Où s’en vont les marchés?

Publié: 19 juin 2013

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Jean-Philippe Boucher agr., MBA jpboucher@live.ca
Jean-Philippe Boucher agr., MBA [email protected]

Ça fait déjà un certain moment que j’ai trouvé le temps nécessaire pour écrire quelques lignes dans ce blogue. Et pourtant, plusieurs choses auraient bien mérité d’être commentées concernant le marché des grains, à commencer bien sûr par les conditions météo difficiles dans le Midwest américain, les superficies ensemencées et les rendements estimés. Mais, avec le temps, je réalise que de prendre un peu de recul par rapport au tumulte quotidien des marchés n’est pas nécessairement une mauvaise chose en soi. Ça permet entre autres de faire abstraction justement des détails qui ont tendance à prendre trop d’importance à nos yeux et qui, trop souvent, embrument notre jugement.

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On m’a demandé si j’anticipais une hausse plus importante du prix du maïs au Québec cette année, étant donné que la demande à l’exportation était plus forte que la normale cette année. C’est une excellente question, mais difficile à répondre.

Ce que je vous propose donc de faire ici est un survol en altitude de la situation que nous connaissons présentement dans les marchés, en faisant le plus possible abstraction justement de tout ce brouhaha quotidien.

mais spotCôté maïs de la dernière récolte, pour ceux qui n’ont pas encore vendu, on constate que malgré toutes les informations et prévisions qui suggèrent un manque à gagner en sol américain d’ici l’automne, la tendance générale reste à la baisse. C’est ce qu’illustre bien notre graphique. On peut remarquer cependant que depuis quelques semaines, celle-ci cherche à grimper après avoir touché un creux autour de 6,10 $US/boisseau à la bourse au début d’avril dernier. Il est également intéressant d’observer qu’à moins d’un imprévu, le fait de miser sur la possibilité qu’il retourne éventuellement au-dessus de 7,00 $US/boisseau reste assez risqué.  Pas impossible, mais plus risqué…

mais recolteConcernant le maïs de la prochaine récolte, comme le montre notre graphique, encore une fois, nous sommes envers et contre tous sur une pente descendante. Par contre, avec les incertitudes météo rencontrées dans les dernières semaines aux États-Unis, on sent assez bien la nervosité des marchés. De fait, depuis son creux autour de 5,20 $US/boisseau à la mi-mai, le prix du maïs de la prochaine récolte a connu une progression de sa valeur positive, bien qu’assez agitée. Mais encore une fois, même s’il semble chercher à toucher définitivement le fond du baril, la réalité reste que tout se jouera sur un coup de dé: soit que les conditions météos dans le Midwest américain restent précaires et qu’un dernier coup fatal ait lieu en juillet pendant la pollinisation, soit qu’on assiste à un retour à la normale qui ne pourra que forcer alors le prix à nouveau à la baisse.

Pour ceux qui commencent à songer à commercialiser la prochaine récolte, la question est donc ici à savoir à quel point vous êtes prêts à prendre des risques. L’année dernière, ce risque aura été payant, mais cette année… allez savoir? Tout ce que je dirais à ce sujet ici c’est que, aux États-Unis présentement, plusieurs firmes d’analyse et de services-conseils en mise en marché (Allendale, DTN, Farm Futures) n’ont pas hésité depuis deux semaines à donner des recommandations de fermeture de prix de l’ordre de 10% à 30% de la prochaine récolte à des prix cibles variant entre 5,60 à 5,95 $US/boisseau excluant la base.

Maintenant, côté soya…

À ma connaissance, selon les informations que j’ai recueillies auprès de différents intervenants et producteurs, il ne resterait plus encore beaucoup de soya dans les silos du Québec. Mais pour ceux qui s’interrogent à savoir s’il vaut encore la peine d’attendre encore un peu, voici cependant quelques pistes de réflexion.

soya spotComme le montre bien le graphique, ce qui aura certainement été le plus payant aura été de vendre à la récolte. Par contre, ceux qui auront pris leur mal en patience auront malgré tout été en quelque sorte récompensés dernièrement. Avec les niveaux d’inventaires exceptionnellement serrés aux États-Unis présentement, et les demandes de soya et de tourteau de soya qui ne semblent pas dérougir, le prix « spot » du soya est en effet parvenu à réaliser un retour en force très intéressant à la bourse en gagnant plus de 1,50 $US/boisseau (55  $US/TM). Ce n’est pas rien. Et, en principe, la loi de l’offre et la demande étant ce qu’elle est, on peut difficilement anticiper un recul important sans que le prix se maintienne encore à ces niveaux ou plus pour encore un moment, le temps tout au moins de freiner l’appétit insatiable des consommateurs.

Il ne faut cependant pas ignorer pour autant certains risques comme celui que les importateurs américains se tournent d’ici la prochaine récolte vers l’Amérique du Sud. On oublie souvent que la distance entre les installations portuaires sud-américaines (essentiellement le Brésil) et celles américaines du Golf du Mexique n’est pas aussi importante qu’on serait porté à le croire.

Il ne faut pas négliger non plus l’influence négative que pourrait avoir le prix du soya prochaine récolte, advenant qu’en raison d’une récolte américaine prometteuse, celui-ci décide de suivre une pente descendante. Il faut d’ailleurs à ce sujet se rappeler que, entre le prix actuel à la bourse du soya de la dernière récolte et celui de la prochaine, il existe un écart de plus de 2,20 $US/boisseau (80 $US/TM). Cet écart est important et, tôt ou tard d’ici l’automne, il faudra que l’un ou l’autre recule ou grimpe pour qu’éventuellement lorsque le prix « spot » deviendra celui de la récolte il y ait un équilibre qui soit atteint entre les deux.

soya recolteEnfin en ce qui a trait au prix du soya prochaine récolte lui-même, avec les conditions météos difficiles aux États-Unis et l’effet d’incertitude qui rendent nerveux les marchés concernant les inventaires américains très serrés, on constate qu’il aura connu des fluctuations importantes au cours des derniers mois. Comme le montre le graphique, son comportement n’aura cependant pas été aussi positif que celui du prix du soya de la dernière récolte dans l’ensemble.

Malgré la précarité de soya actuellement ressentie aux États-Unis qui préoccupe, les bonnes récoltes sud-américaines de cette année ainsi que la possibilité que celles américaines le soient forcent donc toujours tranquillement le prix du soya prochaine récolte à la baisse. Les dernières semaines auront par contre été « payantes » avec un rebond très intéressant de plus de 1,20 $US/boisseau (44 $US/TM) depuis le creux de la fin avril à moins de 12,00 $US/boisseau. Par contre, un peu à l’image de ce que j’ai mentionné pour le maïs prochaine récolte, plusieurs firmes d’analyse et de services-conseils en mise en marché aux États-Unis semblent ne pas avoir perdu de vue la tendance de fond qui reste subtilement en place pour l’instant. Et, en ce sens, la plupart n’auront pas hésité à suggérer de commencer à fermer des prix pour la prochaine récolte à raison de 10-30% de ventes à un prix cible de plus de 13 $US/boisseau à la bourse. Reste à voir encore une fois ici à quel point de votre côté vous souhaitez prendre plus de risques…

 

 

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean-Philippe Boucher

Jean-Philippe Boucher

Collaborateur

Jean-Philippe Boucher est agronome, M.B.A., consultant en commercialisation des grains et fondateur du site Internet Grainwiz. De plus, il rédige sa chronique mensuelle Marché des grains dans le magazine Le Bulletin des agriculteurs.