« Quand je termine ma récolte de soya en octobre, il n’est pas rare que le lendemain ou le surlendemain, la neige arrive », illustre le propriétaire de la Ferme Jopicher, une entreprise spécialisée en production de grains biologiques.
NDLR: Voyez l’entrevue en vidéo en bas de page.
Chanvre, blé, avoine et soya. Le choix de ces cultures est fondé sur leur potentiel de rendement économique et sur un autre critère important : protéger les sols. Des semis à la récolte, tout doit se dérouler sans provoquer de compaction. « C’est rare que je fasse des roulières avec la moissonneuse-batteuse, dit Pierre Gauthier, qui est aussi agronome. Quatre années sur cinq, on termine la récolte de soya dans de bonnes conditions. »
Au printemps 2024, une parcelle avait été réservée pour un essai de maïs-grain. Quand la pluie a retardé le semis, notre producteur a compris que ce maïs serait récolté trop tard, dans la boue. Il a opté pour du soya.
Avec des céréales souvent récoltées en septembre et un premier gel hivernal qui survient en octobre, allez donc implanter des engrais verts à la dérobée qui produiront beaucoup de biomasse et dont les légumineuses fixeront amplement d’azote.
La Ferme Jopicher dépend actuellement de fumier de volaille importé du sud du Québec, une solution au moins aussi coûteuse qu’une fertilisation d’azote minéral. Pour réduire ce poste de dépense et améliorer ses sols, Pierre Gauthier est déterminé à trouver des moyens pour utiliser des engrais verts, même si les 2150 UTM de sa région semblent jouer contre lui.
Il a plusieurs pistes de solutions en tête pour y arriver. Certaines sont déjà en déploiement, d’autres seront déployées en 2025. Ces innovations seront la suite logique de la mise au point d’un système de culture qu’il a déjà beaucoup perfectionné pour combattre les mauvaises herbes, cultiver dans des types de sols qui varient beaucoup et éviter le travail de sol en profondeur.
Cultiver aux 15 pouces
Toutes les cultures sont implantées en rangs espacés de 15 pouces. À ce jour, il n’y a aucun problème de maladie dans le soya. Cet espacement étroit permet de « fermer les rangs » rapidement et capter tout ensoleillement qui pourrait bénéficier à des mauvaises herbes.
Équipements portés
Semoirs et sarcleurs sont tous attachés au « trois-points » du tracteur. Aux 15 pouces, la marge d’erreur au sarclage est mince. Dans les champs avec des pentes prononcées, des équipements de sarclage traînés risqueraient de dévier et provoquer des dommages à la culture principale.
Technologie de précision
La Ferme Jopicher est dotée de deux sarcleurs Innotag de précision, avec caméra pour le guidage. L’un des sarcleurs est équipé pour semer tout juste derrière les outils de sarclage, ce qui permet d’implanter des cultures intercalaires.
Travail de surface
Comme sur la plupart des fermes en régie biologique, une variété d’outils de travail de sol sont mis à contribution pour préparer la surface du terrain avant les semis, gérer les résidus de culture et atténuer la pression des mauvaises herbes. Le labour n’est utilisé qu’en dernier recours, par exemple, comme unique moyen efficace de porter un coup à la sétaire.
Réussir le blé d’automne
En ce 8 août, Pierre Gauthier nous accueille dans un champ de blé d’automne qui vient d’être récolté. Le sol a été travaillé en surface pour déraciner le chiendent. Un mélange d’engrais verts comprenant de l’avoine et du pois fourrager sera implanté quelques jours plus tard.
Ce champ est un bel exemple des dénivelés et de la variation des types de sols qu’on retrouve à plusieurs endroits à la Ferme Jopicher : en hauteur, de l’argile, sur un plateau un peu plus bas, un loam sableux. Quand il s’agit de soya notamment, la profondeur de semis est adaptée à chaque zone, pour obtenir une levée uniforme qui simplifiera le sarclage.
Pierre Gauthier se réjouit d’avoir enfin réussi un blé d’automne. Il a compris que ce n’est qu’en semant tôt – au mois d’août – qu’il réussira et que s’ouvrira la plus grande fenêtre pour implanter des engrais verts, qui non seulement protégeront son sol, mais l’enrichiront aussi.
