« Take the money and run »

Publié: 11 juillet 2017

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Pouring corn grain into tractor trailer after harvest

   * Take the money and run (Prendre l’argent (profit) et se sauver)

L’état des cultures se détériore de semaine en semaine aux États-Unis. Hier, selon la dernière mise à jour sur l’état des cultures :

  • Maïs : 65% dans les catégories « bon » à « excellent », en baisse de -3% par rapport à la semaine dernière et -11% de moins qu’à pareille date l’an dernier. Il faut prendre note cependant que ce pourcentage demeure de +2% supérieur à la moyenne 5 ans.
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  • Soya : 62% dans les catégories « bon » à « excellent », un recul hebdomadaire de -2%. Il s’agit d’une baisse marquée par comparaison de l’an dernier à pareille date à 71%. Ici aussi, il faut néanmoins considérer la moyenne 5 ans qui est très légèrement moins bonne à 61%.
  • Blé de printemps : On parle dans ce cas-ci d’une situation très préoccupante avec le pire état pour les cultures de blé de printemps jamais enregistré avec seulement 35% des cultures dans les catégories « bon » et « excellent ». C’est la moitié moins qu’à pareille date l’an dernier, mais aussi que la moyenne des 5 dernières années.

À l’épicentre de cette détérioration de l’état des cultures aux États-Unis, une sècheresse qui a pris forme dans le Montana et les Dakota du Nord et du Sud, et cherche à s’étirer tranquillement aux sud et vers l’est.

Ajoutant de l’huile sur le feu, les prévisions actuelles proposent des températures excessivement chaudes avec peu de précipitations pour plusieurs des régions asséchées sur un horizon de 6-10 puis 8-14 jours.

Rappelons que les cultures américaines sont sur le point d’atteindre des périodes critiques de leur développement aux États-Unis; le maïs avec la pollinisation qui doit débuter sous peu, et le soya avec la période de remplissage des gousses qui s’amorcera un peu plus tard au début août.

Avec de telles conditions, difficile d’entrevoir que les rendements américains seront à la hauteur des anticipations préliminaires du USDA de 170,7 boisseaux/acre dans le maïs, 48 boisseaux/acre pour le soya et de 48,3 boisseaux/acre dans le blé de printemps.

À priori, c’est dire que l’étau de l’offre se resserrera un peu plus que prévu pour les grains au cours de la prochaine année aux États-Unis.

Pour les producteurs de grandes cultures du Québec, soupir de soulagement : « ENFIN , un imprévu qui jette certainement des bases plus solides aux prix des grains! »

À partir d’ici, la grande question: Attendre que les prix montent où vendre dès maintenant ?

La question est légitime, surtout après plusieurs mois de prix généralement décevants qui n’ont pas vraiment permis d’engranger des profits très intéressants.

Le hic, il s’agit comme en juin dernier d’un marché de météo. Posé cette question revient donc à poser la suivante : « Est-ce que les conditions météo continueront ou non de se détériorer aux États-Unis? »

Pas simple comme question à répondre quand on sait que même avec toutes les technologies disponibles aujourd’hui, la météo peut encore très bien se jouer de nous en l’espace de quelques heures.

Je dois néanmoins reconnaître que les prévisions à moyen terme de cette année du NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) pour les États-Unis n’ont pas été « mauvaises » jusqu’ici avec un certain jeu de quelques jours/semaines. On parlait d’un printemps dans l’ensemble assez humide aux États-Unis, ce fût le cas. On s’attendait ensuite à un mois de juillet anormalement chaud, c’est le cas présentement. Et la suite…

Si on se fie aux cartes de prévisions 3-4 semaines du NOAA, il faut s’attendre à ce que les régions en difficulté aux États-Unis demeurent encore anormalement chaudes avec des précipitations dans la normale jusqu’au début du mois d’août. Sur un horizon 3 mois, les températures devraient également demeurer encore très chaudes avec des précipitations dans la normale. Donc, autrement dit, il demeure encore « possible » que la situation se détériore davantage pour les cultures déjà en état de stress présentement aux États-Unis.

Alors, faut-il attendre encore avant de vendre ou non?

Tout devient ici davantage une question de tolérance au risque. La question n’est pas de savoir si les prix peuvent grimper davantage ou non. Ils le peuvent si on se fie aux prévisions météo actuelles.

La question est plutôt de savoir si votre entreprise peut se permettre ou non de miser sur la météo pour obtenir de meilleurs prix? La nuance est importante.

Dans le premier cas, on peut se fermer les yeux, risquer et gagner le jackpot ou non. Dans le deuxième, on s’interroge avant à savoir si on fait déjà de l’argent, puis s’il apparaît opportun de prendre un risque supplémentaire. À défaut de prévoir, spécialement la météo, il n’est parfois pas mauvais d’être prudent. Ce fût le cas en juin dernier, et ce pourrait encore être le cas cette fois-ci. Comme le dit l’expression anglaise :  « Take the money and run »!*

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Note à cette chronique

Je l’ai dit et le répète souvent. Les marchés météo sont certainement une excellente opportunité de vendre à de meilleurs prix. Le problème fondamental de ce type de marché est qu’il est fortement imprévisible.

Par nature, je suis conservateur dans mon approche. Je préfère donc engranger des profits avec assurance, plutôt que miser sur le gros coup d’argent au risque de me ramasser les poches vides.

Bien entendu, à chacun son approche et sa philosophie sur le sujet. Je connais des producteurs et négociants qui ont un excellent flair quand vient le temps de vendre dans le mile. Je peux cependant les compter sur mes doigts. À l’opposé, je n’ai certainement pas assez de mes deux mains pour compter le nombre de fois que j’ai discuté avec des producteurs qui me répètent : « J’aurais donc du vendre… ».

On ne prévoit pas les marchés, mais on peut prévoir ses profits.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean-Philippe Boucher

Jean-Philippe Boucher

Collaborateur

Jean-Philippe Boucher est agronome, M.B.A., consultant en commercialisation des grains et fondateur du site Internet Grainwiz. De plus, il rédige sa chronique mensuelle Marché des grains dans le magazine Le Bulletin des agriculteurs.