Creux récolte, est-ce que le prix du maïs peut encore nous surprendre?

Publié: 16 octobre 2024

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Creux récolte, est-ce que le prix du maïs peut encore nous surprendre?

Nous y sommes, nous pouvons maintenant dire que la récolte de maïs est officiellement commencée au Québec. Selon l’État des cultures, en date de ce jeudi 10 octobre, nous étions à plus de 10% récoltés pour l’ensemble des régions sondées.

Comme c’est généralement le cas chaque année, nous devrions ainsi atteindre notre creux récolte prochainement pour le prix du maïs au Québec. Si je me fie aux données que j’ai, à l’œil, ce devrait être autour de la fin octobre, début novembre, probablement autour de 210 à 215 $/tonne. Peut-être un peu plus (je l’espère bien), mais peut-être un peu moins aussi.

Dire que le prix du maïs au Québec a passablement baissé dans la dernière année est malheureusement un euphémisme. L’an dernier, le creux de la récolte a été à plus de 240 $/tonne, alors qu’il y a deux ans, on parlait de pas loin de 330 $/tonne comme creux récolte. Au moins, un peu se consoler un peu en se disant qu’il n’y a pas encore si longtemps, 3-4 ans, les creux récolte tournaient davantage autour de 190 $/tonne, parfois même moins.

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Mais la vraie question qui se pose maintenant, je crois, c’est : « Qu’est-ce qui pourrait bien faire grimper « vraiment » le prix du maïs dans les prochains mois? » Je ne parle pas de 5 à 20 $/tonne, mais plus de 40 à 50 $/tonne ou mieux…

D’ailleurs, ce n’est pas SI rare que ça qu’au Québec le prix du maïs affiche une hausse intéressante suivant la récolte. En fait, si je regarde les 14 dernières années (2010-2011 à 2023-2024), c’est arrivé 7 fois, donc 50% du temps. La nuance, et elle est importante, c’est que sur ces 7 années plus intéressantes, seul 3 ont affiché des hausses vraiment exceptionnelles (un gain de plus de 50-100$/tonne par rapport à la récolte).

Années exceptionnelles (gain du prix du maïs au Québec de plus de 50 à 100$/tonne et plus)

On parle des années 2010-2011, puis de celles plus récentes de 2020-2021 et 2021-2022.

Et qu’est-ce qu’on en commun ces années? Oui, de mauvaises récoltes américaines. Réponse facile. Mais également un choc de la demande…

2010-2011 – Bien que la politique sur la production d’éthanol aux États-Unis date de 2007, les répercussions de celle-ci ne se sont vraiment fait sentir que dans les années suivantes. En chiffres, la demande américaine pour l’éthanol tout juste avant 2007 était autour de 50 millions de tonnes. Trois ans plus tard, en 2010, elle avait plus que doublé à plus de 125 millions de tonnes. On parle quand même d’un bond incroyable et très rapide de la demande de 75 millions de tonnes. Il ne manquait plus que de la mauvaise météo, ce qui est survenu en 2010-2011 et fut par la suite exacerbé par la sécheresse historique de 2012 dans le Midwest américain.

Période de 2020 à 2022 – J’ai entendu différentes hypothèses sur l’origine du dernier rallye incroyable que nous avons connu dans les dernières années… c’est l’inflation, la COVID-19, les mauvaises récoltes américaines, la guerre en Ukraine, etc., etc.  Et il y a un peu de vrais dans tout ça, bien sûr. Mais pour suivre et analyser les marchés au quotidien depuis des années, beaucoup ont oublié à mon avis LE facteur qui a vraiment déclenché ce rallye et qui a propulsé le prix du maïs au Québec à des sommets de plus de 400-425 $/tonne : la Chine qui a caché son jeu jusqu’à la toute dernière minute. Hypocrite va…

Pour faire court, on se rappelle que c’est en janvier 2020 que c’est terminé la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine. Or, avec la fin de cette guerre, les marchés avaient anticipé une reprise des importations chinoises de soya américain. Ce fût le cas. Par contre, aucune prévision, statistiques, pas plus que de chiffres diffusés par la Chine elle-même ne permettaient d’entrevoir la forte hausse des importations chinoises de maïs américain qui a pris forme à partir de l’été 2020.

À preuve, au printemps 2020, les estimations du rapport mensuel du USDA (WASDE de mai) indiquaient qu’on devait prévoir des importations chinoises de maïs de 7 millions de tonnes dans la prochaine année. Quelques mois plus tard, à la fin 2020, nous étions passés à 16,5 millions de tonnes. Puis finalement, au printemps suivant, les importations chinoises de maïs étaient rendues anticipées à 26 millions de tonnes. C’est quand même une demande 3 fois plus importante que prévu. Ce n’est pas rien et surtout sans conséquences, spécialement sur les stocks américains de maïs déjà affectés par deux mauvaises récoltes successives aux États-Unis.

Dans les deux cas, ce qu’on retient de ces années d’exception c’est que c’est vraiment la combinaison d’une moins bonne production ET d’une plus forte demande qui rend possible ces rallyes exceptionnels.

Est-ce le cas cette année?

