Les vers fil-de-fer: un ravageur à reconsidérer

Un webinaire du MAPAQ réunissant plusieurs agronomes et chercheurs a fait le tour de la question

Publié: 17 mars 2024

Il existe plusieurs espèces de vers fil-de-fer au Québec

Le maïs étant une des deux principales cultures produites au Québec, tout facteur pouvant lui nuire est scruté à la loupe. C’est le cas du ver fil-de fer (VFF) dont les larves peuvent se nourrir des semis et des jeunes plantules de maïs. À un an de l’interdiction d’utiliser des semences traitées aux insecticides, est-ce que les producteurs perdent un outil important à la lutte contre ce ravageur des cultures?

Un webinaire du MAPAQ a offert un portrait très complet et nuancé de la situation grâce aux résultats de plusieurs recherches s’étant déroulées récemment et durant plusieurs années.

En bref, le VFF cause peu de dommages dans les champs au Québec et les éléments de risque sont bien connus. En connaissant les circonstances favorisant la présence de l’insecte, il est relativement facile d’appliquer des méthodes pour le circonscrire. En plus, les méthodes de repérage actuelles donnent de bons résultats et des outils sont disponibles pour aider les producteurs et les agronomes à avoir un portrait fiable de la situation. Et fait à ne pas négliger, dans la majorité des cas, ce sont les méthodes culturales qui sont en cause en cas de pépins avec les semis.

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La durée de vie du VFF varie de un à trois ans, selon l’espèce et selon l’environnement, a présenté Julie Breault, agronome au MAPAQ. Une espèce domine au Québec, soit hypnoidus. Une étude menée de 2011 à 2023 a dépisté 834 champs durant trois semaines consécutives. Sur le lot, 75 champs ont dépassé le seuil économique d’intervention (de 5 à 10%), soit seulement dans 9% des cas. Les relevés indiquent que les populations sont stables au Québec depuis les dernières années.

Les populations de vers fil-de-fer au Québec depuis 2011. Source: MAPAQ

Les régions les plus à risque sont la Montérégie-Ouest, Launaudière et Chaudières-Appalaches. Les sols légers semblent plus sensibles, ainsi que les retours de graminées, surtout dans le cas de vieilles prairies.

Les espèces et les populations de vers fil-de-fer varient selon les régions. Source: MAPAQ

Les méthodes culturales peuvent avoir un impact non négligeable, ce pourquoi il faut leur porter une attention particulière, fait savoir Brigitte Duval, agronome au MAPAQ. Un certain nombre de bonnes pratiques sont recommandées : respecter de bonnes conditions de semis et de taux de semis, préserver la santé du sol et la diversité en favorisant des prédateurs naturels, ou encore mettre en place des rotations longues et diversifiées. Il a été prouvé que le VFF est moins sensible au soya, luzerne, trèfle et canola. Dans le cas d’un retour de prairie, il faut tenir compte du moment de destruction de celle-ci, puisque le VFF préfère des racines vivantes. Le niveau de risque de la prairie devrait être évalué et procéder à un suivi du champ en question pendant les deux prochaines années, surtout si du maïs est choisi comme culture. Même dans le cas des céréales, certaines d’entre elles sont préférées par le VFF. Les plus sensibles sont le blé de printemps, suivi de l’orge, tandis que l’avoine et le blé d’automne s’en tirent le mieux. Et contrairement à ce qu’on pourrait croire, le type de travail de sol n’a pas d’influence sur les populations de VFF.

Les vers fil-de-fer ne représentent que 5,5% des causes aux dommages de plantules de maïs. Source: MAPAQ

Brigitte Duval mentionne que certaines méthodes alternatives de luttes sont étudiées en ce moment. C’est le cas avec l’utilisation de nématodes entomopathogènes (porteurs de maladies) et de champignons, dont les méthodes sont encore au stade laboratoire au CÉROM. Le piégeage de masse avec phéromones est utilisé, mais doit se faire en connaissant l’espèce dominante dans le champ. Des études sont également cours en utilisant des espèces végétales comme la moutarde brune et le sarrasin. Cette dernière affiche des résultats très encourageants, mais les travaux se poursuivent pour développer des applications pour les grandes cultures.

