À bas la compaction: du maïs-ensilage entouré de blé

La rotation des cultures s’étire sur 12 ans : sept ans de prairies, cinq ans de cultures annuelles.

Publié: 27 novembre 2024

René Bessette et ses fils Jean-Philippe et Guillaume, les pieds dans la bande de 80 pieds qui a été cultivée en blé sur le tour d’un champ de maïs-ensilage.

En parcourant les collines bucoliques des chemins de campagne au sud de Sherbrooke, l’œil d’un promeneur averti pourrait tomber sur une anomalie dans le paysage : des champs de maïs ceinturés de blé. Si vous faites cette observation, c’est que vous traversez assurément les terres de la Ferme Bessette et Frères, à Waterville.

Exploitée par René Bessette et ses fils Guillaume et Jean-Philippe, la ferme est connue pour son élevage Holstein. Sacrée Maître éleveur par l’Association Holstein du Canada en 2008 et 2023, la ferme produit 210 kg de matière grasse par jour avec 150 vaches pur sang. Cette maîtrise de la production laitière ne porte pas du tout ombrage aux pratiques exemplaires aux champs.

Les collines de l’Estrie ont beau être très agréables au coup d’œil, dès qu’on les exploite avec des cultures annuelles, elles deviennent vulnérables au lessivage. Avec les changements climatiques qui se traduisent par des épisodes de pluie de plus en plus violents et des couverts de neige plus minces, les mesures de protection des sols gagnent en importance.

Maître éleveur Holstein, René Bessette déploie aussi beaucoup d’efforts pour conserver et améliorer ses sols.

Chantier de récolte

René Bessette nous accueille en pleine récolte de maïs-ensilage. Dans le champ, les premiers 80 pieds avant le maïs sont complètement dégagés. Du blé de printemps y a été récolté à la mi-août. Le sol est couvert de verdure composée de jeunes touffes de blé et de mauvaises herbes.

Le tracteur qui tire l’ensileuse amorce son premier tour, ses roues piétinant un tapis vert. À chaque coin de champ, la boucle de 270 degrés requise pour virer à droite se fait aussi en roulant sur de la verdure. Puis, c’est au tour des tracteurs venus chercher les remorques pleines d’ensilage d’emprunter cette bande verte.

Cette année, les conditions sont sèches en ce mois de septembre, ce qui est plutôt inhabituel. « Une année normale en Estrie, le sol est souvent très humide rendu au mois de septembre, explique René Bessette. Avec cette repousse de blé, on évite beaucoup de compaction. »

Les grains de blé qui ont échappé à la moissonneuse-batteuse ont germé, formant un couvert végétal qui aide à prévenir la compaction lors de la récolte de maïs-ensilage.

Une rotation sur 12 ans

Ici, la rotation se fait sur 12 ans : cinq années de cultures annuelles, suivies de sept années en prairies. Maïs-soya-maïs-soya-maïs (deux fois en maïs-ensilage, une fois en maïs-grain). Et le blé, quelle place trouve-t-il dans cette rotation?

Depuis presque 20 ans, le blé est cultivé sur le pourtour de chacun des champs en maïs-ensilage. Il sert entre autres de « piège à nitrates » disposé autour d’une culture, selon une pratique que René Bessette a observée en Europe et que sauf erreur, il serait le seul à déployer au Québec.  

Le blé cultivé est destiné principalement à l’alimentation humaine, souvent à contrat avec les Moulins de Soulanges. Une partie va dans la ration des vaches laitières. La paille est récoltée. Ce sont les rejets de la moissonneuse-batteuse qui germent parmi les chaumes. Cette repousse est variable d’une année à l’autre, mais avec les mauvaises herbes qui repoussent aussi, le sol se défend plutôt bien contre la compaction par les roues des équipements de récolte de maïs-ensilage.

Pendant sa croissance, le blé qui ceinture chaque champ de maïs a comme fonction de capter les nitrates. « Le maïs est une culture qui a besoin de beaucoup de fertilisation azotée, explique René Bessette. Si jamais il y a des grosses pluies et qu’il se produit du lessivage, le blé va capter les nitrates avant qu’elles ne se rendent au fossé. »

C’est un peu comme si chaque champ de maïs-ensilage bénéficiait d’une zone tampon ou d’une large bande riveraine, illustre l’agronome Rock Martel, du Club agroenvironnemental de l’Estrie.

