Projet de modification de la loi sur les pesticides : déconnecté et irréaliste

Ça me chicote qu’on ne reconnaisse pas mes compétences d’agriculteur ni ma formation collégiale à l’ITA

Publié: 30 novembre 2021

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Projet de modification de la loi sur les pesticides : déconnecté et irréaliste

De plus en plus d’informations circulent sur le projet de modification de la loi 102 concernant le volet pesticide en agriculture. Je n’ai pas eu le temps de lire les documents en détail, mais les résumés qu’on nous présente sont inquiétants. Premièrement ça me chicote qu’on ne reconnaisse pas mes compétences d’agriculteur. Qu’on ne reconnaisse pas non plus ma formation collégiale à l’ITA. Ni notre approche d’innovation quant à la réduction des pesticides sur notre ferme aux cours des dernières années. Tout le monde égal et on nous traite comme des numéros. On pense tout régler en sortant la tapette à mouche à chaque mauvais pas. Comme si c’était une baguette magique.

Chez nous, on tient un registre de pesticides depuis plus de 15 ans. On l’a même modifié pour bien remplir toutes les petites colonnes exigées par les fonctionnaires. Avec 750 lignes d’informations annuelles chez nous, n’importe quel inspecteur peut me prendre en défaut. Je peux me retrouver avec une non-conformité d’un mauvais numéro d’homologation dans mon registre de pesticides. Comment? Aussi niaiseux que de commander une molécule X d’une compagnie Y. Que mon fournisseur m’envoie la même molécule fabriquée par une autre compagnie qui a un numéro d’homologation différent. En plus, mon agronome doit consacrer 5-6 heures pour tout reprendre mes informations et les entrer correctement dans le formulaire IRPEQ : 5-6 heures de paperasse additionnelle perdus qu’il pourrait consacrer à m’accompagner à mieux performer sur ma ferme.

Plus on travaille des applications stratégiques aux champs dans le but de réduire nos quantités, plus le rapport est complexe à compléter. Si je fais mon dépistage et que je contacte mon représentant, je devrais avoir l’avis d’un autre agronome externe qui devra venir voir le champ. Juste pour vérifier. Quand même bizarre que présentement on essaie de débureaucratiser le réseau de la santé en donnant certains « pouvoirs » aux pharmaciens et infirmières pour rendre le système de santé plus efficace et qu’on essaie en même temps d’imposer ce genre de système tortue à l’agriculture qui, au final, rendra l’exercice coûteux.

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On parle de taxer les pesticides comme frein à leur utilisation. Au final, si j’en ai besoins j’utiliserai les mêmes quantités tout en augmentant mon coût de production. Ce qui veut dire que je paie pour mes expériences quelque fois ratées de réduction de pesticides, que j’encaisse la hausse du prix des pesticides, que je paie des frais agronomiques, que j’investis plus de temps au bon contrôle de ceux-ci… Ajoutons les investissements sur une remise à pesticide conforme, la formation, le contrôle de mes bandes riveraines et de mes couvertures de sol… et on nous parlent d’amendes!!!

Pour certaines infractions, ça oscillent entre 1000$ et 100 000$ pour une personne physique et entre 3000$ et 600 000$ pour une personne morale (ex. : une compagnie). Donc sur notre ferme, on a réduit nos GES de 32%. On applique aucun insecticide sur nos semences et on a réduit notre utilisation de pesticides de 30%. Nos sols sont vivants et couverts sur 90% de nos surfaces. Système de culture complexe sur huit cultures, bandes riveraines élargies, gestion de l’eau de surface avec avaloir, plantation de haies brise-vent… et on pourrait recevoir un coup de tapette à mouche de plusieurs milliers de dollars pour une erreur de paperasse inutile.

Complètement déconnecté et irréaliste. J’ajouterais irresponsable. C’est plus qu’un coup de tapette à mouche, c’est carrément penser gagner la guerre des mauvaises herbes en sortant le bazooka! Un peu partout sans discernement. Pourtant, on devrait se souvenir que les guerres se gagnent avec ceux qui sont sur le terrain et non en les persécutant à distance. Profession agriculteur.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Paul Caplette

Paul Caplette

Agriculteur et collaborateur

Paul Caplette est passionné d’agriculture. Sur la ferme qu’il gère avec son frère en Montérégie-Est, il se plaît à se mettre au défi et à expérimenter de nouvelles techniques. C’est avec enthousiasme qu’il partage ses résultats sur son blogue Profession agriculteur.