La révolution de l’IA dans le marché des grains?

Publié: il y a 2 heures

La révolution de l’IA dans le marché des grains?

J’ai commencé à écrire sur les marchés en 2003. À l’époque, je sortais de l’université avec ma maitrise en poche et j’avais été embauché par SynAgri Rive-Nord comme assistant-directeur. C’est là qu’on m’a demandé de m’occuper du commerce de grains. Je n’avais aucune connaissance de ça. J’avais un écran bleu satellite DTN pour suivre les prix à la bourse, et quelques abonnements à des magazines et journaux sur les marchés des grains pour essayer de comprendre ce qu’il se passait. À cette époque, je préparais un résumé à l’équipe de vente pour qu’ils puissent en parler aux producteurs, et nous contacter pour vendre leurs récoltes. Les choses ont évolué de manière incroyable depuis.

On peut dire que l’Internet à la campagne a vraiment pris place à partir de 2004-2005 pour être accessible de manière généralisée à la fin des années 2000. Pour le marché des grains, l’accès à de l’information sur les prix à la bourse et les marchés était par contre encore relativement limité autour de 2010. Il y avait quelques sites Web, surtout anglophones.

À l’exception du fameux BlackBerry (début 2000), les téléphones intelligents ont eux vraiment fait leur entrée avec l’arrivée du premier iPhone en 2007 qui a eu l’effet d’une petite révolution. Je me rappelle avoir acheté le mien à l’automne 2009. C’était incroyable. On pouvait naviguer sur Internet et recevoir nos courriels en tout temps. Mais il y avait plus avec l’introduction des applications mobiles. Elles permettaient de télécharger et d’utiliser des « outils » adaptés aux téléphones intelligents, parfois inutiles, mais souvent aussi très pratiques. Ça va de la simple lampe de poche, de la loupe, de la calculatrice à des applications plus élaborées comme la météo ou encore des outils agricoles plus spécifiques.

À lire aussi

La révolution de l’IA dans le marché des grains?

Que se passera-t-il avec le prix du maïs cette année?

Bien que ce ne soit une surprise pour personne, le couperet est tombé. Non, cette année, la récolte de maïs…

À partir du début des années 2010, le combo Internet et téléphone intelligent a ainsi créé une petite révolution pour le suivi du marché des grains. Avec ses courriels et un accès au Web dans ses poches, il a été rendu possible de s’informer et de rester à jour facilement sur les marchés et les prix des grains en tout temps. Les sites Internet qui offrent de l’information sur les marchés ont passablement augmenté depuis.

Le développement des « réseaux sociaux » avec Twitter, Facebook, etc. et la facilité d’accès aux messages textes (SMS) ont ajouté à l’équation une autre dimension intéressante. Non seulement on peut aujourd’hui s’informer sur les marchés et les prix des grains rapidement, mais on peut aussi plus facilement que jamais en parler avec qui on veut. Que ce soit en textant à un négociant pour s’informer des prix et de la situation, en participant à des groupes de discussion, ou encore en suivant des individus/spécialistes sur par exemple Twitter (aujourd’hui X) ou des pages sur Facebook.

Bref, avec l’Internet, les téléphones intelligents, et les réseaux sociaux, nous nous retrouvons aujourd’hui à des miles du contexte du début des années 2000. Ça me semble bien loin l’époque où, assis sur ma chaise, je regardais un écran bleu pour suivre par satellite les prix de la bourse. Nous vivons aujourd’hui dans un monde où l’information déborde de tout côté et est plus accessible que jamais. Et c’est très positif. L’accès à l’information, c’est la base pour prendre de bonnes décisions.

La toute dernière révolution en marche maintenant, c’est l’Intelligence artificielle (IA). Et bien que l’IA soit accessible au grand public depuis un moment, 2025 a marqué un tournant selon moi. Pratiquement tout le monde peut aujourd’hui consulté facilement et rapidement de l’IA avec Chat GPT, Gemini, Grok, Copilot, Claude, Meta AI et j’en passe. Pour le marché des grains, c’est une autre révolution importante.

On peut déjà depuis un moment suivre les prix des grains et lire de l’information sur les marchés en quelques clics. Mais comme je l’ai écrit plus tôt, nous vivons aujourd’hui dans un monde où l’information déborde. Pas toujours facile avec ce trop-plein de s’y retrouver, et encore moins de se faire une tête pour prendre de bonnes décisions. C’est là que l’IA peut être intéressant. Je ne sais pas si vous avez déjà fait l’exercice, mais je l’ai fait avec le maïs. J’ai posé la question à ChatGPT : « Alors, je vends mon maïs ou j’attends?