Une fois récoltée, cette superficie en blé se transforme en zone de repos pour le sol, où les micro-organismes prolifèrent parmi les racines en décomposition. « Les rejets de batteuse qui germent et les résidus de culture créent un couvre-sol qui est très bénéfique aux micro-organismes du sol », ajoute l’agronome.

Depuis presque 20 ans, le blé est cultivé sur le pourtour de chacun des champs en maïs-ensilage. Il sert entre autres de « piège à nitrates » disposé autour d’une culture

Intercalaires

Dès le premier tour de l’ensileuse, on découvre entre les rangs de maïs d’immenses radis et de longues tiges de trèfle incarnat. « Cette année, on a mis des intercalaires dans tous nos champs de maïs-ensilage, confie René Bessette. L’an prochain, on en mettra aussi dans notre maïs-grain. »

Au moment de la récolte de maïs-ensilage, le couvert végétal offert par le radis et le trèfle était plutôt timide. « C’est bien implanté, assure notre hôte. On fait encore des tests avec le taux de semis. Mon but n’est pas d’avoir un gros tapis à la récolte, mais d’avoir un bon couvert végétal avant le début de l’hiver. » Avec l’automne ensoleillé que l’on vient de connaître, c’est mission accomplie. 

Le sol ne sera travaillé qu’au printemps. La Ferme Bessette et Frères prône le travail minimum de sol, évitant le plus possible de toucher au sol à l’automne. « On fait beaucoup moins de travail de sol qu’avant, mais on travaille plus pour le sol », dit René Bessette en allusion à toutes les attentions qui sont portées pour protéger et améliorer les sols les années où ils sont en cultures annuelles.

Du radis et du trèfle semés en intercalaire attendent la récolte de maïs pour enfin profiter d’ensoleillement direct.

« En Estrie, il y a beaucoup de champs vallonneux, souligne Rock Martel. C’est la beauté du paysage, mais il faut préserver les sols. »  Face aux changements climatiques, il faut souligner les bons coups, ajoute sa collègue technologue Geneviève Pilon. « L’effort doit être collectif. Tous les producteurs doivent embarquer. » 

René Bessette partage ses idées entre autres par l’entremise du Réseau des fermes durables, une initiative en Estrie qui expose les bonnes pratiques agroenvironnementales. « Mes parents et mes grands-parents m’ont légué une ferme avec des sols en bonne santé. Par amour du métier, je veux laisser aux générations futures un environnement en bon état et une ferme durable dans le temps. »

Ferme Bessette et Frères

Lieu : Waterville, en Estrie.
Propriétaires : René Bessette et ses fils Guillaume et Jean-Philippe.
Superficie : 285 hectares en cultures.
Cultures : luzernières avec graminées, maïs-ensilage, maïs-grain, soya et blé.
Élevage :  150 vaches Holstein, 210 kg de quota.
Particularité : René Bessette a reçu le titre de Maître éleveur par l’Association Holstein du Canada en 2008 et 2023.

La nature fait bien les choses – Du sommet d’une colline, René Bessette pointe vers des arbres qui poussent entre deux champs. C’est l’un de ses « fossés arbustifs ». « Depuis 20 ans, au lieu de faucher tout le temps les fossés, on laisse faire la nature. J’entretiens seulement les sorties de drain. » Résultat : les bords de fossés sont maintenant peuplés d’espèces d’arbres indigènes qui maintiennent le sol en place et offrent un habitat à la faune. Même chose à proximité des petits cours d’eau : des bandes riveraines se sont peuplées d’elles-mêmes, tout naturellement.

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À PROPOS DE L'AUTEUR

André Dumont

André Dumont

Journaliste

André Dumont est vidéaste et journaliste spécialisé en agriculture et agroalimentaire. Il collabore au Bulletin des agriculteurs depuis 2007.