450 $CAN/tonne, un nouvel objectif pour le maïs dont nous rêverons longtemps?

Publié: 23 juillet 2022

,

450 $CAN/tonne, un nouvel objectif pour le maïs dont nous rêverons longtemps?

Le marché du maïs s’est passablement dégonflé dans les dernières semaines. C’est vrai à Chicago, mais aussi au Québec.

À Chicago, les fondamentaux sont encore là dans une certaine mesure pour soutenir les prix.

  1. On prévoit encore des inventaires américains (et jours de réserve US) assez serrés pour la prochaine année aux États-Unis.
  2. Une portion du sud, sud/ouest du Midwest américain a été frappé de plein fouet par des conditions beaucoup trop sèches dans les dernières semaines. Le débat fait toujours rage à savoir si le rendement global moyen aux États-Unis en sera vraiment affecté ou non. Mais a priori, on s’entend qu’en principe, la prochaine récolte américaine ne devrait pas être révisée davantage à la hausse.

Maintenant, les éléments que je trouve un peu plus ambigus…

Demande et exportations de maïs US – Les chiffres du côté de la demande de maïs US sont à la baisse. C’est spécialement vrai pour la consommation animale qui devrait atteindre son plus bas niveau en six ans au cours de la prochaine année. Mais, on prévoit aussi un recul des exportations US de maïs pour une 2e année.

À lire aussi

450 $CAN/tonne, un nouvel objectif pour le maïs dont nous rêverons longtemps?

Plus de maïs québécois d’exporté cette année?

On m’a demandé si j’anticipais une hausse plus importante du prix du maïs au Québec cette année, étant donné que la demande à l’exportation était plus forte que la normale cette année. C’est une excellente question, mais difficile à répondre.

Éthanol US – On se montre encore très optimiste pour la demande du côté de l’éthanol US qui devrait atteindre dans la prochaine année un record de 136,5 millions de tonnes. Je me gratte néanmoins un peu la tête.

Aucun doute que la demande de pétrole (par ricochet d’essence et d’éthanol) dépasse toujours l’offre et que la guerre Ukraine vs Russie n’aide en rien. Par contre, l’inflation continue de monter en flèche et les banques centrales en sont à tenter maintenant d’éteindre les feux à coup de hausse de leur taux directeur comme on n’en avait pas vu depuis des décennies. Au net, tout ceci devrait entraîner un ralentissement économique. À savoir si nous tomberons en récession? Certaines grandes banques ont déjà affiché leur pronostic, oui pour 2023…

Ceci dit, un ralentissement économique (… ou pire récession), ne colle pas nécessairement avec l’idée qu’on puisse avoir « plus » de demande de pétrole, mais plutôt le statu quo, sinon un recul.

Bref, sans être expert des marchés de l’énergie, on peut quand même s’interroger si oui, vraiment, il y aura encore plus de demande d’éthanol dans la prochaine année.

Guerre en Ukraine – Quand la guerre avec la Russie a éclaté, en février dernier, les prévisions les plus sombres faisaient les manchettes. Je me rappelle que les plus pessimistes parlaient que le pays n’obtiendrait que le quart de sa récolte record de l’an dernier (42 millions de tonnes). Le fait est que finalement, sans être une bonne récolte, on parle maintenant qu’elle devrait reculer de plutôt 30-40% par rapport à l’an dernier. C’est considérable, mais pas nécessairement le scénario catastrophique qu’on envisageait.

Ensuite, il y a tout le débat à savoir si la Russie permettra de nouveau à l’Ukraine d’exporter du grain ou non, et si oui, quelle quantité? À ce sujet, les possibilités restent nombreuses. Mais à mon avis, tôt ou tard, il y aura une ouverture pour que des volumes plus intéressants de grains et céréales ukrainiens soient exportés. C’est d’ailleurs ce que laissent entendre les négociations en cours avec la Russie…

Bref, nous sommes partis d’un contexte très préoccupant au début de l’invasion russe en Ukraine en février à une situation où, aujourd’hui, on peut entrevoir des scénarios moins inquiétants. Rien n’est nécessairement résolu, et des imprévus sont certainement toujours possibles. Mais, tranquillement, nous allons dans la bonne direction pour dire qu’il y aura bel et bien une récolte « correcte » de maïs ukrainien, et qu’il pourra trouver des canaux pour être écoulé sur le marché de l’exportation.