Voici sa réponse :

Je ne vous ai pas fourni toute ma conversation avec ChatGPT, puisque mon échange avec lui est assez long. Mais vous pouvez le télécharger ici si vous voulez.

Maintenant, ce que j’en pense? Bien franchement, c’est assez incroyable. À lire sa réponse, je peux prendre ma retraite comme chroniqueur des marchés. ?  C’est très complet et ma foi, je suis impressionné par le niveau de détail sur certains points qu’il a abordés pour en arriver à sa recommandation. Il a évalué la « base », propose des % de ventes à atteindre, analyse le contexte global du marché du maïs, etc. Bref, c’est quand même très complet, assez pour me convaincre qu’on devrait effectivement vendre du maïs maintenant.

Mais je crois qu’il faut faire quand même attention pour l’instant avant de plonger tête baissée dans l’utilisation d’un IA comme ChatGPT pour la mise en marché de ses grains. J’ai utilisé ChatGPT au quotidien au cours de la dernière année pour réaliser plusieurs tâches comme par exemple réparer par étapes mon vieux Honda Rancher (changer un bearing), rechercher des données des grains au Canada, optimiser du code VBA dans mes fichiers Excel, etc. Mon constat, plus la tâche demandée est complexe, plus ChatGPT fait des erreurs ou oublie des informations importantes. Mais là n’est pas le vrai problème.

Le vrai problème, c’est qu’il peut fournir une réponse ou faire une recommandation qui apparait très structurée, complète et solide, et on y croit. Par exemple, comme nous l’avons vu avec sa réponse pour la vente de notre maïs, sa réponse est très étoffée et convaincante. À la lire, j’ai le goût de vendre du maïs « maintenant ». Par contre, cette réponse ne prend pas en compte la mauvaise récolte de maïs que nous avons eu cette année. ChatGPT juge aussi que la base du maïs est « parfaite ». C’est tout à fait vrai si on compare à ce que nous avons normalement comme base en décembre. Mais ceci ne considère pas que cette base est généralement plus élevée à partir du printemps et de l’été.

Loin de moi l’idée de discréditée ici ChatGPT. À l’usage, jusqu’ici, mon expérience me dit surtout qu’il faut mettre au défi l’IA et non s’en tenir à ses premières réponses rapides et très convaincantes. Il faut lui fournir plus d’informations, le mettre au maximum dans le bon contexte et ne jamais s’en tenir à ses premières réponses. Dans le cas qui nous concerne, j’ai fourni quelques informations supplémentaires à ChatGPT. Voici la réponse :

Voici aussi la réponse complète que m’a donnée ChatGPT avec les nouvelles informations que je lui ai transmises. C’est quand même bien différent de la réponse initiale, plus détaillée et plus complet. Mais je suis sûr que si je lui fournis encore plus d’informations, comme par exemple mon coût de production, sa réponse sera encore bien différente.

Bref, ce qu’on retient surtout ici avec mon exemple, c’est que pour l’instant, non l’IA n’est pas encore une solution « fiable » à 100% pour la mise en marché des grains. J’ai fait le test, et ce n’est pas le cas non plus pour suivre les marchés. Si je lui demande par exemple ce qui se passe présentement dans le marché du maïs, sa réponse est excellente. Plusieurs points importants sont abordés et il fait un bon résumé. Je lui donne une note de 7 sur 10. Mais mon expérience me permet de voir rapidement qu’il n’a pas tout couvert, et qu’il n’aborde pas nécessairement certains points critiques importants.

Après l’arrivée d’Internet, des téléphones intelligents, des réseaux sociaux, c’est maintenant la révolution de l’IA qui est en marche. Elle devrait profondément changer la manière dont on travaille et on prend nos décisions. Et je suis certain que cette révolution va se poursuivre dans les prochaines années. Je suis convaincu aussi que tôt ou tard, cet outil va offrir des solutions beaucoup plus complètes et adaptées pour suivre le marché des grains et mettre en marché ses récoltes. Mais en attendant, je ne crois pas que ce soit une bonne idée que les analystes et conseillers en mise en marché des grains aillent faire la file d’attente au chômage. Il y a encore beaucoup de chemin à faire avant que les producteurs puissent compter à 100% sur l’IA pour suivre les marchés et vendre leurs récoltes.  

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean-Philippe Boucher

Jean-Philippe Boucher

Collaborateur

Jean-Philippe Boucher est agronome, M.B.A., consultant en commercialisation des grains et fondateur du site Internet Grainwiz. De plus, il rédige sa chronique mensuelle Marché des grains dans le magazine Le Bulletin des agriculteurs.