Table ronde

Publié: 3 mars 2011

À quand la résistance au glyphosate?

Le risque qu’une mauvaise herbe au Québec développe une résistance au glyphosate est très réel. Le Bulletin des agriculteurs a réuni six experts pour obtenir leur avis.

Allan Kastra – Bayer CropScience Responsable du développement pour l’Est du Canada « Mettez de la variété dans vos cultures et vos herbicides. Soyez conscient du risque de développement de résistance, en variant les modes d’action d’herbicides et en surveillant de près vos champs. »

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Chuck Foresman – Syngenta Crop Protection Directeur de produit (États-Unis) « Les producteurs du Québec devraient se donner un plan pour prévenir le développement de résistance et la combattre quand elle surviendra. »

Johanne Van Rossum – agronome Productrice à Sainte-Brigide d’Iberville « Si vous semez du maïs Roundup Ready, utilisez un soya IP ou conventionnel l’année suivante, ou vice- versa. »

Pierre Lanoie – Monsanto Responsable, recherche et développement « Commencez avec un champ propre et utilisez tou- jours de pleines doses pour faire diminuer la banque de semences de mauvaises herbes dans le sol. »

Trevor Kraus – BASF Superviseur de la recherche et du développement pour l’Est du Canada « Pour votre gestion des mauvaises herbes, pensez en fonction de plusieurs saisons. Incorporez diffé- rentes cultures et différents herbicides. Certaines des solutions pour contrer le développement de résistance peuvent être rentables. »

Gilles Leroux – Université Laval Professeur et malherbologiste « Les agronomes, les techniciens et les producteurs eux-mêmes doivent être conscients du problème. Si une résistance apparaît, il faut la déclarer et tout mettre en place pour que cette mauvaise herbe ne se multiplie pas. »

Au printemps 2010, les agriculteurs de l’Ontario avaient la confirmation d’un premier cas de grande herbe à poux résistante au glyphosate. L’automne dernier, des chercheurs de l’Université de Guelph annonçaient que 16 autres champs du sud-ouest de l’Ontario étaient infestés d’Ambrosia trifida résistante au glyphosate. Le désherbage de ces champs demeurera difficile et coûteux, jusqu’à ce que des chercheurs mettent au point d’autres méthodes de désherbage efficace.

Heureusement, le Québec est encore épargné. Il y a une dizaine d’années, l’apparition de mauvaises herbes résistantes aux herbicides de groupe 2 et aux triazines avait semé un émoi, mais avait somme toute été bien maîtrisée, par l’utilisation d’herbicides avec d’autres modes d’action. Cette fois-ci, on parle du glyphosate, l’herbicide le plus largement utilisé, et ce, à des coûts largement inférieurs à toute alternative.

Le Québec est-il à l’abri de l’évolution de mauvaises herbes qui deviendraient résistantes au glyphosate ? Le danger est bien réel. Pour approfondir la question, Le Bulletin des agriculteurs a réuni en table ronde six experts, dont quatre sont aussi agriculteurs. En voici le compte-rendu.

Qu’est-ce qui distingue le Québec des régions de l’Amérique du Nord où la résistance au glyphosate est déjà apparue ?

Pierre Lanoie : Au Québec, nous faisons encore beaucoup de travail du sol conventionnel, ce qui contribue à réduire la pression des mauvaises herbes. Comme ailleurs, les cultures Roundup Ready (environ 85 % du maïs, 65 % du soya) sont très populaires, mais plusieurs de nos producteurs font du soya IP, ce qui ajoute de la variété dans l’utilisation d’herbicides.

Johanne Van Rossum : Nous n’avons pas les mêmes mauvaises herbes et elles n’exercent pas autant de pression que dans des régions plus chaudes. Dans certains champs de coton aux États-Unis, on applique du glyphosate jusqu’à cinq fois dans la même saison, ce qui accélère la sélection et le développement des individus résistants dans une population de mauvaises herbes.

Allan Kastra : Je mettrais le Québec dans la catégorie « risque faible ». Malgré cela, le risque d’apparition de résistance demeure, surtout si l’on utilise du glyphosate année après année, sur une rotation de soya et maïs Roundup Ready. La prévalence de la production laitière pourrait accélérer la dispersion de graines de mauvai- ses herbes résistantes, avec le transport de fumier et de grains d’un endroit à l’autre. On ne connaît pas non plus le rôle du pollen dans la dispersion.

Aux États-Unis, est-ce qu’on avait vu venir le problème de résistance au glyphosate ?

Chuck Foresman : Le premier cas de résistance fut un ray-grass de la Californie, en 1998, puis il y a eu la ver- gerette du Canada sur la côte Est. Nous avons maintenant 11 mauvaises herbes résistantes au glyphosate. Je ne crois pas que la communauté des chercheurs en malherbologie aux États-Unis croyait que ça deviendrait un problème aussi grave qu’il l’est aujourd’hui. Chez Syngenta, des scientifiques externes nous avaient prévenus qu’avec l’usage si répandu du glyphosate, la pression de sélection mènerait inévitablement au développement de la résistance.