De ces différents éléments, ce que je veux que vous reteniez finalement, c’est que nous n’allons pas nécessairement dans la bonne direction présentement pour que le prix du maïs à Chicago grimpe de nouveau de manière vraiment intéressante. Bien sûr, il y a encore la possibilité d’imprévus météo majeurs d’ici les récoltes aux États-Unis. La situation en Ukraine reste également explosive. Et qui sait quoi encore…

S’il y a une chose que les deux dernières années nous ont apprise dans le marché des grains, c’est que des imprévus en série, c’est possible. Ce ne sera donc certainement pas moi qui irai dire haut et fort que l’incroyable rallye que nous avons connu est terminé pour de bon; que nous ne verrons pas le maïs à Chicago retourné à ses sommets du printemps dernier à plus de 8,00 $US/bo.

Mais pour l’instant, avec ce que nous avons sous la main comme information, au mieux nous verrons à mon avis le marché du maïs à Chicago se stabiliser à plus de 5,00 $US/bo dans les prochaines semaines, et peut-être ensuite gagner un peu de traction après la récolte.

Au Québec, le revers du marché du maïs aura été assez cuisant aussi. Il n’y a pas encore si longtemps, au printemps, on flirtait avec 450 $CAN/tonne pour du maïs. Depuis, nous l’avons vu plonger autour de 300-320 $CAN/tonne. Pour la récolte, selon les informations que j’ai et les régions, on parle de seulement 270 à 290 $CAN/tonne.

Ce qui est cependant le plus frappant, c’est la chute libre de la « base* » locale du maïs qui a plongé à partir de la mi-juin nettement sous les niveaux des dernières années, présentement autour de 0,10-0,20 $US/bo. Normalement, nous devrions plutôt graviter autour de 0,60-0,80 $US/bo, selon les années. Et ce recul est d’autant étonnant qu’il est survenu au même moment que la chute du marché à Chicago. Seul élément positif s’il en est un, le $CAN qui reste très faible, ce qui supporte un peu notre prix en $CAN.

Cette faiblesse de notre base locale en dit long. Pendant des mois, la force de la demande locale et à l’exportation pour notre maïs aura nettement joué en faveur des prix ici, au Québec. Mais le vent semble tourner, avec certainement beaucoup de maïs qui aura finalement été importé au Québec à partir de l’Ontario, sinon peut-être même des États-Unis cet été. Je suspecte aussi que plusieurs producteurs ont encore quelques tonnes de maïs sous la main, ce qui avec celui venu d’autres régions, crée un contexte local particulièrement défavorable pour les prix.

Maintenant, à quoi peut-on s’attendre à partir d’ici considérant que :

  • Nous avons plus de superficies semées cette année en maïs au Québec.
  • Les rendements s’annoncent pour le moment prometteur cette année (Voir État des Cultures – – -> Le Bulletin ou – – – > Grainwiz)
  • Tout comme pour ce qui se passe aux États-Unis et dans le monde, on peut certainement se questionner sur la demande locale et à l’exportation pour le maïs du Québec.
  • À Chicago, comme nous l’avons vu, nous avons un potentiel de hausses intéressantes qui s’effrite.

Je ne jouerai pas au jeu des devinettes en lançant des projections de prix pour notre maïs au Québec pour les semaines et mois à venir. Comme toujours, des imprévus peuvent certainement chambouler complètement les perspectives pas nécessairement très encourageantes qu’on peut avoir présentement. Mais a priori, nous n’allons pas dans la bonne direction, et ce 450 $CAN/tonne que nous avons vu au printemps dernier prend de plus en plus la forme d’un prochain objectif dont nous rêverons encore longtemps dans les prochaines années.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean-Philippe Boucher

Jean-Philippe Boucher

Collaborateur

Jean-Philippe Boucher est agronome, M.B.A., consultant en commercialisation des grains et fondateur du site Internet Grainwiz. De plus, il rédige sa chronique mensuelle Marché des grains dans le magazine Le Bulletin des agriculteurs.