Un sol peut-il atteindre un état de santé vraiment « optimal »? C’est Raphaël qui soulève cette question. Tout en marchant un champ, on passe en revue les mesures que son père Jean, son frère Hubert et lui-même ont prises au fil des ans pour améliorer l’état de santé de leurs sols. La jeune trentaine, des lunettes carrées lui donnant un air un peu intellectuel, son frère Hubert dit de lui que sa plus grande force, c’est sa capacité d’observation.
La liste de ces mesures bénéfiques au sol est longue dans cette entreprise de Maskinongé, en Mauricie. Le drainage et le nivelage des 550 hectares en grandes cultures achèvent. Le blé d’automne et les plantes de couverture ont été intégrés au système de culture depuis plusieurs années. Le travail de sol a été réduit. La batteuse est montée sur chenilles et le tracteur de 375 forces est même équipé de pneus VF dotés de flancs d’une hauteur maximale afin de pouvoir en abaisser encore plus la pression et allonger ainsi la surface de contact au sol. On veille à épandre les fumiers au meilleur moment possible, car comme la plupart des champs sont composés d’argile et de loam argileux, le risque de compaction est élevé.
Ces mesures ont leur effet, car les signaux encourageants se multiplient à la Ferme Damphousse. La teneur des sols en matière organique se maintient entre 3,5 et 4,5%. Les vers de terre se font bien présents (quoiqu’un peu moins cette année, constate Hubert, qui se demande pourquoi. Un effet des pluies considérables qu’a reçues la région en juillet?).
En parallèle, les rendements progressent. « L’amélioration des sols y est pour beaucoup, croit Raphaël. Avant, tu regardais un champ et il y avait des vagues. Il y apercevait souvent du jaune quelque part. Et les bouts de champ étaient compactés. » Ces producteurs croient qu’il y a quand même moyen de faire mieux.
Le meilleur investissement
Des efforts considérables ont été mis dans le nivelage. « Le nivelage, c’est l’investissement le plus rentable qu’on ait jamais fait », affirme Hubert, qui est l’aîné et dont la plus grande force réside dans la planification et l’exécution des opérations. « Je suis un gars de terrain », lance le diplômé de l’ITA.
L’entreprise possède sa propre gratte-panier. Depuis six ans, ils nivellent par GPS. Ils apprécient grandement la précision que leur procure cette technologie. « Après le nivelage, il n’y a plus de lac au milieu du champ après un gros coup d’eau, rapporte ce dernier. En fait, il n’y a plus de zones dans le champ où le rendement est mauvais. Il est égal partout. C’est le gros avantage. »
Mais le nivelage ne peut tout régler. « Il faut quand même être conscient que ce n’est pas toutes les terres qui peuvent se niveler, souligne Raphaël. Il y a des secteurs où la couche de sol arable est mince, en particulier dans nos terres légères. »
La configuration de leurs terres sort de l’ordinaire. C’est comme si les Damphousse exploitaient trois fermes. Les superficies sont réparties entre trois plateaux. Le plus bas longe le lac Saint-Pierre alors que le plus haut est perché à une quinzaine de kilomètres au nord. « Il y a un écart de deux degrés entre le plateau du bas et celui du haut, rapporte Raphaël. En plus, la proximité du lac Saint-Pierre a pour effet de retarder un peu le premier gel à l’automne dans le plateau d’en bas. » Au final, alors que ce dernier dispose de 2750 unités thermiques maïs, le plateau d’en haut n’en offre que 2350.
Il y a au moins un avantage à disposer d’une telle configuration?: l’étalement des travaux de champ. « Quand la météo le permet, on commence les semis en bas et on termine en haut, décrit ce dernier. Pour les battages, c’est l’inverse. » Il y a aussi un inconvénient. « Le problème avec les terres du bas, c’est qu’il n’y a pas de pente et elles reçoivent l’eau des champs plus hauts par les fossés », indique-t-il.