D’une part, bien qu’en baisse par rapport au record de l’an dernier, la récolte américaine de maïs de cette année devrait s’inscrire comme la 2e plus importante de son histoire. Donc bref oui, un peu moins de maïs américain cette année, mais certainement encore beaucoup de disponibles cette année.

D’autre part, pour l’instant, je ne vois pas comment la demande pour le maïs pourrait vraiment nous surprendre. On sent qu’elle se replace et reprend du pic un peu après avoir été ralenti par les prix à des sommets dans les dernières années. Mais, est-ce qu’on peut anticiper une demande inattendue de 5… 10… 20 millions de tonnes et plus de maïs qui sortirait du chapeau. Je n’ai rien sur le radar de mon côté…

Ceci ne veut pas dire pour autant que nous ne profiterons pas de hausses intéressantes pour autant dans les prochains mois. Juste, pas exceptionnelles selon les informations que nous avons pour le moment.

Les années de hausses intéressantes (gain du prix du maïs au Québec de plus de 30 à 50$/tonne et plus

On parle des années 2011-2012, 2013-2014, 2014-2015 et finalement de 2018-2019.

Une chose qui caractérise ces 4 années, c’est qu’on ne parle pas de hausses pratiquement continues du prix du maïs au Québec de la récolte jusqu’à la suivante. On parle plutôt de hausses qui se sont produites sur 2-3 mois maximum. On constate aussi qu’en trois occasions sur quatre, ces périodes de hausse ont eu lieu à l’été. (juin à septembre)

Enfin, alors que dans le cas d’année exceptionnelle, beaucoup de la hausse du prix du maïs au Québec découlait surtout d’une forte hausse soutenue du marché du maïs à Chicago, dans le cas de ces années de « hausses intéressantes », il y avait un facteur local qui a joué aussi un peu plus en faveur des prix au Québec à partir de l’été. C’est ce qu’on constate qu’en on jette un coup d’œil aux valeurs des bases locales en $US qui ont été fortes, à plus de 0,80-0,90 $US/bo., pour trois sur quatre de ces années.

Et qu’est-ce qui peut entrainer la base locale à se raffermir à l’été suivant?

Soit que la récolte de l’automne précédent a été mauvaise et/ou encore que la demande locale a été meilleure que prévu.

Alors, qu’avons-nous cette année sur la table pour le moment?

Honnêtement, pas encore grand-chose…

Sans qu’elle soit exceptionnelle, on peut s’attendre à une bonne récolte de maïs au Québec cette année. La Tournée des Grandes Cultures arrive autour de 3,8 millions de tonnes (± 0,3 Mt) et Statistique Canada à 3,6 millions de tonnes.

Quant à la demande, on prévoit que ce sera un peu mieux du côté animale (2,4 Mt selon l’outil sur l’offre et la demande de Concertation Grains Québec). Là où il y a à mon avis ambiguïté, c’est sur les stocks de report (ce qu’il reste dans les silos de la récolte de 2023 cet automne) et ce que seront les exportations de maïs québécois dans les prochains mois. Ce sont des zones grises très difficiles à évaluer.

Mais, en principe, si l’outil d’offre et demande de Concertation Grains Québec voit juste, les stocks de report cet automne seraient de 0,55 Mt et la demande totale à prévoir cette année de 3,5 Mt. Donc, au net, avec la récolte de cette année, notre bilan d’offre et demande d’ici la récolte 2025 devrait proposer des stocks de maïs au Québec en hausse à un niveau très confortable de 0,65 à 0,85 Mt.

À priori, les pièces du casse-tête ne fonctionnent donc pas encore cette année pour que nous profitions d’une période de prix à la hausse intéressants au Québec, spécialement à l’été prochain.

Un dernier mot

J’aimerais dire que je me trompe, et c’est tout à fait possible. Après tout, comme j’aime à le dire souvent, essayer de prévoir les prix des grains c’est comme essayer de prévoir la météo. Un rien, et tout peut changer, et c’est tant mieux.

On garde cependant en tête que ce que je viens d’analyser, ce sont 7 années où le prix du maïs a été vraiment plus intéressant après la récolte. Mais, il y a aussi 7 années où ce ne fut pas vraiment le cas …

À défaut de pouvoir prévoir, ce que cette brève analyse met sur la table, c’est qu’il ne faudrait donc pas pour l’instant miser le tout pour le tout sur des prix vraiment intéressants pour le maïs au Québec, encore moins exceptionnels, au cours des prochains mois.

Si vous n’avez pas eu l’occasion encore de feuilleté l’édition de septembre du magazine du Bulletin, je vous suggère d’y jeter un coup d’œil. Dans ma chronique sur le marché des grains, j’y présente un graphique de projection de prix du maïs au Québec qui devrait vous permettre de vous aider à vous fixer des objectifs de ventes pour les prochains mois.

Bon début de récolte à vous tous!

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean-Philippe Boucher

Jean-Philippe Boucher

Collaborateur

Jean-Philippe Boucher est agronome, M.B.A., consultant en commercialisation des grains et fondateur du site Internet Grainwiz. De plus, il rédige sa chronique mensuelle Marché des grains dans le magazine Le Bulletin des agriculteurs.