Sortir des sentiers battus: Cultiver l’humain d’abord

Publié: 18 mars 2024

Sortir des sentiers battus: Cultiver l’humain d’abord

Le 16 janvier dernier, dans le cadre du Salon de l’agriculture, Le Bulletin des agriculteurs a organisé un déjeuner-conférence en compagnie de Gérard Trudeau, président des Fermes Trudeau. En cette occasion, l’agriculteur a choisi de parler de l’humain plutôt que de l’entreprise. Voici un compte rendu de ses propos.

Gérard Trudeau est entré dans la salle discrètement, paraissant presque intimidé. Intimidés, c’est pourtant nous qui avions des raisons de l’être. Le fondateur et président des Fermes Trudeau possède une feuille de route comme on en voit peu.

Comptable de formation, il a été trésorier à la Communauté urbaine de Montréal (C.U.M.). Alors qu’il venait d’être créé, l’organisme devait relever d’importants défis comme étendre le réseau de métro et aménager les installations de traitement des eaux de l’île de Montréal.

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Gérard Trudeau est ensuite devenu directeur adjoint du nouveau Service de police de la C.U.M.

Il était le premier « civil » à occuper un poste d’un tel niveau au sein d’un service de police métropolitain en Amérique du Nord. Son équipe avait l’exigeant mandat de regrouper 26 services de police employant au total 6300 personnes.

Sa notoriété, le résident de Saint-Mathieu-de-Beloeil, la doit toutefois surtout aux Fermes Trudeau. Fondée au début des années 1980, cette entreprise a littéralement mis au monde une catégorie de produits alimentaires en Amérique du Nord, soit celle des fines herbes fraîches.

« À l’époque, on ne retrouvait que des herbes séchées à l’épicerie, rapporte-t-il. J’avais beaucoup voyagé et j’avais croisé en Provence et en Italie des gens qui commercialisaient des fines herbes fraîches. Je me suis dit qu’il y avait de la place pour ça chez nous. »

Quatre décennies plus tard, les Fermes Trudeau emploient 450 personnes à temps plein et 250 à temps partiel dans ses installations du Québec, de la République dominicaine et du Mexique.

Comment donc ne pas être intimidé par un individu possédant une telle feuille de route ? Mais c’est mal connaître Gérard Trudeau. Car son attitude est tout à l’opposé. Plutôt que d’avoir « la grosse tête », il se montre modeste, affable et chaleureux. Quand il s’adresse à vous, il vous donne l’impression d’être la personne la plus importante qu’il rencontrera ce jour-là.

Les participants au déjeuner-conférence qui le connaissaient déjà bien n’ont pas dû être étonnés qu’il veuille parler de l’humain plutôt que de l’entreprise. « C’est parce qu’au fond, derrière une entreprise, il y a un être humain qui la dirige », a-t-il lancé.

L’humain sous l’angle de l’attitude, notamment. L’attitude que l’on a envers sa famille, son personnel, ses clients ou ses fournisseurs. « On doit réfléchir à notre attitude, car, estime-t-il, c’est la plus puissante force dans notre vie et nous en sommes responsables. L’attitude, c’est ce qui ouvre les portes de la société ou qui les referme. »

« Si l’on sème du blé, on va récolter du blé, dit-il sur un ton poétique. Si l’on sème du gazon, il va pousser du gazon. Si l’on sème la joie, la joie jaillira. Si l’on sème l’amour, l’amour naîtra. Si l’on sème le bonheur, le bonheur resplendira. La semence que l’on sème sera la récolte que l’on fera. »

Le conférencier rappelle que nos paroles sont liées à notre attitude, tout comme nos actions et nos habitudes. Et même nos pensées. « Ce que nous pensons façonne notre identité, croit-il. Nous avons le pouvoir de choisir les réponses dans chaque situation. »

Il insiste sur le fait que l’attitude peut se travailler. « Ma mère craignait les étrangers, raconte-t-il. Moi, j’ai fait 100 % le contraire de vivre avec cette crainte. Je ne me suis pas arrêté à ça. Je me suis dit que j’étais capable de faire différemment. Et je l’ai fait de manière extrêmement poussée. »

L’attitude est alimentée par la connaissance, perçoit-il. C’est par la lecture qu’il a choisi d’aller chercher ces connaissances. « Il y a des livres fantastiques sur le sujet », rapporte-t-il. Il a misé beaucoup également sur l’écoute des gens. « On apprend beaucoup des autres, dit-il. Chaque personne avec qui tu parles t’apporte quelque chose. »

D’ailleurs, Gérard Trudeau dit accorder beaucoup d’importance à sa vie sociale. Au point d’en avoir fait ce qu’il appelle un pilier dans sa vie. Un de ses quatre piliers, pour être précis. Les autres, c’est sa famille, à savoir sa conjointe et ses deux fils, tous impliqués dans l’entreprise. Ce sont ses partenaires d’entreprise et ses employés-clés.