Heureusement, une solution a permis de régler le problème pour une partie de ces champs?: pomper l’eau. « On est chanceux, lance Raphaël. Le courant triphasé était déjà rendu sur place et il y a une rivière juste à côté. On a bâti un réservoir qui reçoit l’eau des drains et une pompe l’évacue vers un fossé qui débouche dans la rivière. » « Après qu’on a drainé et nivelé ces terres, enchaîne Jean, on a vu un changement radical. Les rendements ont grimpé de 50?% et même plus. »
Il était d’autant plus essentiel de sortir l’eau qu’il s’agit de sols lourds. « Nos argiles Sainte-Rosalie sont les sols qui ont le meilleur potentiel de rendement, note Hubert. Mais il faut que tu sois patient parce que c’est dur à faire sécher. Et quand c’est sec, ça vient dur et à la limite, ça craque. » « Côté rétention d’eau, c’est moins bon qu’un loam, complète son frère. Et lors d’une grosse sécheresse, l’argile est pire qu’un loam. »
Elle est pire aussi en conditions humides. « L’argile Sainte-Rosalie, elle se compacte juste avec la pluie?», constate ce dernier, qui s’est fabriqué une sonde à l’aide d’une tige d’acier afin de vérifier l’état des sols. «?Et puis, on a beau faire attention, la machinerie finit par faire de la compaction et ça fait du bien de donner un coup de chisel de temps en temps », enchaîne Hubert.
Le coup de chisel se donne après le maïs. « Sinon, ce serait trop dur au printemps suivant et il va y avoir une perte de rendement, reprend Raphaël. Les racines du soya ne seraient pas assez fortes pour bien pénétrer dans le sol. »
Ils font descendre les pattes de leur chisel de 12 à 15 cm de profondeur. Au printemps, un coup de déchaumeuse complète la préparation du sol en vue du semis de soya. Dans les sols légers, après le maïs, la préparation se limite à un ou deux passages de déchaumeuse avant le semis du soya. Après la récolte du soya, il ne se fait aucun travail avant le semis du blé d’automne, sauf s’il faut enfouir du fumier.
Une place importante au fumier
Les fumiers occupent une place importante dans leur système de culture. En parallèle à leurs cultures, ils exploitent un élevage de 350 brebis sur litière accumulée. Celui-ci génère environ 700 tonnes de fumier par an. En plus, les Damphousse importent et épandent près de 1000 tonnes par an de fumier de poulet. Quand on lui demande pourquoi ils jugent nécessaire d’importer du fumier, Raphaël répond?: «?On ne vise pas le statu quo sur la santé de nos sols. Ce qu’on veut, c’est continuer de les améliorer.?»
« Y a pas un champ de maïs qui ne reçoit pas de fumier, spécifie son frère. On met une bonne partie de nos fumiers après le blé d’automne. Et au printemps, avant de semer le maïs, on met un peu de fumier de poulet sec. On met aussi du fumier de mouton après la récolte du maïs en automne. C’est là que va le fumier qu’on sort en octobre. On a trop de fumier de mouton pour tout le mettre après le blé. »
Ces producteurs sont conscients que leurs périodes d’épandage ne sont pas toutes optimales. C’est dû au fait que la bergerie de Maskinongé ne possède pas de structure d’entreposage de fumier. Mais le problème va se régler prochainement. « D’ici un an, indique Raphaël, l’élevage de moutons sera transféré sur un autre site à Sainte-Ursule qui est doté d’un nouveau bâtiment et d’une structure d’entreposage. Ce qui fait qu’on ne sera plus obligé d’épandre de fumier durant des périodes difficiles, comme c’est parfois le cas au printemps. On pourra choisir d’épandre au moment optimum pour les sols et pour les cultures. »
Douze ans de blé d’automne
Le blé est un vieil allié des Damphousse. Le blé d’automne a été introduit il y a une douzaine d’année, venant remplacer le blé de printemps. « On a abandonné le blé de printemps parce que le rendement est nettement moins bon, confie Raphaël. La rentabilité n’est pas là. En plus, tu le récoltes plus tard que le blé d’automne, ce qui réduit la période où tu peux faire du nivelage. »
« Un rendement correct pour moi, c’est 2,75 tonnes, poursuit-il. Dans le blé animal, si l’on fait exception de cette année, c’est rare qu’on obtienne moins de 2,5 tonnes. » Pendant qu’il est question de rendement, précisons qu’il atteint en moyenne 11 tonnes dans le maïs et 1,5 tonne dans le soya. « Le rendement varie beaucoup selon le plateau et le champ », commente ce dernier.
