le sol des terres d’origine est bien structuré, rapporte le producteur. Alors que les autres se drainent mal et sont très sensibles à la compaction. Les deux groupes de terres ne se gèrent pas de la même façon. »

Quelque 40 % des surfaces de la Ferme Trëma sont en soya IP. Sur la moitié de ces superficies, on cultive un hybride hâtif de façon à pouvoir y semer ensuite du blé d’automne dans la période optimale, qui tourne autour du 25 septembre.

Le nerf de la guerre

Compaction. Le terme revient souvent dans la discussion, non sans raison. « Le contrôle de la compaction, c’est le nerf de la guerre ici », lance le producteur de 37 ans. Au fil des ans, plusieurs mesures ont été prises à cet égard, dont l’adoption des céréales d’automne, la gestion du trafic au champ et la transition du labour au semis direct.

C’est le semis direct qui a ouvert le bal. « On cultive le soya en semis direct depuis plus d’une vingtaine d’années, indique-t-il. Les céréales, depuis presque aussi longtemps et le maïs depuis environ 10 ans sur une base régulière. Maintenant, pratiquement tout se fait en semis direct sauf, s’il faut faire du nivelage ou épandre du lisier de porc. » Précisons qu’une des terres acquises il y a 15 ans venait avec un contrat de lisier à vie.

« On essaie de concentrer nos opérations d’amélioration et d’incorporation après les céréales, reprend-il. On incorpore avec un chisel. L’épandage se fait par irrigation et j’aimerais bien que le lisier soit enfoui par injection. Je n’aurais pas à travailler la surface du terrain. »

« La remorque à grain reste toujours aux extrémités de champ, affirme Louis-Éric Trépanier. Ça réduit un peu la capacité de battage, mais je pense que c’est vraiment bien pour le terrain. »

De leur côté, les cultures de couverture sont devenues une pratique courante il y a une douzaine d’années. Un semis de seigle suit la récolte du maïs-grain. Le printemps suivant, on sème le soya directement dans le seigle, puis on détruit celui-ci avec un traitement au glyphosate avant la levée du soya. « De toute façon, précise Louis-Éric, comme on est en semis direct, ce traitement est souhaitable pour mieux contrôler les vivaces. »

Après un battage de blé, sa culture de couverture de prédilection est le pois fourrager. « On a fait plusieurs essais d’espèces et de mélanges avec le Club agro du Bassin La Guerre, rapporte-t-il. Par exemple, un mélange sarrazin-radis-pois ou seigle-pois. Pour le rendement du maïs-grain l’année suivante, le pois fourrager a toujours été le meilleur. Le printemps suivant, comme il ne survit pas à l’hiver, le sol se réchauffe vite. Mais il a quand même un effet structurant et il apporte de l’azote. »

Des cultures de couverture semées en dérobée, donc, mais aucune en intercalaire. « On aimerait en faire, lâche le haut-laurentien. On a fait plusieurs tests avec notre conseillère Sylvie Thibaudeau pour semer du seigle pendant la culture du maïs : au semis, à V4, V6, V10, à maturité… Les maïs ici ont trop de biomasse et il n’y a pas assez de lumière qui se rend dans le fond. Le meilleur moment, ce serait dès que le maïs arrive à maturité et qu’il commence à laisser passer un peu de lumière. Mais pour semer à ce moment-là, il faudrait une automotrice avec des pendillards et il n’y a personne qui en possède une dans la région. »

« Du côté du soya, ajoute-t-il, le club a fait différents tests sur les intercalaires. Mais je ne suis pas équipé pour faire ce genre de semis. Heureusement, je reviens en blé d’automne après une partie du soya. »

Avez-vous déjà observé ce phénomène ? Avides de nourriture, les vers de terre tirent les feuilles de maïs dans le sol.

