Une dernière taloche derrière la tête

Publié: 11 novembre 2015

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Jean-Philippe Boucher agr., MBA jpboucher@grainwiz.com
Jean-Philippe Boucher agr., MBA [email protected]

Fidèle à lui-même, le USDA a de nouveau surpris cette semaine avec son rapport mensuel, et pas nécessairement de manière très positive.

Un peu comme au Québec, la saison a été en dents de scie aux États-Unis côté météo. On peut particulièrement se rappeler la période des ensemencements qui s’est étirée jusqu’en juillet pour le soya dans certains États américains : trop de pluie, trop de temps frais, et même, des inondations dans certains cas.

Je me rappelle encore à ce moment les rumeurs qui fusaient de toutes parts. Certains producteurs américains annonçaient haut et fort qu’ils n’obtiendraient pas de bons rendements, photo de champs les deux pieds dans l’eau à l’appui. Des spécialistes réalisaient de leur côté des observations dans les régions touchées par le mauvais temps, et n’hésitaient pas à parler de rendement très ordinaire à prévoir. Sur les fils des réseaux sociaux (Twitter, Facebook, et blogues), les discussions allaient bon train sur une saison qui s’annonçait difficile et décevante.

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Plus de maïs québécois d’exporté cette année?

On m’a demandé si j’anticipais une hausse plus importante du prix du maïs au Québec cette année, étant donné que la demande à l’exportation était plus forte que la normale cette année. C’est une excellente question, mais difficile à répondre.

Bref, la machine à rumeurs roulait à plein régime, ce qui n’aura pas laissé indifférents les marchés. Début juillet, nous avons ainsi assisté à un beau « rallye météo » qui a permis aux prix à Chicago de bondir sans difficulté à plus de 4,50 $US/boisseau dans le maïs, et 10,50 $US/boisseau dans le soya.

Les années à surveiller les marchés m’auront cependant donné de la perspective comme aime à le dire mon collègue Philip Shaw. Plutôt que d’embarquer dans la machine à rumeurs en juillet, je me rappelle avoir eu le réflexe de me dire : « Et si toutes ces observations, articles dramatiques sur la situation aux États-Unis, et commentaires de certains producteurs américains n’étaient qu’une enflure médiatique? »

Après tout, qu’est-ce qui capte davantage l’attention? Un champ inondé chez un producteur au Kansas, comme cette statistique relayée des milliers de fois sur Twitter rapportant qu’un record de plus de « 10 pouces » d’eau de précipitations en mai avaient été observées au Texas et en Oklahoma (Texas and Oklahoma Set All-Time Record Wet Month; Other May Rain Records Shattered in Arkansas, Nebraska)? Ou plutôt un beau champ de maïs qui a bien démarré la saison? Je vous le demande…

Le fait est qu’il se sera cultivé près de 172 millions d’acres en maïs et soya cette année aux États-Unis. C’est plus de 620 fois les superficies cultivées en maïs et soya au Québec. Et pourtant, juste à notre échelle, nous observons de grandes différences d’une région à une autre entre les conditions météo et l’état des cultures. Alors, imaginez maintenant aux États-Unis…

On s’est énervé à l’été, on a crié au loup, puis le USDA a remis les pendules à l’heure une 1re fois en août dernier : les rendements ne seront pas aussi mauvais que les rumeurs le laissent entendre.

Les marchés ont douté de ces chiffres, et finalement, trois mois plus tard, le résultat est là : nouvelle récolte record de soya américain, et 3e récolte de maïs en importance pour les  États-Unis.

On peut chercher de midi à quatorze heures des raisons de dire que ce n’est pas possible, que le USDA est dans l’erreur ou qu’il joue avec les chiffres. Sauf qu’envers et contre tous, les marchés doivent composer avec cette réalité, ce qui implique un autre cuisant revers pour les prix des grains.

Hier à Chicago (10 novembre), les prix ont ainsi plongé de nouveau à des creux inégalés. Le marché du soya est particulièrement affecté, avec un creux qu’il n’avait pas atteint depuis mars 2009 à 8,50 $US/boisseau. Les marchés du maïs et blé n’ont pas été épargnés non plus, encaissant eux aussi un recul sous des niveaux clés. Est-ce vraiment une mauvaise chose par contre? Pas nécessairement…

Mois après mois depuis juillet, la dynamique des marchés s’est corsée pour les prix des grains cette année avec, comme c’est généralement le cas, un creux saisonnier à la récolte. Le dernier rapport du USDA se veut donc le dernier clou de cercueil. Après quoi, il semble difficile de voir un contexte qui pourrait s’envenimer davantage.

En fait, pour que la situation tourne encore plus au vinaigre, il faudrait que la consommation de grains ralentisse davantage, ou encore que les récoltes sud-américaines à l’hiver prochain soient plus importantes que prévues.

Dans le premier cas, on peut difficilement envisager moins de consommation avec des prix qui n’ont pas été aussi bas depuis des années. Dans le deuxième, rien n’est encore impossible, mais on doit reconnaître que jusqu’ici, le début de saison n’a pas été facile pour les producteurs sud-américains.

Comme l’expression le dit : « Après la pluie le beau temps! ». Et, c’est ce qui semble se dessiner à l’horizon pour le marché des grains suivant le rapport du USDA du 10 novembre. Reste à voir dans l’immédiat jusqu’où les prix devront s’enfoncer dans les prochains jours avant d’amortir leur chute une dernière fois.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean-Philippe Boucher

Jean-Philippe Boucher

Collaborateur

Jean-Philippe Boucher est agronome, M.B.A., consultant en commercialisation des grains et fondateur du site Internet Grainwiz. De plus, il rédige sa chronique mensuelle Marché des grains dans le magazine Le Bulletin des agriculteurs.