Recul des abattages de porc au Québec, quel impact pour le maïs?

Publié: 20 avril 2023

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<strong>Recul des abattages de porc au Québec, quel impact pour le maïs?</strong>

L’annonce de la fermeture de l’usine de Olymel à Vallée-Jonction vendredi dernier n’a pas manqué d’ébranler le milieu agricole. L’industrie du porc au Québec, selon le dernier recensement de Statistique Canada, c’est 1500 entreprises de production, ce qui fait de la province le chef de file au Canada avec 30% de la production canadienne de porc, pour un chiffre d’affaires annuel de 4,5 milliards de dollars.

Heureusement, dans les derniers jours, les Éleveurs de porcs et les acheteurs de porcs seront finalement parvenus à une entente, avec une nouvelle convention de mise en marché, la première depuis 2009. Pour un bon résumé de cette nouvelle entente, je vous invite à lire la journaliste Marie-Josée Parent : Nouvelle convention de mise en marché pour le porc.

Dans ce texte, on y apprend d’ailleurs qu’Olymel accepte finalement de poursuivre jusqu’en janvier prochain l’abattage de 624 000 porcs sur les 1,1 million de porcs qu’elle souhaitait désassigner.

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Les cultures nous parlent, est-ce que vous les écoutez?

Pour chaque culture, il existe un moment où une simple marche dans la parcelle permet de détecter les anomalies susceptibles d’affecter le rendement et dont les symptômes peuvent s’estomper avant la récolte.

Cela dit, cette crise et maintenant la restructuration qui s’amorce pour l’industrie du porc au Québec rappelle qu’une réduction considérable des abattages peut avoir de lourdes conséquences. Et, dans le cas du marché des grains, difficile de ne pas faire le lien avec celui du maïs.

À elle seule, l’industrie du porc au Québec consomme de 60 à 70% de la production locale de maïs annuellement. Alors, la question se pose : « À quel point une réduction des abattages (… et de la production) de porc au Québec risque d’affecter le marché du maïs? ».

Cette question n’est cependant pas si simple à répondre qu’elle n’y paraît. Plusieurs éléments peuvent affecter le comportement du prix du maïs au Québec, et pas nécessairement sur une même échelle de temps.

  • Les superficies ensemencées
  • La production
  • La demande (animale, éthanol, alimentaire, etc.)
  • Les importations et exportations
  • Le comportement du prix à la bourse (… Chicago)
  • Les fluctuations du dollar canadien

Ce qu’il faut retenir d’entrée de jeu, c’est donc qu’on ne peut pas nécessairement dire sans équivoque qu’un recul des abattages de porc au Québec concordera systématiquement avec un recul des prix du maïs.

Pour vous l’illustrer, voici trois scénarios possibles où le prix du maïs ne reculerait probablement pas autant qu’on peut le craindre même si les abattages de porc sont moins importants.

  1. Une très mauvaise récolte au Québec.
  2. Une demande à l’exportation qui s’avère encore plus forte que prévu.
  3. Le marché à Chicago qui bondit fortement, et/ou encore un fort recul de notre dollar canadien.

Néanmoins, sur le fond, un recul des abattages de porc doit quand même avoir d’une manière ou d’une autre une incidence sur le marché du maïs au Québec. Mais comment?

Lors d’une conférence que j’ai présentée à la fin mars dernier pour Réseau Végétale Québec, j’ai mis en relief le comportement de notre prix du maïs depuis 2007 avec la taille du cheptel porcin au Québec. En voici le résultat.

Vous remarquerez dans ce graphique que j’utilise la « base »* et non le prix du maïs lui-même au Québec. La raison est fort simple.

*La base représente l’écart qu’on observe entre le prix de référence à la bourse de Chicago et notre prix local à nous.

Pour bien discerner l’effet que pourrait avoir la taille du cheptel porcin sur notre marché du maïs au Québec, on doit enlever dans notre prix les effets que peuvent avoir la bourse et le dollar sur celui-ci. Pourquoi? Essentiellement parce que la bourse et le dollar ne sont en rien affectés par la taille de notre cheptel porcin. Pour voir plus clair, il faut donc ne pas en tenir compte dans notre analyse.

Ensuite, qu’est-ce qu’on constate dans notre graphique? Essentiellement deux choses.

1 – Comme je l’ai mentionné plus haut, on peut facilement voir qu’année après année, le prix du maïs au Québec (la « base » en pointillée) ne fluctue pas nécessairement à l’unisson avec les hausses et baisses de la taille du cheptel porcine. Bref, sur une base annuelle, trop d’éléments sont à prendre en compte pour conclure qu’il y a un lien de causalité; qu’une baisse du cheptel porcin québécois entraînera automatiquement un recul du prix du maïs au Québec.

2 – Sur du long terme, le portrait apparaît néanmoins différent. Sur le graphique, j’ai tracé deux lignes en bleues. Elles représentent à vue d’œil la valeur moyenne du prix (de la base $US/bo) du maïs au Québec au cours de deux périodes distinctes. Ce qu’on constate alors, c’est que oui, il semble y avoir un lien sur du long terme entre une taille plus importante du cheptel porcin et un prix plus intéressant du maïs au Québec (période de 2014 à 2022), que lorsque le cheptel a été à son plus bas (période de 2007 à 2013).

Dans le cas qui nous intéresse avec la réduction des abattages prévue dans la prochaine année, j’apporterais un bémol au 2e point.

Selon les dernières informations que nous avons, on parle d’un éventuel recul des abattages de porcs de l’ordre de 376 000 d’ici le début 2024, puis d’un autre assez substantiel de 624 000 porcs de moins supplémentaires par la suite. Il s’agit dans l’ensemble d’un recul plus rapide et d’une magnitude plus importante que ce que nous avons observé par le passé. La pression baissière sur le prix du maïs pourrait donc se faire sentir un peu plus rapidement cette fois-ci.

Ensuite, si on jette de nouveau un coup d’œil à notre graphique et à ses lignes bleues, on parle alors d’une éventuelle pression à la baisse de l’ordre de -0,20 $US/bo (-10 $CAN/tm) dans un premier temps. Mais ensuite, la réduction supplémentaire des abattages prévue pour 2024 risque de générer une pression baissière supplémentaire de l’ordre d’au moins -0,20 à -0,40 $US/bo (-10 à -20 $CAN/tm).

Au net, on peut donc évaluer, qu’en principe, c’est une pression à la baisse de l’ordre de 20 à 30 $CAN/tonne d’ici 2024 qui devrait s’instaurer sur le prix du maïs.

Cela dit, on retient encore une fois que bien d’autres éléments peuvent affecter le prix du maïs au Québec : bonne ou mauvaise récolte, la bourse, le dollar canadien et de meilleures ou moins bonnes exportations de maïs dans les prochains mois.

S’il faut retenir une chose, c’est donc surtout que ce recul des abattages est un élément négatif qui s’ajoute à notre contexte de marché et ses perspectives. Dans cet ordre d’idée, il faut en tenir compte dans sa gestion de risque de mise en marché du maïs pour les prochains mois et surtout, pour 2024.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean-Philippe Boucher

Jean-Philippe Boucher

Collaborateur

Jean-Philippe Boucher est agronome, M.B.A., consultant en commercialisation des grains et fondateur du site Internet Grainwiz. De plus, il rédige sa chronique mensuelle Marché des grains dans le magazine Le Bulletin des agriculteurs.