Il sèmera désormais du blé d’automne chaque année. « Semé tôt et récolté tôt, il va me permettre de faire un bel engrais vert qui va nourrir ma rotation. »
Cultures intercalaires
L’automne, après les récoltes de céréales, la fenêtre de croissance pour des engrais verts à la dérobée est courte. L’investissement en semences n’en vaut pas la peine, estime Pierre Gauthier. Il préfère valoriser les pertes au battage.
Après un travail de sol léger avec un cultivateur ou un vibro, les grains que la moissonneuse-batteuse a échappés germent. « Ça donne un couvert quand même intéressant, qui va stabiliser les sols. Mais ce n’est pas l’idéal pour ramener de l’azote. C’est un entre-deux. Si j’implantais une légumineuse, je n’aurais pas les résultats souhaités. »
Pour nourrir ses champs, les protéger de l’érosion et améliorer leur structure, Pierre Gauthier entend semer ses cultures de couverture beaucoup plus tôt. Son sarcleur-semoir sera mis à contribution partout où cela est possible, pour des semis en intercalaire.
En tête de rotation, il y a le chanvre, une culture payante qui compétitionne bien les mauvaises herbes et dont les besoins en azote sont comparables à ceux du blé. Une fois la graine récoltée, l’importante biomasse des tiges broyées est laissée au sol, partiellement incorporée. De 70 à 75 % des éléments nutritifs puisés du sol y sont retournés, estime le producteur témiscamien.
Le chanvre peut être semé jusque tard en juin, ce qui procure une belle flexibilité dans l’intense période de semis et sarclage en début de saison. Récolté vers le 15 septembre, il permet l’implantation d’engrais verts à la dérobée, comme du trèfle. Cependant, il y a moyen de faire mieux par une implantation en intercalaire.
Cet été, des intercalaires devaient être implantés dans le chanvre au dernier sarclage, mais un bris technique est survenu. C’est partie remise pour 2025. Ce pourrait être du blé d’automne, du mélilot ou un mélange avoine-pois.
Le soya, pour sa part, est la culture la plus rentable. Cependant, au Témiscamingue comme ailleurs, cette culture laisse peu de possibilités avec les cultures de couverture.
Au moment de la visite du Bulletin des agriculteurs, Pierre Gauthier avait comme projet d’essayer de semer du blé d’automne à même du soya encore vert, bien avant la défoliation, avec ses équipements de semis de précision. Cet essai permettra d’évaluer si les pousses de blé nuiront à la récolte de soya et si elles survivront l’hiver.
Pionnier
Les terres de la Ferme Jopicher sont drainées. Certaines profitent encore de leur passé à nourrir des troupeaux laitiers. L’avantage des prairies et des apports de fumier étant disparu, le défi est grand pour prévenir leur dégradation par des cultures annuelles.
Certaines coulées qui étaient protégées par des cultures pérennes tolèrent mal de voir leur sol exposé. Pour prévenir l’érosion, elles ne sont donc pas cultivées. Ces prochaines années, des sorties de drain seront déplacées. Après avoir investi dans ses équipements de semis et sarclage, Pierre Gauthier entend consacrer plus de ressources à des aménagements qui amélioreront l’égouttement de surface de ses champs.
Être un pionnier des grandes cultures biologiques en région nordique n’est pas de tout repos. Pierre Gauthier collabore à des projets de recherche avec l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Il réseaute amplement avec ses pairs dans sa région et ailleurs au Québec. Formé en agronomie, tous ses choix agronomiques et financiers sont réfléchis. Son système cultural tient la route, mais quand on l’écoute parler, on dirait que l’aventure n’est encore qu’à ses débuts.
« On est à l’extrémité nord des grandes cultures au Québec. Ce qui est trippant, c’est le défi agronomique de développer de nouvelles techniques adaptées à notre région. » Quand on est à la fois agronome et producteur, relever ce défi est d’autant plus passionnant!
Ferme Jopicher
Lieu Laverlochère, Abitibi-Témiscamingue.
Propriétaire Pierre Gauthier, producteur et agronome.
Unités thermiques maïs 2150 UTM.
Superficie 450 hectares en régie biologique.
Cultures principales chanvre, soya, blé et avoine.