Note de la rédaction : Le dernier blogue de Paul Caplette a suscité bien des réactions. Nous lui avons demandé de préciser sa pensée. Voici ses précisons. Bonne lecture.
Mon dernier blogue (cliquez ici pour lire le texte) a fait beaucoup réagir la semaine dernière. Il décrit comment cette réflexion a évolué au fil des sept dernières années chez nous pour finalement prendre la décision. Cette dernière m’a conduit à vous partager les sentiments qui m’ont habité durant la récolte.
J’apporte donc certaines précisions. L’idée de produire des grains de spécialité fait partie intégrante de notre ADN à la ferme. On a toujours ressenti une certaine fierté de produire des récoltes à valeur ajoutée. On a investi en savoir-faire pour que nos ségrégations soient parfaites et efficaces. On a relevé avec brio différents défis avec différentes cultures et différentes variétés de soya IP : haute protéine, natto, etc. En 30 ans, toutes nos livraisons se sont classées dans la catégorie #1. Je répète : toutes! Aucunes failles. Aucun retour ou déclassement. Quand le gars à la réception nous disait : » les as-tu frottés à la main? ». On se disait : Yes, on fait une belle job! Défi relevé! On parvenait à produire un produit de haute qualité alimentaire. Une fenêtre de marché importante à combler.
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Je me suis permis une petite escapade à un endroit où j’espérais ne pas trop voir de champs en culture. Question de faire le plein d’énergie en oubliant le plus possible les tracas.
J’ai mentionné aussi que la technique du semis direct nous amenait des défis supplémentaires. Attention, je ne suis pas en train de dire que le semis direct ne fonctionne pas pour le soya. C’est même un avantage : on récolte sur un paillis de résidus. Il y a moins de taches de terre, sans oublier l’absence de sclérotinia. C’est plutôt les répartitions de nos cultures dans notre système. Seulement 30% de nos surfaces en cultures « nettoyantes » nous amènent des défis supplémentaires pour s’assurer d’un bon contrôle.
Après avoir manqué notre coup, on a redoublé d’efforts dans le suivi de nos mauvaises herbes. On a très bien réussi avec une lourde facture qui est venu avec. C’est de là que vient le calcul du coût supplémentaire de pesticides. Résultats : ça peut gruger notre prime de départ et la faire fondre comme neige au soleil tout en augmentant nos quantités de pesticides. On a quand même continué cinq années additionnelles en essayant d’être plus efficace.
L’automne dernier, on a pris la décision difficile de prendre une année de congé de la production IP. 2023 fut une année difficile. Je dirais une des plus compliquées que j’ai vécu. La période de récolte du soya s’est faite dans des journées semi-nuageuses. Je me disais : si j’étais en IP, je ne serais pas capable de récolter! Deux tiges de maïs? Pas besoin de les contourner ou de les enlever à la main. Pas de ménage de charriots et du camion. Pas de précaution particulière pour effectuer le séchage, etc. La récolte n’était pas encore terminée que le silo prévu était plein. Beau problème. On a dû ajouter un petit silo additionnel pour tout entreposer.
Donc j’ai écrit ce texte à chaud pour vous partager mes sentiments lors de la récolte. Eh oui, je peux vous dire que j’ai senti tout un soulagement quand, pour une fois depuis longtemps, ma récolte était terminée et en sécurité avant les journées plus difficiles de l’automne. C’est notre décision à nous pour notre propre situation dans notre système de culture. Je n’ai rien à vendre et aucun intérêt à blâmer la production IP. Plusieurs personnes m’ont signalé de très bons niveaux de primes. Tant mieux! C’est ce que je souhaite. Parce que ça prend des agriculteurs d’élite pour produire de telles récoltes. On doit y retrouver le défi et la reconnaissance de nos clients. C’est une base qu’on doit retrouver pour toutes les productions de spécialité.
De notre côté, on est peut-être rendu trop vieux ou on a peut-être les nerfs trop meurtris ou usés pour continuer. Un choc post-traumatique. C’est à voir. C’est un peu comme un couple. Quand un des conjoints est déçu de sa relation et que ça traîne trop longtemps à son goût. Ce n’est pas un bouquet de fleurs et un copieux repas au restaurant qui changent les choses quand notre cœur est déjà ailleurs. Profession agriculteur.
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