Une tige métallique à la main, Stéphane Leclerc déambule dans la prairie en zigzaguant. Ici et là, il enfonce la tige dans le sol en y mettant tout son poids. Puis, il la retire et il vérifie quelle profondeur elle a atteinte. Au fil de dizaines de coups de sonde avec son pénétromètre-maison, il a appris ainsi à déceler les zones où le sol montre des signes de compaction.
Ses sols, ce producteur de Lotbinière les traite comme il traite ses vaches laitières : il cherche à les maintenir en bonne santé et pleinement productifs. Il est associé avec son épouse, Michelle Proulx, et leur fils Olivier sur la Ferme Edriphaniel, qui comprend un troupeau de 150 vaches, un quota de 200 kilogrammes de matières grasses et 350 hectares en culture.
Stéphane Leclerc est conscient qu’il dispose de terres qui, à la base, possèdent un excellent potentiel : il s’agit pour la plupart de loams argileux. Depuis deux décennies, il n’en a pas moins cherché sans relâche à accroître ce potentiel.
Dès les années 1990, à mesure que son père et lui achètent des terres, ils éliminent les fossés et installent du drainage souterrain. « Une particularité de nos sols, explique Stéphane, c’est qu’il y a une couche d’argile grise imperméable à un mètre de profondeur. Ça donne des sols mouilleux rapidement. On n’a pas le choix de drainer souterrainement. Sinon, ça devient comme un pot de fleur qui n’a pas de trou dans le fond. »
Du nivellement s’ajoute évidemment à ces travaux. « On avait des planches d’un arpent de large, se souvient-il. Aujourd’hui, à certains endroits, on est rendu avec huit arpents de large. » À la même période, ces producteurs prennent un virage innovateur pour l’époque : ils cessent de travailler le sol en automne dans les champs de blé, se limitant à deux coups de vibro le printemps suivant.
Virage vers le semis direct
Cependant, à mesure que la ferme prend de l’expansion, la corvée du ramassage de roches s’avère de plus en plus pénible. « On passait un mois par année à en ramasser, se rappelle le producteur. Je me suis dit que ça ne pouvait pas marcher comme ça. Alors, en 2007, on a acheté un semoir à semis direct. Éliminer le ramassage de roches a été ma première motivation pour passer au semis direct ! »
À la suite de l’adoption du semis direct, le producteur constate que ses rendements diminuent un peu, mais ils reviennent rapidement à leur niveau d’avant. Il observe aussi que la structure du sol s’améliore. « Le sol est devenu plus portant et il absorbe l’eau plus rapidement », décrit-il. D’autre part, la teneur du sol en matière organique se met à monter. « On est parti de 2 à 3 %, se rappelle-t-il. On a acheté des terres qui étaient même en bas de 2 % parce qu’elles avaient été surtravaillées. Aujourd’hui, la teneur en matière organique tourne autour de 5 %. »
Toutefois, ces progrès laissent le quinquagénaire sur sa faim. « On a atteint notre cible en ce qui a trait à la structure du sol, confie-t-il. Mais je crois qu’il reste beaucoup à faire du côté de la fertilité. On a longtemps traité le sol comme si c’était un milieu passif, comme s’il fallait lui apporter tous les nutriments requis par la culture sous la forme de fertilisants. Or, j’en suis venu à réaliser que le sol est un milieu qui travaille. »
« J’ai compris depuis quelques années que le sol est comme le système digestif d’un bovin, ajoute-t-il. Tout comme on alimente les micro-organismes du rumen, on veut nourrir les micro-organismes du sol qui, eux, vont se charger de nourrir la plante. »
La priorité : améliorer la fertilité du sol
Stéphane a pris deux mesures pour améliorer la fertilité de ses sols. D’une part, quand l’étable a été construite en 2018, il a décidé de loger les vaches dans une aire sur litière accumulée et compostée. « Le compostage permet de récupérer tout l’azote contenu dans le lisier, explique-t-il. Ce n’est pas pour rien que dans une fosse, le lisier sent l’ammoniac : on perd beaucoup d’azote. Selon une analyse, notre compost contient 99 % d’azote organique. »
La seconde mesure a consisté à introduire le pois fourrager dans la rotation (il est vendu pour la semence). Jusqu’à ce moment-là, on cultivait en rotation maïs, soya de semence et blé et on répétait ce cycle à trois ou quatre reprises avant de convertir le champ en prairie pour cinq ans. « Cette rotation ne me permettait pas de semer des engrais verts dans des conditions favorables, dit ce membre du club Ferti-Conseil Rive-Sud. Le pois offre l’avantage de se récolter tôt, ce qui crée une fenêtre intéressante pour le semis du blé d’automne. Déjà, on voit les rendements augmenter à la suite de l’introduction du compost et du pois. » En 2021, le blé d’automne a livré un rendement de six tonnes à l’hectare. Cela, il faut le préciser, sans fongicide ni herbicide et avec seulement une application d’azote au printemps.
La nouvelle rotation s’amorce donc avec le maïs-grain, qui est suivi du soya, puis du maïs-ensilage. Après la récolte de ce dernier, on procède à un semis de seigle. « L’idée est de semer du pois fourrager le printemps suivant et de couper la tête du seigle après la floraison afin que les tiges de seigle servent de tuteurs au pois fourrager », explique-t-il. Au pois succède un semis hâtif de blé d’automne et après la récolte de ce dernier, on dispose d’une fenêtre confortable pour semer un mélange de féverole, vesce, radis et sarrasin. Ce cycle se répète une deuxième fois avant que le champ ne soit converti en prairie.
Introduire une intercalaire
Cet automne, le producteur met à l’essai une nouvelle technique. Lors du semis du mélange de plantes de couverture, il prévoit intercaler des bandes de trèfle, lesquelles bandes formeront l’entre-rang du maïs grain qui sera semé aux 30 pouces le printemps prochain. « C’est une autre de mes idées de fou, lance Stéphane en se moquant de lui-même. Le trèfle va apporter de l’azote tout en aidant à contrôler les mauvaises herbes. »
C’est la solution que le producteur a imaginée pour implanter une intercalaire dans le maïs. « J’ai déjà essayé le ray-grass à la volée au stade 3-4 feuilles et ça n’a pas bien réussi, rapporte-t-il. Il faudrait le semer au semoir. Et puis, c’est une période très occupée, le début de juin, sur une ferme laitière… »
Il faut savoir aussi que, par conviction personnelle, le producteur ne cultive que du maïs non-OGM, ce qui limite ses options. « On emploie les anciens herbicides dans le maïs, précise-t-il. Là, ce qu’on veut essayer, c’est appliquer l’herbicide en bande sur le rang de maïs. »
Modeste de nature, il ne cache pas que ses essais ne sont pas tous fructueux. Ainsi, quand nous lui avons rendu visite en juillet, il avait manqué son coup dans un champ de seigle et de pois fourrager. « Comme il pleuvait souvent, je n’ai pas pu étêter le seigle et il a pris le dessus sur le pois fourrager dans certaines parties du champ », raconte-t-il, un peu déçu.
Si tout fonctionne tel qu’espéré, le producteur espère pouvoir en venir à réduire les doses d’azote minéral dans le maïs. « Actuellement, on applique 50 unités d’azote au démarreur et on revient en post-levée avec 50 autres unités, décrit-il. On compte sur le compost et les engrais verts pour combler le reste des besoins du maïs. »
À long terme, l’objectif de Stéphane est de maintenir une couverture permanente dans tous ses champs. « Je voudrais qu’il y ait toujours des racines vivantes dans le sol, dit-il. Tout reste à explorer dans les cultures pour abaisser les coûts. »