Des sols résilients à la Ferme de Ste-Victoire

Publié: 30 octobre 2024

Michael Lecours, Maude Péloquin et Renaud Péloquin, 8e génération à la tête de la Ferme de Ste-Victoire. Photo: gracieuseté.

À la Ferme de Ste-Victoire, on travaille fort pour rendre les sols moins vulnérables aux épisodes d’extrêmes météorologiques. Rencontre avec Renaud Péloquin, un agriculteur pour qui la gestion de risques, la résilience et la rentabilité sont étroitement liées à la santé des sols. Voyez l’entrevue dans la vidéo en bas de page.

Debby

Le 9 août 2024, la tempête post-tropicale Debby s’est abattue sur le sud du Québec. Sur la Ferme de Ste-Victoire, près de Sorel, 200 mm de pluie sont tombés en 24h. Le lendemain, Renaud Péloquin publiait fièrement des photos de ses champs. Protégés par des cultures de couverture, aucune trace de ruissellement n’était perceptible. 

« Nous sommes des gestionnaires de risques », affirme Renaud Péloquin. Sur une ferme de grandes cultures, les risques sont nombreux : variation des prix des intrants, fluctuations des prix des grains, taux d’intérêt élevés, ravageurs, maladies. Rajoutez à cela les changements climatiques, qui nous réservent de plus en plus de surprises.

Renaud Péloquin exploite cette ferme familiale de 8e génération avec sa sœur Maude et son conjoint Michael Lecours. Pour atténuer les risques financiers, par exemple, ils ont fait le choix de ne pas posséder de moissonneuse-batteuse. Pour une ferme de plus de 500 hectares, c’est un choix audacieux.

« On compare nos chiffres avec ceux de notre club de gestion et tous les ans, on démontre qu’acheter une batteuse, ce n’est pas avantageux », rapporte Renaud, 38 ans, diplômé en agroéconomie de l’Université Laval.

Les risques climatiques doivent être pris au sérieux, croit-il. Selon lui, les épisodes de forte pluie et de sécheresse sont une véritable menace pour la rentabilité des entreprises agricoles. « Nous n’avons pas de pouvoir sur la météo, mais nous pouvons abaisser notre risque en améliorant nos sols. »

Jacques, le père de Renaud et Maude, a été un pionnier du semis direct, une pratique qui a permis d’enrayer les tempêtes de sable qui sévissaient autrefois sur leurs terres et celles des voisins. Depuis dix ans, la ferme mise de plus en plus sur des cultures de couverture à la dérobée, des cultures intercalaires et des bandes riveraines élargies pour rendre la ferme plus résiliente face aux extrêmes climatiques.

La Ferme de Ste-Victoire comprend aujourd’hui 535 hectares en grandes cultures. En avant-plan, un champ de cultures de couverture implantées après une récolte de blé.

Intercalaires

Lors de la visite du Bulletin des agriculteurs, fin août, radis fourrager, ray-grass et trèfle rouge couvraient généreusement les entre-rangs dans le maïs. Aucune trace de ruissèlement au sol. Quand Betty a sévi le 9 août, les cultures intercalaires ont fait leur travail. Elles ont retenu le sol en place et grâce à la variété de racines vivantes, ce dernier a été capable d’absorber beaucoup plus d’eau que s’il avait été à nu.

« Ces racines vivantes créent un tampon, explique Renaud. Elles favorisent un meilleur équilibre dans le sol, qui permet aux micro-organismes de mieux travailler. Cet équilibre permet de mieux gérer les coups d’eau ou les sécheresses. »

Bon an mal an, on réussit à implanter des intercalaires sur plus des trois quarts des superficies en maïs (plus de 200 ha). Elles peuvent être semées avec un vieux semoir Case de 15 pieds équipé de rangées de disques, ou avec un sarcleur Innotag de 30 pieds muni de sabots semeurs.  « Le temps nous manque pour couvrir toutes nos superficies en maïs, admet Renaud, mais là où je passe le sarcleur, j’économise un passage d’herbicide. »

Radis fourrager, ray-grass et trèfle rouge entre les rangs de maïs-grain à la fin du mois d’août.

À la dérobée

De l’autre côté du chemin de ferme, des cultures de couverture poussent à profusion à la suite d’une récolte de blé d’automne. Féverole, pois fourrager, radis fourrager, trèfle rouge, ray-grass y ont été semés. Un passage de déchaumeuse a réparti les rejets de batteuse, de sorte que du blé y pousse aussi.

