Une forme d’économie circulaire

« L’élevage de porcs sur litière et les grandes cultures, c’est vraiment une belle combinaison du point de vue de la santé des sols. » — Jimmy Boivin, de la Ferme Lorge

Publié: 3 octobre 2023

La Ferme Lorge consacre le tiers de ses superficies aux céréales, qui sont le blé et l’orge. Le maïs et le soya occupent eux aussi chacun un
tiers des surfaces.

Lors de la visite du Bulletin des agriculteurs à leur entreprise, à la mi-août, Pascal et Jimmy Boivin traversaient une période stressante. Comme presque partout au Québec, les averses fréquentes entravaient sérieusement les travaux aux champs. En plus, difficile de s’organiser quand les prévisions météo s’avèrent plus ou moins fiables. « Tu nous demanderais ce qu’on va faire aujourd’hui et on serait bien en peine de te répondre, a lâché Pascal ­d’entrée de jeu. Ça va dépendre si ça sèche assez pour qu’on puisse recommencer à battre. On n’a pas fini le blé d’automne et l’orge nous pousse au derrière. Heureusement, le blé est plus patient que l’orge. Au moins, la tête reste là, alors que celle de l’orge tombe quand elle est trop mûre. »

On ne peut pas se battre contre Dame Nature, évidemment. Mais il est possible ­d’atténuer les conséquences de ses sautes d’humeur. Entre autres, en adoptant des pratiques qui renforcent la capacité ­d’infiltration du sol. Là-dessus, nul doute que les propriétaires de la Ferme Lorge inc. ont fait leurs devoirs. En effet, cela fait un bail qu’ils appliquent des mesures, telles que le semis direct et les cultures de couverture, afin d’améliorer la structure des sols de leurs 487 hectares.

Les besoins en litière des 300 truies et des 3000 porcs à l’engraissement équivalent à 2800 grosses balles carrées par année.

Ils sont à même d’en constater les bénéfices. « Avec tout ce qu’on fait, le drainage, le nivelage, les cultures de couverture, les semis directs, les champs sont devenus plus résilients qu’avant », observe Pascal.

« On voit que la structure de sol s’est beaucoup améliorée depuis dix ans, enchaîne Jimmy. Il y a des cabanes de vers de terre partout, alors qu’avant il n’y en avait presque pas. Et la teneur en matière organique augmente graduellement. Mais ça, c’est du long terme! »

«On s’est fait traiter de fous»

« On a pas mal été les premiers à faire du semis direct dans la région, se rappelle Georges, le père de Pascal et Jimmy. On s’est même fait traiter de fous! » C’était en 2005. Jusque-là, la charrue régnait en maître à cette entreprise de Saint-Narcisse-de-Beaurivage, dans Chaudière-Appalaches. Mais la santé de leurs sols les préoccupait. « Les sols s’appauvrissaient depuis qu’on avait vendu les vaches en 1986, se souvient Jimmy. À l’époque, on suivait des formations et le semis direct nous a accrochés. »

Pascal et Jimmy Boivin avec leurs parents, Georges et Lorraine.

Ils ont adopté le semis direct en y allant par étapes. Ils l’ont fait d’abord dans le soya, où c’était le plus facile. L’année suivante, dans les céréales. Puis, dans le maïs, où les risques étaient les plus élevés, comme on le sait.

Depuis ce temps, ces producteurs ont dû rajuster légèrement le tir. Afin d’accélérer le réchauffement du sol, ils effectuent maintenant un brassage superficiel à la déchaumeuse quelques jours avant de planter le maïs. « Ça fait une différence », a constaté Pascal. C’est qu’ils tiennent à mettre le maïs-grain en terre le plus tôt possible au printemps. C’est le cas de tous les producteurs québécois, penserez-vous, mais peut-être encore plus à Saint-Narcisse-de-Beaurivage, en Beauce, qui ne dispose que de 2350 unités thermiques.

« On voit que la structure de sol s’est beaucoup améliorée depuis dix ans, affirme Jimmy. Il y a des cabanes de vers de terre partout, alors qu’avant il n’y en avait presque pas. »

En intercalaire et en dérobée

Pour leur part, les cultures de couverture ont fait leur entrée à la Ferme Lorge peu après le semis direct, soit il y a une quinzaine d’années. Ce fut d’abord le cas des intercalaires dans le maïs. Précisons que leur mélange actuel d’intercalaires comprend le ray-grass, le trèfle et le navet. « Avec l’engrais vert, la portance au battage, c’est le jour et la nuit, commente Jimmy. Ça fait réellement un bon tapis. »

Puis se sont ajoutées les cultures en dérobée, qui se sèment après la récolte du blé d’automne et de l’orge. Le mélange d’espèces utilisé ces dernières années comprend le pois fourrager, la féverole, la vesce et le trèfle. Que des légumineuses! Cette année, ces producteurs font un test en ajoutant une brassicacée au mélange. « On espère obtenir une plus belle texture de sol au moment de semer le maïs l’année d’ensuite », explique Jimmy.

Les premiers semis directs se sont faits en 2005. Les Boivin l’ont d’abord essayé dans le soya, où c’était le plus facile. L’année suivante, ce fut dans les céréales, puis, dans le maïs.

Il va de soi que le blé d’automne procure lui aussi une couverture du sol à l’automne. Ces dernières années, les propriétaires de la Ferme Lorge y sont allés à fond avec cette céréale, lui consacrant trois fois plus de surface que pour l’orge de printemps. Ils mettent le blé en terre après la récolte du soya. Afin que ce semis se fasse dans la fenêtre de temps optimale, vers la mi-septembre, ils privilégient des variétés hâtives de soya. « Ces variétés sont juste un peu plus hâtives – 150 UTM – que les variétés tardives que nous utilisons dans les champs où l’on va semer de l’orge le printemps suivant, décrit Pascal. Pour ce qui est du rendement, il y a une petite coche de différence entre les deux types de soya, soit 350 à 500 kg/ha. » Le producteur indique que le rendement moyen de leur soya, toutes variétés confondues, oscille entre 2,7 et 3,3 t/ha.

