Malgré des avancées intéressantes dans les années 1990 et 2000, les biopesticides peinent à se faire une place parmi les produits disponibles sur le marché. Selon une chercheuse qui a consacré une partie de sa carrière sur le sujet, la faute en revient aux coûts plus importants pour les produire, mais aussi aux longs délais d’enregistrement à l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA).
Karen Bailey, ancienne chercheuse à Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC) à Saskatoon, a passé une décennie sur un biopesticide, Phoma macrostoma, un champignon agissant sur les pissenlits, le chardon des champs, le trèfle et autres mauvaises herbes à feuilles larges mais n’affectant pas les cultures céréalières. Elle a découvert le champignon dans les années 1990 et a passé les années suivantes à développer les études et tests nécessaires pour enregistrer Phoma macrostoma auprès de l’Agence de réglementation de la lutte parasitaire.
Malgré tout, le biopesticide n’est pas disponible sur le marché au Canada. Bien qu’il contrôle les mauvaises herbes dans le gazon ou les terres cultivées, les entreprises n’ont pas trouvé de moyen de le fabriquer à moindre coût.
À lire aussi

Les grains plombés par les bonnes conditions
Une semaine après avoir engrangé de fortes hausses, les principaux grains repartent de plus belle à la baisse.
« Ce processus était trop coûteux pour n’importe lequel des partenaires de l’industrie et il ne répondait pas à leurs critères d’un retour sur investissement satisfaisant», déclare Karen Bailey.
Les pesticides biologiques sont des produits dérivés de champignons, de bactéries, de minéraux et d’autres sources naturelles. Ils ne sont pas aussi efficaces que les pesticides chimiques, mais peuvent être utilisés dans le cadre d’une stratégie de lutte antiparasitaire intégrée.
Karen Bailey est découragée par les biopesticides et leur utilisation dans l’agriculture à grande échelle, mais AAC voit les choses différemment. Le ministère indique qu’un nombre décent de biopesticides et de produits de remplacement sont homologués chaque année au Canada. « En 2020-2021, sur les 10 nouvelles matières actives approuvées, six étaient des biopesticides. En 2019-2020, sept des 12 nouvelles matières actives étaient des biopesticides. En 2018-2019, sur les 12 nouvelles matières actives, huit étaient des biopesticides », a déclaré un représentant d’AAC dans un courriel. «Dans l’ensemble, environ 1000 produits de cette catégorie sont homologués pour une utilisation au Canada. »
De plus, la ministre fédérale de l’Agriculture, Marie-Claude Bibeau, encourage l’utilisation de produits phytosanitaires qui ne sont pas des pesticides de synthèse. Sa lettre de mandat du premier ministre indiquait qu’elle devrait « soutenir les producteurs alimentaires qui choisissent des approches alternatives de lutte antiparasitaire qui réduisent le besoin de pesticides chimiques ».
Pour remplir ce mandat, AAC a investi 7 M$ dans la recherche et l’adoption d’autres méthodes de lutte antiparasitaire. « La moitié des 25 projets financés dans le cadre de cet investissement développent ou évaluent des biopesticides pour les principaux ravageurs importants », a déclaré AAC. Le ministère a ajouté que la mise sur le marché des biopesticides pose des problèmes :
- Durée de conservation : le produit peut-il être conservé à température ambiante ou doit-il être réfrigéré ?
- Coût de production : Certains produits qui fonctionnent bien dans les essais de recherche ne peuvent pas être produits à un coût qui donne à un produit commercial une marge suffisante pour atteindre le seuil de rentabilité.
- Les biopesticides peuvent ne fonctionner que sur un certain ravageur dans une culture spécifique. C’est excellent pour l’environnement, mais cela limite les opportunités de marché.
- Le produit peut-il être utilisé avec des équipements généralement disponibles sur une ferme ?
« Les biopesticides qui satisfont à ces facteurs, les rendant plus favorables à la commercialisation, sont davantage susceptibles d’être licenciés à un partenaire commercial et d’atteindre finalement le producteur », a déclaré AAC. Les données de l’industrie montrent que les biopesticides sont principalement utilisés sur les cultures horticoles.
Selon la Biological Products Industry Alliance, 76 % de tous les biopesticides ont été appliqués sur les cultures de fruits et légumes en 2018. Les cultures en rangs et les céréales ne représentent que 10 % du marché mondial des biopesticides.
Les scientifiques canadiens ont effectué des travaux approfondis sur le développement de biopesticides pour les grandes cultures, mais peu de produits sont parvenus sur le marché.
Biopesticide dans l’Union européenne
Karen Bailey a pu trouver un partenaire commercial pour son bioherbicide, Phoma macrostoma, et elle a travaillé avec des scientifiques de l’ARLA pour recueillir les renseignements nécessaires sur l’innocuité. Cela a pris des années et a nécessité des investissements importants.
« La plupart des petites entreprises n’ont ni le temps ni les ressources financières pour soutenir ce processus, a-t-elle déclaré. La plupart des organismes subventionnaires n’ont pas le soutien à long terme pour ces projets, ni ne soutiennent le financement des processus réglementaires pour les projets sur lesquels ils n’ont aucune propriété. »
On ne sait pas ce qui arrivera à Phoma macrostoma au Canada. Cependant, il pourrait se retrouver sur le marché de l’Union européenne. Les biopesticides suscitent davantage d’intérêt dans l’UE, où les décideurs politiques encouragent l’agriculture biologique et découragent l’utilisation de pesticides.
« Phoma a été enregistré par une petite entreprise européenne qui espère résoudre certains des problèmes et le commercialiser », a déclaré Karen Bailey.
Source: The Western Producer, Robert Arnason (traduit de l’anglais)