Mettre des racines dans le sol

« Nos rendements sont assez stables bon an mal an et ils cherchent à tirer vers le haut » - Marie-Claude De Martin, Ferme Ajiro

Publié: 30 août 2023

« Le blé tire tout le plan cultural vers le haut, constate Marie-Claude De Martin. Ce n’est peut-être pas la culture la plus rentable en soi, mais le rendement des cultures subséquentes est toujours plus haut que si on faisait juste une rotation maïs-soya. »

La question de la santé des sols est sur toutes les lèvres. Mais cela n’a pas toujours été le cas. « Quand j’étais à l’ITA, raconte Marie-Claude De Martin, on avait appris comment travailler avec le guide de fertilisation. Mais à l’époque, la santé du sol, ça ne se parlait pas tant que ça. »

« Quand est-ce que j’ai commencé à me soucier de la santé de mes sols, poursuit la productrice de Godmanchester, en Montérégie-Ouest? C’est assez simple. En 2010, pour améliorer mes connaissances, je suis devenue membre du club agroenvironnemental du coin. Avec Sylvie Thibaudeau, notre conseillère, on a fait des profils de sol sur certaines terres. Comme nous étions en semis direct, on se pensait bien bon. On voyait des vers de terre… Mais en creusant, on s’est aperçu que ce n’était pourtant pas parfait. On trouvait des zones compactées. »

La Ferme Ajiro (1989) inc., que Marie-Claude exploite avec son père Albert, comprend 390 hectares de cultures. Elle dispose de sols en majorité argileux, dans une zone qui compte 3000 unités thermiques maïs. Trois cultures s’y enchaînent dans l’ordre suivant : maïs-soya-maïs-soya-blé d’automne. Toutes se font sur billons, en semis direct.

sols d'exception billons semis direct ferme ajiro
Marie-Claude De Martin exploite la Ferme Ajiro avec son père Albert. On y cultive du maïs, du soya et du blé sur billons, en semis direct.

Les billons, Marie-Claude continue de les considérer avantageux même si elle constate qu’il n’y a plus d’autres producteurs dans son secteur qui en font. « Mon père a commencé les billons dès 1992, raconte-t- elle. Il est arrivé dans certaines circonstances particulières qu’on fasse du semis direct sans billons. Je trouve que nos cultures sont toujours un peu plus belles sur billons que sans billons. Je l’explique par le fait que les résidus se dégagent mieux. De plus, les billons se drainent mieux et ils se réchauffent plus vite. »

La productrice ne voit qu’une seule ombre au tableau. « Le planteur a tendance à se promener un peu sur le billon, déplore-t-elle. Je sais que pour résoudre ce problème, certains producteurs rajoutent un système de guidage sur le planteur. Cela implique un équipement supplémentaire et un peu plus de complexité d’ajustements, et je ne suis pas sûre d’être rendue là. »

Avantageux, c’est aussi le qualificatif qu’elle attribue au blé d’automne. Cultivées depuis 2011, 20% des superficies sont réservées à la céréale. « Le blé d’automne a parfois mauvaise presse parce qu’il est considéré moins payant que le maïs ou le soya, perçoit-elle. Mais comme il est récolté tôt, on peut ensuite faire du nivelage, apporter des amendements et semer des engrais verts. »

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Cultures de couverture et semis direct ont conduit à la multiplication de la population de vers de terre.

« En fait, ajoute-t-elle, le blé tire tout le plan cultural vers le haut. Ce n’est peut-être pas la culture la plus rentable en soi, mais le rendement des cultures subséquentes est toujours plus haut que si on faisait juste une rotation maïs-soya. » Précisons que leurs rendements moyens des dernières années atteignent 12 tonnes à l’hectare dans le maïs, 4 tonnes dans le soya et 6 tonnes dans le blé.

Parlant d’amendements, ces producteurs épandent des boues urbaines déshydratées et un peu de fumier. Pour eux, il s’agit d’une solution de compromis. « Je voudrais bien épandre plus de fumier, mais il y en a peu de disponible dans le secteur, explique Marie-Claude. Alors, on se rabat sur les boues urbaines déshydratées, même si elles n’ont pas le même effet que le fumier. »

Combiner plantes de couverture et bonnes pratiques

C’est dans la foulée de ses premiers profils de sol que Marie-Claude a décidé d’intégrer des cultures de couverture. Elle misait sur leurs racines pour éliminer les zones compactées. La dizaine d’années qui s’est écoulée depuis a donné lieu à une myriade d’essais de mélanges d’espèces et de façons de faire.

