Pourquoi vous parler d’un ex-dirigeant de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) décédé le 30 août dernier à l’âge de 91 ans?? Parce que quiconque s’intéresse à l’économie et à la paix mondiale, lui doit beaucoup. Élevé sur une ferme collective où il a appris à conduire des tracteurs et des moissonneuses-batteuses aux côtés de son père, Mikhaïl Gorbatchev a fait des études de droit à Moscou, puis a obtenu un diplôme de l’Institut d’agronomie de Stavoprol. Son ascension est fulgurante au sein du Parti communiste et c’est à titre de ministre de l’Agriculture qu’il visite le Canada au printemps 1983.
Ce voyage dans un pays où l’agriculture est similaire par le climat et la superficie des terres en culture va être déterminant pour Gorbatchev, selon ses mémoires. Car j’ai manqué de peu de rencontrer ce personnage historique. J’ai joint le cabinet du ministre de l’Agriculture du Canada, Eugene Whelan, en 1984, à titre d’attaché de presse. C’est à l’invitation de Whelan, qui avait visité l’URSS en octobre 1981, que Gorbatchev a foulé le sol canadien à Ottawa, à Toronto puis à Calgary. Ses visites sur des fermes canadiennes et ses discussions avec les agriculteurs lui révèlent l’inefficacité d’une économie centralisée et celles des grandes exploitations collectives où il a grandi. Elles lui laissent entrevoir les possibilités d’un marché libre, entrepreneurial, conjugué avec une intervention de l’État mieux ciblée pour appuyer les agriculteurs et développer le secteur agroalimentaire.
De retour à Moscou, il souligne dans un discours « sans un secteur agraire hautement développé, il ne peut y avoir d’économie nationale stable ». Il accède au poste de Secrétaire général du Parti communiste, deux ans après sa visite au Canada, au printemps 1985. Du coup, il devient l’homme le plus puissant de l’URSS. Il entend transformer l’économie de l’union par la perestroïka et aussi par la glasnost, un processus d’ouverture et de transparence menant à des élections libres et à une liberté de presse. Deux événements marquent le quinquennat suivant son arrivée à la tête du pouvoir. La catastrophe nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine, au printemps 1986, l’oblige à admettre au monde entier le terrible accident sous un régime qui, jusqu’ici, baignait dans la propagande et la manipulation de l’information. Ensuite, la chute du mur de Berlin à l’automne 1989 où il refuse de déployer des troupes militaires pour empêcher la réunification de l’Allemagne de l’Est. Mais Gorbatchev a déjà prouvé qu’il est un homme de paix en amorçant un traité de désarmement nucléaire avec le président américain Ronald Reagan à Washington d’abord (1987) où sa visite le consacre au rang de star. Puis, il signe ce traité avec George H. W. Bush en 1991. En voulant mettre fin à la guerre froide, il entend consacrer argent et énergie à ses réformes.
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Malgré son prix Nobel de la paix (1990), ses réformes lui ont échappé des mains comme une anguille. La transition d’une économie centralisée sous près de 70 ans de régime communisme vers une économie de marché ne se réalise pas en un clin d’œil : les comptoirs alimentaires sont vides et les queues sont longues. La grogne populaire monte, l’Union soviétique se désagrège alors que s’entame un duel entre Gorbatchev et Boris Eltsine dans un climat de coup d’État. C’est Boris Eltsine qui remporte la mise. Il devient le premier président élu de la Fédération de Russie en 1991, tandis qu’une quinzaine de pays de l’ex-URSS, dont l’Ukraine, vote leur indépendance.
Ce président russe, imbibé de vodka, se ridiculise sous les caméras du monde entier lors d’une conférence de presse à New York en 1995 en compagnie de Bill Clinton, qui pleure de rire. C’est ce même Boris Eltsine qui a nommé Vladimir Poutine comme premier ministre par intérim en 1999, faisant de lui son dauphin. Ce dernier lui succédera au Kremlin l’année suivante, en 2000, avec un désir de vengeance des humiliations subies et la noire ambition de retrouver la grandeur perdue de l’URSS.
Pour de nombreux analystes et experts, les États-Unis et l’Ouest, dont le Canada, ont laissé tomber Gorbatchev alors qu’il avait un criant besoin d’aide économique et financière pour implanter ses réformes. Les dirigeants occidentaux ont plutôt parié sur Eltsine. Ce rendez-vous manqué avec l’histoire fait que le monde entier en paye le prix fort aujourd’hui.