Selon un sondage réalisé auprès de 200 détaillants d’herbicide du Sud et du Midwest des États-Unis, la perte de rendement, la première année de l’apparition de mauvaises herbes résistantes, serait d’en moyenne 5,5 %, avec des coûts supplémentaires de 17 $ par acre pour tenter de combattre ces mauvaises herbes.

Quand et où la résistance au glyphosate apparaîtra-t-elle au Québec ?

Gilles Leroux : Ce n’est qu’une question de temps, probablement d’ici deux à quatre ans. Ça se produira probablement en Montérégie, là où il se cultive principalement du soya et du maïs. Le risque est moins élevé dans les régions aux cultures plus diversifiées.

Nous avons très peu d’herbe à poux géante au Québec. Je crois que la première mauvaise herbe à développer une résistance sera la petite herbe à poux. Dans le Delaware et le Maryland, elle est déjà résistante au glyphosate. La suivante sera probablement la vergerette du Canada puisqu’elle se disperse avec le vent, il se peut même qu’on retrouve déjà au Canada des individus résistants en provenance des États-Unis.

Chuck Foresman : Il faudra peut-être un peu plus de temps pour que la résistance apparaisse au Québec, parce qu’il fait moins chaud. Mais ne sous-estimez pas l’évolution de la résistance, parce qu’une fois apparue, c’est très long à s’en débarrasser.

Pour un producteur d’ici, quelles sont les pires pratiques pouvant mener au développement de résistance ?

Pierre Lanoie : La monoculture, l’absence de diver- sité dans les rotations de cultures et dans les choix de modes d’action des herbicides, voilà les principaux facteurs qui accroissent le risque de développement de résistance au glyphosate, comme à tout autre herbicide. L’application d’herbicides à des doses réduites, ainsi que tard en saison, accroît aussi le risque.

Trevor Kraus : Je suis moi-même producteur dans la région d’Ottawa. Dans mon maïs Roundup Ready, j’applique du glyphosate auquel j’ajoute un herbicide d’un autre mode d’action. Cela ne sert pas seulement à retarder l’apparition de résistance, mais aussi à contrôler des mauvaises herbes que le glyphosate seul ne contrôle pas bien.

Pour un producteur d’ici, quelles seraient les meilleures pratiques pour empêcher le développement de résistance ?

Pierre Lanoie : Peu importe le type de travail de sol, il est important de commencer avec un champ propre, en brûlant les mauvaises herbes alors qu’elles sont encore jeunes, ou en travaillant le sol. Il est important aussi d’ajouter de la diversité dans vos rotations. Si vous pouvez ajouter une céréale, ou du foin, ce serait très bien. Utilisez aussi les bonnes doses d’herbicides, appliquées aux bons moments.

Chuck Foresman : Faites tout ce que vous pouvez pour que votre culture soit la plus compétitive : taux de semis élevés, traitements de semence, utilisation d’herbicides résiduels. La diversité des cultures et des modes d’action d’herbicides utilisés sont aussi très importants.

Les mélanges d’herbicides coûtent plus cher que le glyphosate seul. Comment convaincre un producteur de dépenser plus pour prévenir la résistance?

Allan Kastra : Pour les producteurs à haut risque, qui ne sèment que des cultures Roundup Ready, leurs coûts peuvent augmenter à court terme s’ils commencent à mélanger des herbicides. Mais à long terme, si la résistance apparaît, ils seront obligés d’utiliser des herbicides plus chers. On peut aussi penser à la valeur des terres : sera-t-elle diminuée ou obtiendra-t-on un loyer inférieur si un champ est infesté ?

Trevor Kraus : Il y a un coût additionnel à mélanger des herbicides, mais j’obtiens aussi un meilleur contrôle des mauvaises herbes et par conséquent, un meilleur rendement et une meilleure rentabilité.

Johanne Van Rossum : La pression des mauvaises herbes n’est pas très élevée dans mes champs. Quand j’applique du Roundup tôt en saison, le problème est réglé pour le reste de la saison. Je n’aurais pas un meilleur rendement en mélangeant des herbicides pour les appliquer sur ces terres.

Pierre Lanoie : Je crois que la plupart des producteurs n’adopteront pas de pratiques seulement pour repousser le développement de résistance. Ils doivent voir un avantage, comme un rendement supérieur, par exemple.

Gilles Leroux : Le glyphosate est un très bon outil et il faut s’assurer de pouvoir en disposer à l’avenir. Il faut informer les producteurs, mais il sera toujours difficile de les convaincre d’investir en prévision d’un problème qu’ils n’ont même pas.

Chuck Foresman : Aux États-Unis, nous essayons de convaincre les producteurs d’avoir un plan. La prévention de la résistance ne peut se faire que si un producteur prend à cœur l’avis des experts et se donne un plan pour chacun des champs de sa ferme. Le meilleur moyen de les convaincre est de leur parler des risques de diminution de rendement et des coûts supplémentaires pour combattre une mauvaise herbe résistante au glyphosate.

*Propos recueillis par André Dumont.

*À noter que cet article n’est pas complet. La version intégrale est publiée dans Le Bulletin des agriculteurs, édition février 2011.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Marie-Claude Poulin

Marie-Claude Poulin

Journaliste et rédactrice en chef

Marie-Claude Poulin est journaliste et rédactrice en chef du Bulletin des agriculteurs.