Comme toutes les fins de semaine, depuis des années, je fais ce que j’appelle mon tour de piste. Je lis les commentaires d’analystes des marchés, fouille des analyses plus détaillées sur certains sujets de l’heure, regarde les commentaires des producteurs sur les réseaux sociaux, etc.. Bref, je remets les pendules à l’heure et essaie de prendre du recul pour me faire une tête sur la situation dans les marchés.
La fin de semaine dernière, je suis tombé sur un commentaire qui m’a fait tiquer un instant : « Le maïs va-t-il monter à 300$/tonne au Québec? C’est ce que les rumeurs commencent à dire… »
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Plus de maïs québécois d’exporté cette année?
On m’a demandé si j’anticipais une hausse plus importante du prix du maïs au Québec cette année, étant donné que la demande à l’exportation était plus forte que la normale cette année. C’est une excellente question, mais difficile à répondre.
Car effectivement, avec les dernières semaines incroyables dans les marchés, et les prix qu’on voit présentement passer au Québec, 220…225 $ la tonne « récolte », pour du maïs ce n’est pas rien! De ma carrière, voir les prix grimper de la sorte en pleine récolte, spécialement le maïs à Chicago qui a bondi de pratiquement 1 $US/bo (50$CAN la tonne), je n’ai jamais vu ça. Et surtout, on est à l’opposé de ce qui se disait il n’y a pas encore si longtemps, à l’été dernier. Moi le premier, avec les informations que nous avions à ce moment, je pensais plutôt que nous finirions pendant les récoltes « au mieux » à 200 $ la tonne. Alors maintenant, dire qu’on aura 300$ la tonne au cours des prochains mois, pourquoi pas?
Pour que le maïs soit déjà aussi cher alors que nous n’en sommes qu’au tout début des récoltes au Québec, il y a plusieurs raisons.
Chicago – À mon avis, dans le cas du maïs, il y a beaucoup, beaucoup (…trop) de spéculation dans le marché du maïs présentement. Prenez du recul, regardez bien les chiffres que nous avons présentement sous la main. Dit très simplement, les stocks américains de maïs pour cette année restent parmi les 5 plus élevés des 20 dernières années. Est-ce qu’une telle quantité de maïs de disponible justifie un prix du maïs aussi élevé? La réponse est non. Mais alors, pourquoi monte-t-il autant présentement?
Car on spécule. Et on spécule beaucoup sur …
…la Chine qui achète présentement d’importants volumes de maïs américain,
…la récolte de maïs américain qui pourrait être encore « un peu » moins bonne que prévu.
Marché au Québec – Un peu comme aux États-Unis, la situation que nous vivons présentement au Québec, avec un prix à la récolte qui s’annonce beaucoup plus intéressant que prévu, découle de plusieurs facteurs qu’on n’avait pas nécessairement anticipés :
- On savait déjà que la récolte de maïs de cette année serait correcte, sans être exceptionnelle. Les superficies ensemencées étaient à la baisse ce printemps et on a eu une sécheresse quand même importante en début d’été. Selon l’évaluation de la Tournée des Grandes Cultures, on arriverait à une récolte autour de 3,7-3,75 millions de tonnes. On ajoute le gel de septembre dernier, on passe alors à 3,65-3,70 millions de tonnes. C’est suffisant pour répondre au besoin des consommateurs locaux, mais de justesse à mon avis. Donc pas une « grosse » récolte, mais correcte, sans plus, ce qui soutient un peu plus les prix.
- La récolte tarde de plus en plus au Québec. Avec une bonne météo à partir du début septembre dernier, nous aurions peut-être pu voir un peu de maïs de battu à la fin septembre. Mais on est complètement à l’opposé. En date de ce dimanche 25 octobre, selon le Bilan des cultures, nous ne serions qu’à 21%. On parle donc d’au moins 2-3 semaines de retard par rapport à ce qu’on pouvait prévoir. Sauf qu’évidemment, avec ce retard, les consommateurs ont maintenant très faim, et attendent certainement avec beaucoup plus d’impatience du maïs de la récolte. Premier arrivé, premier servi, on grimpe les prix…
- J’ai dit plus haut que la Chine achetait beaucoup de maïs américain présentement. C’est intéressant pour les prix à Chicago, mais aussi pour le prix du maïs au Québec. Car avec cette forte demande chinoise de maïs américain, la valeur de remplacement au Québec est certainement plus forte qu’à la normale. Autrement dit, si je n’ai pas de maïs de disponible au Québec, et si je veux en importer, je dois payer plus cher…
- S’ajoute finalement à ceci de l’exportation de maïs cet automne au Québec. Nous avons donc les meuneries et autres consommateurs qui font pression pour acheter du maïs présentement, mais aussi le chargement de bateaux.
Vous avez donc en ce moment un peu l’équation parfaite pour des prix élevés pour le maïs au Québec.
- À Chicago, qu’ils aient raison ou non, les spéculateurs s’en donnent à cœur joie, et font grimper les prix.
- Localement, au Québec, la récolte tarde, et les consommateurs ont très faim.
Maintenant, est-ce que le prix du maïs montera ensuite vraiment à 300$ la tonne? Ça dépend un peu de comment notre équation s’équilibrera de nouveau dans les prochaines semaines/mois.
Par exemple, si la Chine cesse ces achats de maïs américain, la pression risque de baisser d’un cran à Chicago, comme pour la valeur de remplacement. Nous aurons encore de bons prix, mais il risque de plafonner un peu plus. Atteindre 300 $ la tonne sera plus difficile… Si ensuite nous avons une vague de maïs américain qui rentre dans le marché au Québec, comme ce fût le cas à la fin de l’hiver dernier, on pourrait même voir le prix du maïs baisser.
Par contre, si la Chine continue d’acheter beaucoup de maïs américain, et qu’en plus, la saison débute mal, par exemple aux États-Unis, au printemps prochain, producteurs de maïs, préparer votre bouteille de champagne. Les prix à Chicago vont bondir, et ce sera alors certainement très possible que le prix du maïs au Québec grimpe, et 300 $ la tonne ne sera plus un scénario impossible.
Comme je le dis souvent, on peut cependant réinventer le monde avec des « SI ». Cette année, je ne pense pas qu’aucun analyste, spécialiste ou gourou des marchés n’avait prévu avec justesse l’alignement aussi parfait des astres que nous vivons présentement dans le marché pour proposer de si bons prix. De la même manière, je ne crois pas non plus qu’aucun d’entre eux puissent vraiment prévoir la prochaine équation avec laquelle nous devrons composer pour équilibrer les prix. On peut faire beaucoup de SI, mais il n’y aura toujours qu’une seule réponse à la fin…
Ce qui ne fait aucun doute, c’est que nous démarrons certainement sur de biens meilleures bases que dans les dernières années avec les prix actuels que nous avons pour « peut-être », je dis bien « peut-être », voir le prix du maïs grimper à 300$ la tonne. Ensuite, à savoir si vous voulez miser sur le jackpot ou non est une autre histoire.
Personnellement, et ceci reste mon opinion, vendre à 220…225…230 $ la tonne un peu de maïs, en pleine récolte, surtout si rien n’est encore vendu, ce ne sera jamais une mauvaise décision, qu’il grimpe ensuite à 300 $ la tonne ou non. On ne parle plus de prédiction de prix mais de gestion du risque, sachant que bien des « SI » restent encore en suspens avant qu’on puisse atteindre 300 $ la tonne.