En 2025, le maïs-grain profitera amplement d’une belle structure de sol et d’un apport d’azote fourni par les légumineuses de ce mélange d’engrais verts. Cependant, Renaud Péloquin est persuadé que c’est le soya de 2026 qui en profitera le plus. « Depuis deux ans, j’en ai la preuve  : mes champs de soya qui donnent le plus de rendement sont ceux qui suivent le maïs qui a été précédé d’un engrais vert qui a poussé d’août à décembre. »

Pour réussir leur blé d’automne, les propriétaires de la Ferme de Ste-Victoire ont compris qu’ils doivent le semer tôt. Ils y arrivent en utilisant des soyas hâtifs récoltés en septembre, suivis immédiatement du semis de blé. Ils pourraient semer à la volée dans le soya, mais puisqu’ils traitent avec un forfaitaire pour les battages, il y a risque de se retrouver avec trop de verdure à la hauteur des gousses les plus basses.

Les cultures de couverture, dont les intercalaires, contribuent à rendre les champs plus résilients face aux extrêmes climatiques, fait valoir Renaud Péloquin.

Les outils pour réussir

Pour faire une bonne gestion des risques, il faut se donner tous les outils nécessaires, affirme Renaud Péloquin. Semis direct et travail de sol minimal vont de pair. « Je ne suis pas un puriste, insiste-t-il. Nos étés sont de plus en plus chauds, mais nos printemps restent froids. Nous devons réchauffer le sol. »

Ces outils sont une déchaumeuse, un vibro et même un chisel et une sous-soleuse pour certaines terres qui restent à améliorer. Des cultures sont implantées en semis direct, d’autres à la suite d’un travail de sol superficiel pour gérer des résidus. Aucun travail de sol l’automne, ce qui laisse aux intercalaires et aux engrais verts à la dérobée un maximum de jours de croissance.

La grande variété de types de sols rend inévitable la préparation mécanique du sol au cas par cas. Dans un même champ, il peut y avoir du sable, de la terre noire, un loam argileux et de l’argile St-Ours. De plus, en faisant affaire avec un forfaitaire, on a moins de contrôle sur les dates de récolte et la circulation du grain cart. La compaction créée peut rendre une intervention mécanique nécessaire.

Les équipements d’applications à taux variable ne font pas encore partie du coffre à outils. « On a décidé d’investir d’abord dans la santé de nos sols », justifie Renaud Péloquin.

Ce ruisseau est protégé par des bandes riveraines au-delà des distances réglementaires.

Investir à long terme

Décidément, à la Ferme de Ste-Victoire, c’est dans l’avenir qu’on investit. On n’attend pas que la réglementation se resserre pour élargir les bandes riveraines. Elles font de cinq à dix mètres de largeur. Il y en a sur 9 km, pour un total de 6 hectares transformés en bandes riveraines améliorées. On ne veut tout simplement pas que le sol et les nutriments atteignent les cours d’eau.

Le 9 août dernier, aucun sable ne s’est retrouvé dans le ruisseau qui sépare les champs situés en face des principaux bâtiments de ferme. En tant que jeune agriculteur, Renaud se dit sensible à la pression sociale pour diminuer l’impact des intrants agricoles sur l’environnement. « Protéger les cours d’eau, c’est un must. L’autre grande raison pour élargir les bandes riveraines, c’est qu’on trouve ça tellement beau. Ça amène beaucoup de biodiversité. » 

 « Ma sœur et moi avons des enfants. Le plus vieux a sept ans et nous pensons déjà au transfert, comme nos parents l’ont fait. On veut léguer une entreprise durable à la neuvième génération. C’est pour ça qu’on investit beaucoup pour améliorer la santé de nos sols et rendre notre ferme plus résiliente. »

La ferme en bref

Ferme de Ste-Victoire
Située à Sainte-Victoire-de-Sorel, Montérégie-Est
Copropriétaires : Renaud Péloquin, Maude Péloquin et Michael Lecours
535 hectares en grandes cultures
Rotation maïs-grain, soya, blé d’automne et blé de printemps
Élevage de veaux de grain

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À PROPOS DE L'AUTEUR

André Dumont

André Dumont

Journaliste

André Dumont est vidéaste et journaliste spécialisé en agriculture et agroalimentaire. Il collabore au Bulletin des agriculteurs depuis 2007.