Repenser notre circuit alimentaire

Je me suis dis que ce n’était pas normal qu’on ait une si petite influence sur le prix du produit final.

Publié: 24 mai 2022

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repartition pain

La semaine dernière j’ai eu le privilège de discuter avec Patrice Roy de Radio Canada sur un sujet d’actualité. La hausse fulgurante du prix des ingrédients de bases suite aux hausses vertigineuses du prix des céréales. « Êtes-vous disponible pour discuter du prix du blé? » Justement je suis présentement en train de nourrir notre blé hiver. En fait je suis dans le rush… Mais quand quelqu’un prend la peine de nous demander comment ça se passe je me dis que je ne peux pas passer à coté. Je m’organise pour être disponible.

Un privilège et un certain stress d’arriver à imager comment ça se passe dans le champ. En direct devant la caméra en cette belle journée ensoleillée. J’ai essayé d’être à la hauteur du professionnalisme de l’équipe qui m’accompagne dans le processus de préparation pour un direct et me voilà la face dans l’écran et j’entends « Dans 5-4-3-2-1 vous êtes avec Patrice ». Ça se passe très bien. Mais j’ai une crainte d’avoir oublié certains points. Quatre à cinq minutes en direct ça passe vite!

Une fois la pression retombée je me suis dis que ce n’était pas normal qu’on ait une si petite influence sur le prix du produit final. Dans ce cas-ci on parle du blé, mais c’est un peu la même chose dans bien d’autres secteurs reliés à la transformation. Quand même spécial de réaliser que j’obtiens 0,22$ sur un pain qui se détaille à 4,25$. 0,22$ (5.1%) pour 11 mois de travail de prise de risques sur ma ferme pour réussir une récolte de qualité.  Celui qui fait la farine ramasse 0,73$ (17%) pour quelques heures de fabrication qui sont sûrement complexes. Le boulanger qui pétri la pâte et s’assure de la bonne cuisson et de l’emballage ramasse 1,90$(45%) et finalement le détaillant qui prend 1,40$ (33%) pour la publicité et trois jours d’espaces en tablette du supermarché. Je pourrais caricaturer comme si l’agent d’immeuble se prenait 33% de la mise en vente d’une propriété dans ses poches!

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Le pire c’est que les gens en général pensent que c’est à cause des agriculteurs que le panier d’épicerie monte en flèche. Bien oui, on reçoit plus pour notre blé. Mais une augmentation de 35% de la matière première qui représente 5% du produit final. Ça représente environ 0,07$ sur chaque pain. Bien conscient que notre augmentation, qui s’additionne aux autres augmentations des autres secteurs de la chaîne de transformation, finisse par faire mal aux porte-feuilles des consommateurs. D’où l’idée de repenser notre modèle de partage de responsabilité.

Depuis que j’ai commencé ma carrière d’agriculteur  il y a eu différentes tentatives de redonner les lettres de noblesses à notre blé pour alimentation humaine. J’ai le sentiment que c’est toujours à recommencer. La structure autour de cette production est trop lourde et il faut probablement trouver un moyen de bonifier le travail des agriculteurs à sa juste valeur en améliorant le processus de suivi de qualité et de distribution. Certains diront que le marché est conçu de cette manière et que c’est de cette façon que ça marche. Je me dis que c’est probablement pour cette raison que ça fait 40 ans qu’on tourne en rond.

Il n’est pas normal qu’en général j’obtienne plus cher pour notre blé fourrager que pour notre blé destiné à destination à l’alimentation humaine. Pas de flexibilité sur les prix. À la limite, on devrait trouver une façon de primer en pourcentage sur le prix vendant que simplement en dollars par tonne. On pourrait aussi valoriser l’entreposage à la ferme des grains de qualité panifiable et les utiliser dans les recettes ce qui éviterait le double transport et manutention qui finissent par coûter cher. On pourrait surement fouiller encore plus de notre coté mais on devrait revoir la chaîne au grand complet. Est-ce qu’on devra déterminer des marges standardisées de transformation? Voire de distribution? C’est spécial qu’on ait une impression que la structure de prix démarre du prix vendant en descendant par le bas pour donner ce qui reste à l’agriculteur, c’est à la limite insultant. On a même déjà parlé du cartel du pain! Ce n’est pas rien.

Du coté environnemental et de la santé des sols, l’ajout de la culture du blé dans nos rotations est une des portes d’entrée pour y arriver plus rapidement et pouvoir faire face aux changements climatiques. Alors pourquoi ne pas valoriser notre blé d’ici avec une structure de prix d’ici, qui bénéficie aux agriculteurs d’ici qui s’occupent des campagnes d’ici et qui répondent aux souhaits et besoins des consommateurs d’ici? Un circuit à remodeler avec un meilleur partage pourrait nous permettre d’y arriver sûrement à meilleur prix pour le consommateur. Je vous partage le lien du reportage de Patrice Roy de Radio Canada.

Bonne réflexion. Profession agriculteur

À PROPOS DE L'AUTEUR

Paul Caplette

Paul Caplette

Agriculteur et collaborateur

Paul Caplette est passionné d’agriculture. Sur la ferme qu’il gère avec son frère en Montérégie-Est, il se plaît à se mettre au défi et à expérimenter de nouvelles techniques. C’est avec enthousiasme qu’il partage ses résultats sur son blogue Profession agriculteur.