Souvenirs de jeunesse
Endormis sur une balle de foin
Sous l’ambiance feutrée du mâchouillage des ruminants, l’odeur du foin domine
Des allers-retours de la maison à l’étable comme si c’était notre terrain de jeu
Les chats, les petits veaux et la tyrolienne attachée au convoyeur à foin
Des heures à se balancer comme Tarzan
Construire des tunnels avec les balles de foin
Ressentir le vide incompréhensible à la vue d’une étable vide qui contraste avec un trop plein d’émotions refoulées
Une phrase assassine qui revient sans cesse : bonne chance dans la vie mes gars!
Celui qu’on croyait invincible a failli !
Un mode de vie interrompu sous le regard vide du temps
Des heures à regarder dehors et savoir qu’il n’y a plus rien à y faire
Naissance d’une nouvelle passion pour la terre
L’idée folle d’arriver à en vivre
Comme une mission pour relever un défi non achevé
Dans un contexte hostile où certains perdent leur ferme, on s’accroche à ce qui pourrait être possible
Faire sa place dans ce monde compétitif souvent porté aux jugements
Se sentir comme des intrus
Apprenant de nos échecs
Progresser face au vent avec une certaine timidité comblée en partie par nos mentors qui nous ont guidés sans arrière-pensées
On voyage dans notre tête comme si tout était à refaire
Les mains dans la terre
Ancrés comme un bateau dans la mer
Parfois les vagues nous font dériver sous la force du courant dominant
Un vent de face nous ralenti
Pas question d’échouer
Alors qu’on explore à l’extérieur des bouées
On redouble d’ardeur
On ne compte pas les heures
Au détriment des heures familiales
La ferme est à flot
Pendant qu’on se sent vidé
Condamné à répondre à nos obligations
Envahi par un sentiment d’insatisfaction
Je ne ressens plus le plaisir
Prêt à payer le prix d’un temps
Pas d’une vie entière
Début d’une réflexion
Alors pourquoi ….

En silence, je ferme les yeux
Comme pour me choisir
Laissant venir les émotions
Bâillonnant mon côté cartésien
Mes forces, mes faiblesses, mais surtout ce qui me fait vibrer
Non! Je ne veux pas me contenter de faire de l’agriculture
Je veux devenir agriculteur!
Je veux découvrir
Essayer
Pousser les limites du possible
Trouver les opportunités à travers les obstacles
Innover
De nouvelles cultures, de nouvelles façons de faire
Rester humble dans cet éternel apprentissage qui ne peut que s’améliorer
Aménager notre espace en y mettant notre propre signature
Créer des repères émotionnels pour les générations futures
Faire corps avec la nature et savoir que chaque matin sera différent
Se réveiller avant le réveil matin
Discussion matinale avec Dame Météo
Sortir dehors avant le soleil
En lui faisant sentir qu’il est en retard
Journée programmée
Le chant des oiseaux
Sentir l’odeur de la terre
S’émerveiller devant la beauté d’un brise vent
Dire bonjour au harfang
Observer des détails dessous l’évidence
À quatre pattes le nez dans la terre, les fesses en l’air
La folie n’a pas de frontières
Suivre l’évolution des champs
Observant les hirondelles qui dansent autour de leurs condos
Les pollinisateurs qui s’activent
Agir avec précision dans un environnement imprécis
Mieux comprendre l’invisible

Un autre souvenir de jeunesse qui me revient : mon père en bobette avec ses grosses bottines de travail au gros soleil qui ramasse des roches et des branches dans du sol démêlé avec une énergie que je n’arrivais pas à comprendre du haut de mes 10 ans. Le corps en sueur, les deux mains sur les hanches, il regardait devant avec un air de satisfaction. Sans le savoir, il nous aura transmis son amour de la terre.
On y a mis notre touche personnelle tout en gardant nos pantalons.
Partageant volontiers notre cheminement imparfait, mais en constante évolution.
Qui nous amène à nous surpasser dans l’art d’agencer notre système.
Minimum d’énergie fossile tout en utilisant un maximum de notre potentiel biologique.
Nos souvenirs qui guident notre passion ne sont pas en nombre de litres de lait ou en nombre d’hectares, mais plutôt concrets reliés à nos émotions.
Comme le gros pin pour le pique-nique familial en plein champ, Shirley ma génisse qualifiée à l’Expo, Césaré née d’une césarienne.
On en construit de nouveaux.
Autour du bassin sédimentaire entouré de sa biodiversité.
Le boisé Mgr Prince avec ses 72 arbres plantés par de jeunes enfants.
Nos bandes riveraines.
Nos brise-vents.
Les différents nichoirs.
Des aménagements qui nous survivront après notre départ.
Laissant une trace de notre passage sur terre.
Alors on aura peut-être l’honneur d’avoir fait partie des Maîtres agriculteurs qui auront tracé une certaine route.
À vous de tracer la vôtre
Profession agriculteur.