L’an prochain, ces producteurs réserveront au blé 120 de leurs 550 hectares en culture (le maïs et le soya se partageront le reste à parts presque égales). « On va augmenter la superficie en blé parce que le prix du maïs a baissé et que l’engrais est cher, déclare ce dernier. En plus, le potentiel de rendement du maïs et du soya est moindre dans les hautes terres. »
Pendant longtemps, les Damphousse ont semé le blé d’automne à la volée durant la défoliation du soya. Ils ont revu leur façon de faire il y a deux ans. « On a fait bien des essais sur les semis de blé dans le soya, raconte Jean. Semé trop tôt, il tachait le soya ou il se faisait couper au battage du soya. Un autre inconvénient avec le blé semé à la défoliation, c’est qu’il développe des racines très superficielles et si le printemps est sec, il a de la misère. »
Ils sèment maintenant le blé à la volée avec l’épandeur d’engrais et ils donnent ensuite un coup de déchaumeuse superficiel. « Ça fonctionne très bien, rapporte Raphaël. C’est simple et rapide. Ces semis se font généralement entre le 25 septembre et le 5 octobre, ce qui pourrait paraître tardif aux yeux de certains. C’est peut-être un adon, mais les semis de blé un peu tardifs ont toujours bien fonctionné ici, lâche Jean. C’est arrivé seulement deux fois qu’on perde notre blé d’automne. Quand ça se produit, on comble les trous avec du blé de printemps. »
Priorité au réchauffement du sol
Les cultures de couverture ont été introduites sur la ferme il y a six ans. Jusqu’à maintenant, les Damphousse se sont limités aux plantes de couverture semées en dérobée. « On n’a pas les équipements voulus ni un tracteur adapté pour faire des intercalaires, explique Raphaël. Le temps nous manque aussi parce qu’on fait beaucoup d’arrosages à forfait durant la même période. »
« Les engrais verts c’est bon, c’est incontestable, lance Hubert. Et ça protège ton sol contre l’érosion. Ils vont aider à améliorer notre matière organique, c’est à peu près sûr. Mais c’est bien lent. »
Ces producteurs expérimentent différents mélanges d’espèces de couverture. « Un de nos objectifs, c’est qu’il reste le moins de résidus possible au sol au printemps pour que le sol se réchauffe vite, explique Hubert. Semer dans des résidus, ce n’est pas évident. Cette année, j’ai fait un test avec des combinaisons féverole-radis et avoine-pois pour savoir quel mélange laisse le moins de résidus. Au printemps, il ne restait plus rien dans les deux cas?! Je ne sais pas ce qui s’est passé. Les vers ont tout mangé cette année. Mais ce n’est pas toujours ça. Parfois, tu te ramasses avec un tapis et ton sol ne veut pas se préparer. Actuellement, on essaie un mélange féverole-radis-blé printemps parce que seulement féverole-radis, ça laisse des trous et on le compare à un mélange d’avoine-blé-pois. »
« Le radis fait une belle racine et il va chercher l’azote du fumier, enchaîne son frère. Il décompacte aussi. La féverole, c’est pour ses racines et la graminée, pour ses racines fines. Le printemps, la terre est fine, en petits agrégats. »
Ces engrais verts sont semés en général vers la mi-août, après que le blé a été récolté et le fumier, épandu et enfoui. « Cette année, on les a semés plus tard, fin août-début septembre, indique ce dernier. À cause de la météo, il a fallu s’y reprendre à quatre fois pour tout battre le blé ! »
Encore des gains de rendement à aller chercher
Quelles seront les priorités des Damphousse au cours des prochaines années?? « Il reste encore des gains de rendement à aller chercher », lâche Hubert, qui estime pouvoir y arriver en mettant à profit les outils de l’agriculture de précision.
Pour l’instant, ils appliquent les freins même s’ils disposent déjà des équipements requis pour semer et fertiliser à taux variable. « On va attendre une couple d’années afin que les terres se placent après tout le nivelage, indique son frère. Ensuite, on va faire des analyses de sol géoréférencées. En attendant, on accumule les cartes de rendement pour avoir un historique solide. »
Raphaël caresse une autre idée à long terme. « On aimerait en venir à travailler moins le sol, lâche-t-il. Si on le fait actuellement, c’est parce qu’on n’a pas le choix. Mais peut-être qu’on finira par découvrir une façon d’y arriver ! »?
Ferme Damphousse
Municipalité : Maskinongé, en Mauricie.
Superficie en culture : 550 hectares partagés entre le maïs, le soya et le blé.
Élevage : 350 brebis sur litière accumulée.
Particularité : La configuration des terres est inhabituelle. Les superficies sont réparties entre trois plateaux. Le plus bas longe le lac Saint-Pierre alors que le plus haut est perché à une quinzaine de kilomètres au nord. Il y a un écart de deux degrés entre le plateau du bas et celui du haut. L’avantage est de pouvoir étaler les travaux aux champs.