La crise de l’énergie causée par la pandémie a pris une ampleur insoupçonnée depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine par la Russie. Les prix reliés aux ressources énergétiques ont bondi un peu partout sur le globe, alimentant l’inflation. Mais depuis février, l’accès restreint au gaz et au pétrole russe mine l’activité manufacturière dans de nombreux pays en Europe. Les prix de l’énergie fracassent en effet régulièrement des records, faisant monter en flèche les coûts de production.
Les entreprises se retrouvent devant l’obligation de restreindre leurs activités ou ferment carrément leurs portes. Tous les secteurs sont affectés, mais les secteurs de l’industrie lourde, très énergivore, l’est particulièrement. C’est le cas des entreprises produisant des engrais, dont plusieurs géants se trouvent en Europe.
La crise de l’énergie mondiale, qui a déjà fait bondir le prix des intrants dans la dernière année, pourrait-elle encore empirer la situation de l’accès aux engrais? Et jusqu’à quel point la situation en Europe pourrait-elle nous affecter? Selon Sébastien Pouliot, économiste agricole supérieur chez Financement agricole Canada (FAC), la situation, bien que critique, ne devrait pas affecter les prix des engrais ici.
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« Les prix (de l’énergie) se stabilisent aux États-Unis pour le moment, tandis que le prix du gaz naturel augmente en Europe, ce qui inquiète le marché des fertilisants au niveau mondial. L’effet général est que l’Europe est passé d’un exportateur à un importateur de fertilisant ». Les pays qui dépendaient des fertilisants produits en Europe pourraient donc se trouver dépourvus, en plus de devoir concurrencer avec un joueur supplémentaire pour la ressource.
Pour M. Pouliot, les répercussions ici de la crise européenne seront limitées puisque l’Amérique du Nord est un producteur net d’engrais. « Les hauts prix de l’énergie au printemps ont reculé depuis. Les coûts de production et le prix des commodités ont diminué en conséquence et devraient continuer à baisser en 2023 ». L’économiste ne voit donc pas de hausse des prix des engrais semblable à celle vécue en 2020-2021. Si une hausse devait se produire, elle ne devrait pas être supérieure à 10%.
Le problème pour l’Est du Canada est que la région dépend des exportations russes, correspondant à 40% de ses besoins, explique M. Pouliot. Et depuis l’invasion russe au printemps, le gouvernement fédéral impose une taxe de 35% sur les engrais russes. En contrepartie, les frais de transport diminuent depuis leur sommet, ce qui devrait mener à une réduction des coûts. Un autre facteur en faveur d’un relâchement des prix se situe en Asie. La Chine pourrait recommencer à exporter ses produits fertilisants, tels que l’azote et la potasse, après avoir interrompu le commerce pour approvisionner son marché interne, fait valoir l’expert.
L’Est du Canada est toutefois aux prises avec un problème latent, ajoute l’économiste. « On ne possède pas une capacité d’entreposage correspondant à nos besoins. En ce moment, on ne peut fournir que les deux-tiers des besoins avec les capacités actuelles. » Ce manque à gagner rend donc le marché local plus fragile face aux fluctuations des approvisionnements.