Les plantes de couverture ont été introduites dans l’exploitation peu après le semis direct. Le mélange semé en dérobée après les céréales comprend le pois fourrager, la féverole, la vesce et le trèfle. Ces producteurs font un test cette année en ajoutant une brassicacée au mélange.

Le semis d’intercalaire dans le maïs se fait à l’aide d’un semoir de type APV monté sur l’applicateur d’engrais de post-levée.

Trois tiers

La Ferme Lorge réserve au total 165 ha à la production de céréales, soit le tiers de ses 487 ha. Toutes sont consommées sur place, tout comme le maïs-grain et le pois fourrager (seul le soya ne l’est pas). C’est une proportion que plusieurs spécialistes privilégient afin de maintenir la santé du sol, mais qui, il faut bien l’avouer, n’est souvent pas facile à atteindre. La capacité des équipements et la disponibilité de la main-d’œuvre peuvent constituer des contraintes sérieuses.

En fait, dans le cas des Boivin, atteindre le seuil du tiers en céréales constitue une nécessité. L’entreprise compte un élevage de porcs sur litière. Or, pour combler les besoins des 300 truies et des 3000 porcs en engraissement, ils ont besoin chaque année de 2800 balles carrées de 3 x 3 x 6 pi, soit l’équivalent de 60?000 petites balles !

Si ces besoins en paille constituent une contrainte, ils représentent en même temps un atout précieux au plan de la santé des sols puisque l’élevage génère un volume considérable de fumier solide. « L’élevage de porcs sur litière et les grandes cultures, c’est vraiment une belle combinaison du point de vue de la santé des sols », estime Jimmy.

Tous les grains sont consommés à la ferme à l’exception du soya. Le rendement de ce dernier oscille entre 2,7 et 3,3 tonnes à l’hectare.

Le fumier est entreposé en amas aux champs, où il composte. Il est épandu entièrement dans les champs de céréales, avant le semis des plantes de couverture. Cette année, pour la première fois, il ne sera pas enfoui.

Les Boivin surveillent de près l’évolution de leurs sols de leurs terres. Depuis sept ans, ils effectuent des analyses géolocalisées. « On les fait chaque année de céréale, soit aux trois ans », indique Pascal, qui précise que celles-ci sont réalisées au printemps plutôt qu’à ­l’automne pour ne pas se faire à la course. Les analyses de sol géolocalisées leur permettent d’épandre la chaux à taux variable. « C’est du saupoudrage, jamais de grosses quantités, assure ce dernier. Nos pH se maintiennent entre 6,8 et 7,0. »

En ce qui a trait au drainage souterrain, ils progressent à coups de huit à dix hectares par année. « On s’en va des pires champs vers les moins pires, décrit le producteur. Un moment donné, dans plusieurs années, les sols vont tous être bons », ajoute-t-il en éclatant de rire.

Côté nivelage, ils disposent d’une gratte-­panier. Là aussi, ils appliquent la stratégie des petits pas. « Il y a plusieurs années, on a fait beaucoup de nivelage, explique Jimmy. Il y en a moins à faire maintenant. »

La compaction ne constitue pas pour eux une préoccupation majeure. « Il y a quelques endroits où l’on soupçonne qu’on en a un peu, mais en général, c’est plutôt bon, estime ce dernier. On fait attention de ne pas circuler quand le terrain est humide. »

Faire mieux

Les deux frères et leur père ne nourrissent aucun projet d’expansion. « On a de l’ouvrage en masse ! » s’exclame Jimmy. Un élément où ils voudraient faire mieux, c’est dans la production de la protéagineuse destinée à leur troupeau. Le pois fourrager ne les satisfait pas. « D’une part, la récolte est trop hâtive à notre goût, explique ce dernier. On a de la misère à faire de belles récoltes parce qu’elles arrivent en même temps que le blé et l’orge. Et d’autre part, depuis deux ans, on n’a pas de bons rendements. C’est une plante qui n’aime pas l’eau. »

L’idée avec laquelle ils jonglent, c’est de remplacer le pois par la féverole. Tout dépendra des résultats des essais qu’ils sont en train de réaliser sur cette dernière.

Par ailleurs, à la suite de l’été difficile qu’on vient de connaître, ils reconsidèrent leur choix de céréales. Pour étendre la saison des battages, ils viennent de décider de remplacer une partie du blé d’automne pour du blé de printemps. Ils prévoient même tester l’orge d’automne sur quelques hectares.

« C’est ça l’agriculture, lâche Jimmy. On est toujours en train de se demander ce qu’on pourrait faire mieux ! »

Ferme Lorge

Municipalité : Saint-Narcisse-de-Beaurivage.

Élevage : 300 truies et 3000 porcs en engraissement sur litière.

Superficie en culture : 487 hectares.

Rotation : maïs / soya ou pois / céréale.

Plan de cultures 2023 :

Maïs-grain : 140 ha

Blé d’automne : 130 ha

Soya : 120 ha

Pois fourrager : 40 ha

Orge : 35 ha

Maïs-ensilage : 16 ha (pour un voisin)

Féverole : 6 ha (essai)

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À PROPOS DE L'AUTEUR

André Piette

André Piette

Journaliste

André Piette est un journaliste indépendant spécialisé en agriculture et en agroalimentaire.