Depuis le printemps, je le savais que son cœur était ailleurs. Une terre en location qui arrivait à son renouvellement… Résumé de l’histoire : le locateur demande un prix, à la hausse bien sûr. Après quelques jours, on accepte le renouvellement et voilà qu’il nous annonce avoir reçu une offre hostile. Heuu! On a accepté ton prix! Surpris qu’il passe par-dessus le prix qu’il nous avait déjà offert.
On accepte de réajuster notre prix à la hausse question de démontrer notre bonne foi. Erreur! Et voilà que la roulette chanceuse agricole se met en marche. Au fil des discussions, j’ai l’impression qu’on a perdu le service et qu’au final, la balle de la surenchère revient à grande vitesse. Tellement qu’on se demandait si on n’était pas en train de jouer tout seul. Nos arguments ne retiennent aucune considération.
On a chaulé, drainé, fait des rotations, ajouté des couverts, appliqué des fumiers… En fait, on a traité la terre comme on traite les nôtres. On en prenait soin, elle a progressé et on sait ce qu’elle a dans le ventre. Le fait de perdre l’avantage de confiance et de se concentrer seulement sur le prix rend la transaction hors contrôle. Rendu à ces niveaux de prix, c’est clair qu’on est du côté adverse. J’ai de la difficulté à traverser un certain niveau qui assure une grande partie du profit au locateur et un maigre pourcentage pour celui qui la cultive et qui prend tous les risques.
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Nos champs changent
Il suffit de partir cinq jours de la ferme en pleine canicule pour réaliser à notre retour que les champs ont énormément progressé.
On a finalement décidé de la laisser aller. Déchirant. Je me suis remis en question. Le pire, c’est que je me sens coupable de ne pas avoir surpassé les offres coûte que coûte. Comme si j’étais le perdant, celui qui manque de vision ou d’ambition. Depuis nos débuts, on a toujours fait des transactions de gré à gré avec le vendeur ou le locateur. Jamais on s’est infiltré dans un transfert de location en disant : M. untel la cultive depuis 15 ans, on ne se mettra pas le nez là. C’est une question de respect. On peut être gentlemen, même en affaires!
Tout comme certains agriculteurs ont respecté leur parole quand on avait un « deal » de conclu avec eux. L’argument « la terre est à côté » ne tient pas la route. Dans chaque rang, il y a toujours une terre à côté qui est à côté de chez nous aussi. On ne peut pas dire qu’on a exagéré, on n’a jamais agrandi dans notre propre rang, comme quoi on n’est pas prophète dans notre pays.
Cette année, j’y ai fait le moins de visites possible parce que ça me faisait ressentir de drôles d’émotions. Je n’y pensais plus jusqu’à aujourd’hui. J’ai l’air du cocu qui a une journée pour ramasser ses sacs de vidanges personnels en ressassant plein de souvenirs de ces 15 belles années. Plus vite on va être sorti, plus vite je vais me libérer l’esprit.
Gertrude ronronne, le rendement est bon… ça écorche un peu plus. Échec, peut-être qu’on aurait pu faire ceci cela… trop tard! Une égratignure sur le cœur pendant que le nouveau locataire brûle d’excitation d’y mettre les pieds. On ne brassera rien, on n’en veut à personne, on reste toujours gentlemen, mais on est blessé.
Ça se guérit et il y a pire que ça dans la vie. Il y a toujours quelque chose de positif à apprendre de nos cheminements. On est en santé, nos affaires vont bien, on a des projets plein la tête. On est fier de ce qu’on a accompli sur cette terre et à voir le prix RECORD de location, on constate que de s’occuper de la santé de nos sols donne de la valeur!
Raison de plus pour continuer dans cette direction. Profession agriculteur