Huit tonnes à l’hectare

Ce blé d’automne, justement, le producteur fonde de grands espoirs en lui. « Ça fait deux ans qu’on en fait à grande échelle et le rendement dépasse les huit tonnes à l’hectare, déclare-t-il. Le potentiel est vraiment là. À huit tonnes, la marge est aussi intéressante que dans le maïs. Et je ne prends même pas en compte le gain de rendement du maïs l’année suivant le blé. » (À propos de rendement, précisons que ceux du maïs et du soya depuis cinq ans avoisinent respectivement 13,5 et 4,0 tonnes à l’hectare.)

Actuellement, le producteur sème du blé d’automne sur la moitié de sa superficie en soya. Pour pouvoir le semer dans la fenêtre de temps optimale, qu’il situe autour du 25 septembre, il réserve ces surfaces à des variétés de soya IP hâtives, soit 2650 UTM au lieu de 2750 pour les autres champs.

Il confie que dans le meilleur des mondes, la totalité de son soya serait suivi du blé d’automne. Mais deux facteurs l’en retiennent. « Il faudrait que je m’en tienne à des variétés hâtives et cela pourrait être assez pénalisant au plan du rendement dépendamment des conditions climatiques, explique-t-il. Par ailleurs, on n’est pas une grosse équipe et avec notre semoir actuel, on n’y arriverait pas. On doit épandre l’engrais de démarrage à la volée, l’enfouir, puis semer le blé. Ça nous prendrait plutôt un gros semoir à semis direct équipé pour l’application de l’engrais. »

La ferme exploite 580 hectares constitués majoritairement d’argile et de loam argileux de la série Sainte-Rosalie. Le maïs, le soya et les céréales occupent respectivement 40, 40 et 20 % de cette superficie. Louis-Éric Trépanier souhaite en venir à une répartition égale entre les trois cultures.

Le mot-clé de l’avenir : résilience

Quand on lui demande si ses sols ont changé depuis deux décennies, Louis-Éric répond qu’il y observe plus de vie, de biodiversité. « C’est rare maintenant que tu donnes un coup de pelle sans voir de vers de terre, observe-t-il. Pour ce qui est de la structure du sol, l’amélioration est plus marquée dans les sols qu’on a achetés il y a 15 ans que dans ceux qu’on avait déjà. »

Il constate aussi que ses sols sont devenus plus résilients. La résilience, justement, il compte en faire son cheval de bataille au cours des prochaines années. « Plus il y aura de bouleversements climatiques, dit-il, plus ça prendra un terrain capable de fonctionner malgré les intempéries, qui seront de plus en plus extrêmes. Un terrain qui, s’il tombe 100 mm de pluie dans un court laps de temps, comme ce printemps après le semis du soya, peut absorber cette eau et soutenir le poids de la machinerie sans faire de traces. Un terrain qui continue à produire pendant les sécheresses autant que pendant les déluges. »

Les céréales d’automne occupent une place centrale dans son plan de match. « Il devient de plus en plus important de pouvoir faire les opérations en peu de temps, estime Louis-Éric. En diversifiant les cultures, on se donne une chance. » « En plus, les céréales d’automne rendent les sols plus résilients, ajoute-t-il. Leurs racines explorent mieux le profil de sol que celles du soya et du maïs. Elles décompactent plus et récupèrent mieux les nutriments qui sont en profondeur. Quand, par exemple, on épand du lisier à la fin de l’été et qu’on sème un seigle d’automne, le printemps suivant, mon argile Sainte-Rosalie est belle et friable alors que le champ d’à côté fait de la bouette. Il y a vraiment quelque chose qui se passe avec la céréale d’automne. Le défi, c’est d’arriver à la semer à temps. »

« Le contrôle de la compaction, c’est le nerf de la guerre ici. » Louis-Éric Trépanier, de la Ferme Trëma

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À PROPOS DE L'AUTEUR

André Piette

André Piette

Journaliste

André Piette est un journaliste indépendant spécialisé en agriculture et en agroalimentaire.