Résilience

Cultiver la résilience, sa résilience dans l’innovation, ça peut être lourd à porter parfois.

Publié: 22 février 2022

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On prend graduellement plus de charge pour réussir nos innovations tout en voulant réussir nos objectifs de vie. Penser qu'on pourra retransmettre une charge économique sept fois plus imposante à une future relève fait craindre le pire.

Je profite de la belle neige toute fraîche. Un tapis blanc moelleux qui s’enfonce d’environ 15 cm sous mes raquettes. Le fait de lever la jambe plus haut en plus de supporter le poids de la neige transforme la randonnée régulière en entraînement intensif qui fait travailler mon cardio. C’est ce que je recherche. M’amuser en entraînant mon corps pour être en superbe forme ce printemps. C’est blanc partout, l’air est pur et les arbres sont chargés, beaucoup de branches sont repliées sur elles-mêmes, et malheureusement, certaines n’ont pas pu tenir la charge de la neige. Elles sont tombées. L’image me fait réfléchir à la résilience. La résilience de mon dos, de mon corps, de mon esprit à relever les défis qui s’annoncent.

Les jeunes branches s’affaissent, se replient complètement sur elles-mêmes sans broncher. Se sont plutôt les branches plus imposantes, plus massives et plus vieilles aussi qui vont finalement céder sous les stress du poids. Il y a le dicton qui dit que tout ce qui plie, ne brise pas, mais à un moment donné, les blessures, les faiblesses et l’âge finissent par gagner sur la résilience. Je me sens un peu comme ces petites branches repliées qui supportent graduellement plus de poids qui s’ajoute graduellement et qui en rajoute toujours une nouvelle couche. Un hiver sous la neige pendant que j’additionne de nouvelles façons de faire, de nouveaux projets, plusieurs rencontres zoom de vulgarisation, d’échanges, de brainstorming d’innovation, de réflexion qui s’ajoutent graduellement aux tâches normales que je dois faire sur la ferme.

Quelqu’un m’avait déjà dit : si tu as une tâche à déléguer, propose-la à ta ressource la plus occupée. Tu es certain que le travail sera fait! D’où l’idée qu’en général, les gens très sollicités réussissent à s’organiser et à tenir une discipline très serrée d’exécution qui les rend imbattable. Ils savent aussi bien évaluer les endroits où concentrer leurs énergies pour arriver aux résultats.

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Je me sens comme la petite branche parce que même si je suis confiant par rapport à nos cultures d’hiver, je ressens toujours un certain stress de réussite à tout prix. Pour tenir le cap, pour que ça corresponde à nos statistiques qu’on connaît pourtant. Que notre stratégie de semis de maïs-grain sur un couvert de trèfle vivant va réellement nous apporter les résultats qu’on valide depuis plus de sept ans. Que Gertrude va répondre à nos attentes. Vous savez que plusieurs me disent : Ouin Paul un moment donné, ta Gertrude va flancher! Je me dis dans ma tête : bein, c’est parce que ça fait dix ans que tu me dis ça! En fait, un moment donné ils auront raison.

Que la rotation de notre système de culture nous amène l’équilibre qu’on souhaite. Que mes nouvelles stratégies de gestion de mes pesticides fonctionnent bien que mes haies brise-vent aient une bonne reprise et que mes talus solidifiés tiennent. Difficile parfois de se faire confiance quand pourtant on a toutes les raisons du monde de rester confiant. Les résultats sont là, mais on veut les répéter pour qu’ils s’imposent d’eux-mêmes. Une charge de plus pour la résilience dans l’innovation.

Ajoutons à cela, la charge d’être un bon papy, un bon amoureux, un bon frère, un bon citoyen, tout en restant gentleman avec ceux qui peuvent l’être moins à l’occasion. Et j’imagine être capable de transférer notre ferme à une relève sur laquelle je n’aurai d’autre choix que de transférer une charge financière sept fois plus élevée que celle que je supporte aujourd’hui. Je me dis que c’est comme si je lançais tout le poids de la neige d’une vie en 30 secondes avec la vélocité d’un souffleur à neige. La petite branche ne se relèvera peut-être pas cette fois-ci. Cultiver la résilience, sa résilience dans l’innovation, ça peut être lourd à porter parfois. Profession agriculteur.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Paul Caplette

Paul Caplette

Agriculteur et collaborateur

Paul Caplette est passionné d’agriculture. Sur la ferme qu’il gère avec son frère en Montérégie-Est, il se plaît à se mettre au défi et à expérimenter de nouvelles techniques. C’est avec enthousiasme qu’il partage ses résultats sur son blogue Profession agriculteur.