L’agronome a également pris le temps de mettre en relief les limites des traitements de semences. Deux grandes familles chimiques sont utilisées ici, les néonicotinoïdes et les diamides qui sont connues sous divers noms commerciaux. Ces derniers ciblent les VFF qui s’alimentent en début de saison. L’ingrédient chimique libéré ne tue pas les vers, mais ralentit leur métabolisme. Comme ces insecticides sont très solubles dans l’eau, l’effet peut être délavé lors des grands coups d’eau, ou encore être limité en temps de sécheresse, d’autant plus que la molécule chimique n’est active que durant quelques semaines. C’est donc dire que l’impact sera grandement influencé par les conditions du sol après les semis, ce qui est à considérer avec les printemps qui deviennent de plus en plus atypiques. L’efficacité varie également selon les espèces de VFF. Le développement d’une résistance aux insecticides n’est pas non plus à négliger.

C’est cette année qu’on doit mettre en place un suivi pour les semis de 2025. Source: MAPAQ

Le webinaire a permis d’en savoir plus sur les méthodes de dépistage. Sébastien Boquel, chercheur en entomologie au CÉROM et Hélène Brassard, agronome au MAPAQ, ont résumé deux approches dont une dite allégée. Cette dernière demande moins de déplacements au champ, mais offre des taux de validation très élevés, de l’ordre de 85 à 87%. Encore plus intéressant, cette méthode a offert des verdicts sans faille pour l’espèce la plus répandue au Québec de VFF. Les piégeages faits dans les dernières années ont permis de vérifier que les traitements de semences n’étaient pas fondés dans 95% des cas pour les ravageurs de semis et que d’autres facteurs étaient en cause. Pour 2024, les deux experts recommandent de dépister cette année les champs qui seront en maïs l’année prochaine. Dans le même ordre d’idée, il faut poursuivre le suivi d’un champ si ce dernier démontre un risque, en dépistant, par exemple, les zones qui n’ont pas fait l’objet de piégeage. Comme d’autres éléments que les VFF sont en majorité responsables des problèmes de levée, il faut prendre le temps de marcher les champs à ce moment pour déterminer la cause.

Sur le sujet de la lutte intégrée, Stéphanie Mathieu a offert plusieurs recommandations pour 2024 et 2025 recoupant les conclusions des divers experts invités au webinaire. Les retours de prairies sont à surveiller, et bien sûr les champs semés en maïs. Diverses cultures résistent bien, comme le soya, ce qui fait dire aux experts que les traitements insecticides contre le VFF pour le soya sont inutiles. Le suivi d’un champ soupçonné d’être infesté peut se faire de plusieurs manières: en faisant des parcelles comparatives en utilisant des semences avec et sans traitement insecticide, en effectuant un dépistage mais surtout, en surveillant la levée des semis. Et le plus important, il ne faut pas sauter aux conclusions si on voit des VFF. Leur présence n’est pas le signe d’un problème, d’où l’importance de faire un suivi pour confirmer le tout.

Un résumé des mesures recommandées contre le ver fil-de-fer.

Les agronomes ont offert différents outils disponibles gratuitement. Julien Saguez, chercheur en biosurveillance au CÉROM, a présenté plusieurs méthodes disponibles sur le web, dont l’application info-sols.ca  qui permet d’évaluer les niveaux de risque en saisissant diverses données des champs. Les laboratoires sont également disponibles pour aider à déterminer les différentes espèces de VFF.

Le webinaire sera disponible sur la chaîne youtube du MAPAQ dans les prochaines semaines. Il est déjà d’ailleurs possible d’accéder aux deux précédents webinaires offerts depuis le début de l’année sur les grandes cultures.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Céline Normandin

Céline Normandin

Journaliste

Céline Normandin est journaliste spécialisée en agriculture et économie. Elle collabore également au Bulletin des agriculteurs.