France, janvier 2003 – « Le Crédit agricole, ce nest pas la banque verte, cest la banque vert-algue », ironise un agriculteur breton, allusion aux algues vertes qui prolifèrent dans les eaux polluées. Dautres agriculteurs, des organisations qui les représentent, estiment que la banque a joué un rôle dans le développement dune agriculture intensive, dont les dommages causés à lenvironnement et en particulier aux eaux sont aujourdhui établis. De fait, personne ne nie le caractère polluant parce que trop intensif de la filière agricole bretonne jusquau tournant des années quatre vingt dix. Michel Clavé, le directeur des marchés des agriculteurs et des professionnels au Crédit agricole SA souligne lui-même : « La production agricole a cru plus rapidement que lutilisation dintrants, donc il ny a pas eu dexcès dans lutilisation de ces consommations intermédiaires. Mais il faut reconnaître que cela na pas empêché un phénomène daccumulation : on a malgré tout ajouté des nitrates aux nitrates, des engrais aux engrais, des pesticides aux pesticides ».
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Au-delà du constat, et outre le rôle joué par les agriculteurs, se pose la question du financement de leur activité. Peut-on dire des banquiers qui les ont soutenus et en particulier du Crédit agricole qui a distribué seul jusquen 1990 les prêts subventionnés par lEtat quils détiennent eux aussi une part de responsabilité pour les dommages causés à lenvironnement ?
Une agriculture « quasi-militaire »
« Lagriculture intensive en Bretagne, cétait quasi-militaire, reprend un responsable politique breton. Il y avait un objectif lautonomie alimentaire et lexportation -, des hommes, des moyens. Tout le monde y est allé sans se poser de question environnementale, car à lépoque on ne se posait pas ce genre de question. Le Crédit agricole, dont les caisses locales sont tenues par de gros agriculteurs et par les hommes politiques, na fait que distribuer les sommes qui étaient consacrées à cet objectif ». Les cadres nationaux du Crédit agricole développent un argumentaire similaire. « Nous avons été pendant des années un outil de la politique agricole, avec notamment la distribution monopolistique des prêts bonifiés, rappelle Michel Clavé. Or nous ne décidions pas de cette politique, menée par lEtat français et, de plus en plus au fil des ans, par Bruxelles ». Selon lui, trois missions étaient alors assignées à la banque des agriculteurs : le financement des petites exploitations, laménagement du territoire et la pérennisation de loutil de production. « Aujourdhui nous ajoutons un quatrième rôle, celui du financement dune agriculture pérenne. Mais à lépoque il ny avait pas de demande sociétale pour cela ». « On ne peut pas rendre le Crédit agricole responsable, parce quil nétait pas seul, poursuit Jean-Luc Bourgeaux, un céréalier de 39 ans, maire de la commune de Cherrueix, ancien membre du bureau dune coopérative agricole et élu de la Chambre dagriculture dIlle-et-Vilaine. Le responsable cest ce quon appelle le « parrain », cest-à-dire lensemble Crédit agricole, coopératives, centres de comptabilité, syndicats. Tout le monde, y compris la banque, avait intérêt à ce que les activités agricoles se développent sans souci des préoccupations environnementales. On arrivait dans une exploitation avec 200000 litres de lait, on conseillait de faire un poulailler. On voulait faire percer la coopérative pour recaser les céréales. Et à la tête de nos syndicats on retrouvait les dirigeants des usines de transformation ».
Aucune intention de nuire
La « banque verte » a logiquement bénéficié de la situation. Aujourdhui 70 % des prêts agricoles émanent du Crédit agricole (contre 80 % en 1990). La part de marché de la banque verte sétablit à 50 % dans le secteur des coopératives et à 25-30 % dans le secteur de la transformation agroalimentaire. « Bien quil préfère aujourdhui mettre en avant sa participation au financement du logement social, il nen a pas moins vécu de cette rente pendant des années », analyse un professionnel. « Cela na dailleurs rien de choquant en soi. Le comportement dun banquier est « naturellement » de maximiser son profit, en particulier si le crédit est subventionné par lEtat. Le système des prêts subventionnés assure à la banque une clientèle captive. Cest pour elle une situation de rente », analyse Catherine Moreddu. « Que le Crédit agricole ait poussé un peu au crédit dans certains cas cest possible, mais on ne peut de toute façon pas dire quil lait fait avec lintention de nuire à lenvironnement, complète Hervé Guyomard, chef du département économie et sociologie rurale de lInra. La prise de conscience collective des dégâts environnementaux est très récente, et les rares écologistes qui existaient dans les années 70 à 90 nétaient pas assez structurés pour se faire entendre ».
Restent ceux qui, à limage du M. Jourdain de Molière, faisaient de lécologie sans le savoir. « Pendant que lagriculture industrielle faisait de la quantité à nimporte quel prix, nous défendions déjà des exploitations de taille plus modestes et nous trouvions normal dentretenir nos talus, remarque Xavier Compain, porte-parole du syndicat Modef des Côtes dArmor. Mais pour dautres cétait effectivement le dernier des soucis ». Bien plus virulent, Camille Guillou, agriculteur dans le département du Morbihan, a couché ses arguments sur le papier dans louvrage « Les saigneurs de la Terre », une charge contre « les sponsors de lagriculture industrielle et polluante ». « Le paysan est devenu de la chair à canon des banques et de lagro-industrie, senflamme-t-il. Nous avons tous plongé dans le système des taux bonifiés, et dû travailler de plus en plus pour rembourser ces prêts à mesure que les prix agricoles baissaient. Conséquence, lagro-industrie et les banques sont aujourdhui aux commandes dune agriculture bretonne intensive et polluante, dans laquelle nous les paysans sommes réduits au rôle de simples techniciens ».
Source : Novethic.fr