Enfin, c’est la santé. « Un corps en santé, c’est le seul outil que je possède pour atteindre mes objectifs, raisonne-t-il. Il faut lui faire attention. » Visiblement, il a bien appliqué ce principe, car à 81 ans, il demeure encore très actif.

Il encourage chacun à partir à la découverte de qui il est véritablement. À la découverte de son âme. « Déterminez vos valeurs fondamentales, vos idées, vos croyances, la façon dont vous voulez vivre, propose-t-il. Tu ne veux pas vivre l’âme d’une autre personne, car le bonheur ne t’animera jamais. Tu seras toujours à la recherche de quelqu’un que tu n’es pas. »

« On n’a pas l’habitude de penser à ce qui est important pour nous, déplore-t-il. Quelles sont nos attentes ? Sont-elles les nôtres ou celles de quelqu’un d’autre ? Si ce sont celles des autres, il y a de grandes chances qu’on arrive à de la frustration ou à de l’insatisfaction. La réussite, ce n’est pas le fruit du hasard. Ça commence avec nous-mêmes. »

Bien se connaître permet d’établir ce qu’il appelle son intention de vie. « Je comprends l’être que je suis et je vais l’amener là où je veux aller, dit-il. C’est mon intention de vie. Je fais confiance au pouvoir de mon intention. »

Il souligne l’importance de communiquer ses attentes à ses proches. « Faites-leur part de votre intention, de votre objectif, et voyez avec eux si ça correspond avec les leurs. Si par exemple je veux racheter la ferme de mes parents, est-ce que cela fait l’affaire de ma conjointe ? »

Il peut être difficile de voir clair en soi. C’est pourquoi Gérard Trudeau recommande de se donner un mentor. « L’entrepreneur est souvent seul, souligne celui qui a lui-même fait du mentorat pendant dix ans. Un mentor, c’est une personne à l’écoute. Ce n’est pas une personne qui va vous dire quoi faire. Ce n’est jamais le mentor qui a la solution. Mais le mentor va vous aider à aller au plus profond en vous et la solution va émerger d’elle-même. »

Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas malgré tout des périodes plus difficiles. Cet homme d’affaires en sait quelque chose. « Des épreuves, j’en ai vécues, raconte-t-il. En 1998, par exemple, il y a eu la crise du verglas. En dépit de cela, nous devions quand même continuer d’approvisionner nos clients. La même année, en République dominicaine, un ouragan a jeté au sol 700 000 pieds carrés de serre. »

De ces moments tragiques, il a tiré la leçon qu’il faut développer sa résilience. « La résilience, explique-t-il, c’est la capacité de bien s’adapter aux difficultés et à l’adversité et de s’en remettre. Devenir résilient peut être enrichissant et favoriser une croissance personnelle en profondeur. Ça nous prépare à faire face aux épreuves de la vie. »

Devant un auditoire attentif et silencieux, Gérard Trudeau a terminé sa présentation en confiant qu’un journaliste lui a déjà demandé pourquoi il était revenu à l’agriculture après avoir occupé de hautes responsabilités au sein de grandes organisations.

« J’ai vécu sur la ferme de mes parents jusqu’à l’âge de 18 ans, explique-t-il. Traire les vaches à la main… Sarcler des betteraves à sucre… J’ai accompli tous les travaux de ferme ! Je me souviens que quand je suis allé étudier en comptabilité à l’université, mon grand-père m’a dit : “Mon petit gars, t’es le premier qui rompt avec la tradition”. J’ai répondu au journaliste que si j’ai quitté l’agriculture, c’est pour mieux y revenir. J’ai découvert que mon âme, c’est agriculteur malgré toute la carrière que j’ai pu faire en-dehors de l‘agriculture. Quand je dois présenter mon curriculum vitae, la première chose que je mentionne, c’est fils d’agriculteur. Ce sont mes racines. Et mes racines, je suis heureux de les avoir partagées avec vous. »

Les aptitudes du gestionnaire

Gérard Trudeau raconte qu’à l’époque où il faisait du mentorat, il a dressé la liste des aptitudes qu’un gestionnaire devait posséder. Il voulait en faire un outil à l’intention d’un entrepreneur qu’il accompagnait et qui éprouvait des difficultés. « Il a tellement apprécié ma liste qu’il l’a fait encadrer », lance-t-il avec fierté. La voici :

  • Visionnaire
  • Discipliné
  • À l’écoute
  • Croit que s’entourer de gens forts contribue à sa réussite
  • Communicateur
  • Sait déléguer sans perdre le contrôle
  • Ne craint pas de valider ses produits auprès de ses clients
  • Soucieux de réaliser de la recherche et développement
  • Soucieux de comparer ses résultats mensuels avec son plan d’affaires
  • Intègre
  • Authentique
  • Sait prioriser afin de ne pas perdre le focus
  • Sait apprécier ses réussites
  • Sait comprendre la réalisation de son bonheur
  • Passionné
  • Humble

Pour visionner la conférence : lebulletin.com/conferences-2024

À PROPOS DE L'AUTEUR

André Piette

André Piette

Journaliste

André Piette est un journaliste indépendant spécialisé en agriculture et en agroalimentaire.