Tel que mentionné plus tôt, ces producteurs sèment des plantes de couverture en dérobée après le blé d’automne. Leur mélange combine pois fourrager, sarrasin, radis, kale et féverole. D’expliquer la productrice : « Avant, on roulait à trois espèces : pois, sarrasin et radis. Il y a trois ans, on a ajouté la féverole pour laquelle on avait eu un coup de cœur lors des essais. Cette plante a un méga système racinaire. En plus, comme c’est une légumineuse, elle fournit de l’azote. »

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Retrait des roues doubles en prévision des arrosages. « C’est sournois la compaction, dit la productrice. Et c’est dur à éliminer. Ça demande un travail constant. »

« C’est sûr que la semence de féverole est chère, poursuit-elle. Mais comme on produit maintenant notre semence de pois fourrager, on économise et cela nous permet d’investir dans la féverole. Et puis, on reçoit des subventions pour faire des engrais verts et je me dis que ça vaut la peine d’en profiter pour investir dans le meilleur mélange possible. »

Le kale s’est ajouté au mélange peu après la féverole. «À la différence des autres espèces du mélange, le kale traverse l’hiver, donne-t-elle comme explication. Même qu’il a été un peu difficile à détruire ce printemps. »

Du côté des intercalaires, le maïs reçoit du ray-grass, lequel est parfois mélangé à du sarrasin. « Le sarrasin pousse vraiment bien, atteste Marie-Claude. Il a déjà atteint un mètre de hauteur. On a essayé le trèfle, mais il ne s’implante pas aussi bien que le sarrasin et le ray-grass. » Les intercalaires sont mises en terre à l’aide d’un applicateur Aulari modifié.

« On sème à la volée et on incorpore avec des coutres, indique-t-elle. Le résultat n’est pas aussi parfait qu’avec un semoir, mais ça fait un bout de chemin ! »

Il faut dire que tout en étant une adepte des cultures de couverture, la productrice en perçoit aussi les limites. « Toutes seules, elles ne font pas des miracles, lance-t-elle. Pour éviter de se retrouver avec de la compaction, il faut quand même avoir de bonnes pratiques au champ. Comme essayer de ne pas aller travailler quand la terre est très humide. Et je sais que ce n’est pas toujours évident… »

Mettre des racines dans le sol: c’est la priorité que se donne Marie-Claude De Martin. Et aussi, éviter de créer de la compaction.

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« J’aime bien regarder de quoi la terre a l’air, affirme Marie-Claude De Martin. Je fais encore des profils de sol. Et quand mon père fait des correctifs au système de drainage, je vais gosser dans la terre. »

« Il faut aussi passer le moins possible avec la machinerie dans les champs, poursuit-elle, donnant en exemple les boîtes à grain qui restent dans les bouts de champ. C’est sournois, la compaction. Et c’est dur à éliminer. Ça demande un travail constant. Il faut mettre des racines dans le sol tout le temps. »

« Ces racines éviteront en même temps que les nutriments se fassent lessiver et qu’ils se retrouvent dans les cours d’eau, ajoute-t-elle. On voit que les cours d’eau ne sont pas en santé. Il y a beaucoup d’algues qui se forment. Il faut aussi faire attention à ça. »

On fait quoi maintenant ?

Marie-Claude affirme que les effets de 10 ans de cultures de couverture et de plus de deux décennies de semis direct se font sentir. « Il y a maintenant beaucoup plus de cabanes de vers de terre, dit-elle. Et quand il y a de gros coups d’eau, l’eau cherche davantage à s’infiltrer. On le voit aussi par la stabilité des rendements. Nos rendements sont assez stables bon an mal an et ils cherchent à tirer vers le haut. »

La productrice ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Elle souhaite mettre davantage de racines dans le sol. En particulier après la récolte du soya. « La moitié des surfaces de soya s’en va en blé d’automne, dit-elle. Pour l’autre moitié, il faut que je trouve quelque chose. Mais pas une graminée parce qu’on s’en va en maïs après et je n’aime pas l’idée de faire une graminée avant une graminée. »

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« Je trouve que nos cultures sont toujours un peu plus belles sur billons que sans billons, déclare Marie-Claude De Martin. Je l’explique par le fait que les résidus se dégagent mieux. De plus, les billons se drainent mieux et ils se réchauffent plus vite. »

Marie-Claude aimerait aussi introduire une nouvelle culture dans la rotation. « Ça ne ferait pas de tort, lance-t-elle. Mais je vais attendre la relève avant de chambarder la rotation. Mon père et moi avons déjà beaucoup de travail sur la ferme. »

En attendant, la productrice continue de réaliser des essais. Sur les doses d’azote dans le maïs, notamment. « La réponse à l’azote est tellement variable, dit-elle, un peu d’exaspération dans la voix. Il n’y a pas une année pareille ! Mais c’est un élément important, car ça reste un des principaux facteurs déterminant le rendement du maïs. »

Pour voir plus d’articles sur des sols d’exception comme celui-ci, c’est par ici.

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À PROPOS DE L'AUTEUR

André Piette

André Piette

Journaliste

André Piette est un journaliste indépendant spécialisé en agriculture et en agroalimentaire.