Le 17 juillet ne devait pas marquer un changement important dans le marché des grains. La Russie avait manifesté depuis longtemps ses demandes pour prolonger l’entente permettant le transport des grains ukrainiens hors du pays, malgré le conflit entre les deux pays. La communauté internationale s’attendait à ce que le président Poutine renégocie et finisse par prolonger l’entente, comme c’était le cas depuis l’automne dernier.
Cette fois-ci, la Russie a répliqué non pas en attaquant les bateaux naviguant sur la mer Noire, mais plutôt en ciblant les installations agricoles du port d’Odessa, le seul encore sous contrôle ukrainien. En date du 21 juillet, les réserves de grains subissaient une quatrième journée de bombardements russes.
La réaction ne s’est pas fait attendre sur les marchés. Les prix des grains, principalement le blé et le maïs ont grimpé cette semaine.
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Les grains plombés par les bonnes conditions
Une semaine après avoir engrangé de fortes hausses, les principaux grains repartent de plus belle à la baisse.
Jean-Philippe Gervais, économiste en chef à Financement agricole Canada (FAC), avoue sa surprise par rapport au changement de ton de la Russie. « On a eu quelques épisodes dans le passé où la Russie avait menacé de ne pas renouveler l’entente (en octobre 2022 par exemple). Cela a toujours fini par se conclure par une extension. Je voyais cela un peu comme le jeu de la négociation. L’escalade des derniers jours est donc un changement de stratégie », croit le spécialiste.
Jean-Philippe Gervais avance que si ce changement de ton de la Russie a son importance, il ne faut pas oublier d’autres éléments pouvant jouer dans l’évolution des marchés dans les semaines et mois à venir. Il mentionne l’habilité de l’Ukraine et de ses partenaires en Europe à trouver de nouveaux canaux de distribution pour les exportations ukrainiennes, et par la bande, l’accord du secteur agricole des pays affectés, comme par exemple la Pologne. Il faudra également surveiller comment l’Ukraine réussira à cultiver ses terres dans des conditions plus que difficiles pour l’approvisionnement d’intrants et la sécurité des producteurs agricoles. « Déjà le USDA (département américain de l’Agriculture) prédit une baisse importante de production du côté Ukrainien. Et cela pourrait être révisé à la baisse. C’est donc pourquoi on voit les marchés réagir fortement maintenant », ajoute-til.
Il est donc difficile d’avancer que la réaction de la Russie constitue un tournant dans la dynamique des marchés. Les éléments mentionnés plus haut auront un rôle à jour dans l’évolution des prix, mais la météo a un rôle de premier plan en ce moment, ce qui se reflète d’ailleurs dans les prix actuels des grains. « On est dans une période où la météo joue aussi un rôle très important, dit-il. On aura des baisses de rendements dans l’Ouest du pays. Espérons que les précipitations ne causeront pas trop de dommages aux cultures dans l’Est. Il y aussi le Midwest américain qui est très sec et cela pourrait faire monter les prix d’ici l’automne. »
Rentabilité et taux d’intérêt
La dernière mise à jour des perspectives de 2023 pour le secteur des céréales, des oléagineux et des légumineuses de FAC aborde la question de la rentabilité des entreprises agricoles. Pour celles situées dans l’Est du pays, la rédactrice économique Martha Roberts indique que « les marges des cultures (pour une rotation blé d’hiver/maïs/soya) devraient diminuer en glissement annuel, mais demeurer positives jusqu’à la fin de la période de prévision ».
Interrogé sur la question, Jean-Philippe Gervais souligne que chaque entreprise possède des frais fixes et variables qui peuvent être très différents d’une à l’autre (localisation, taille et stade de développement de l’entreprise par exemple), ce qui influence sur la marge en question. « Si on regarde les coûts variables, ceux-ci sont estimés à environ 190$ la tonne pour le maïs et 430$ la tonne pour le soya. Il faut aussi considérer les coûts de la terre et autres frais fixes, donc cela peut pousser le seuil de rentabilité à environ 220$ la tonne pour le maïs et 625$ la tonne pour le soya. »
Pour terminer, la Banque du Canada a décidé la semaine dernière de hausser de nouveau les taux d’intérêt qui se situent maintenant à 5%, afin de juguler l’inflation. Il s’agit de l’augmentation la plus rapide et la plus importante en près de deux décennies. Les scénarios de relâchement de la politique monétaire doivent donc être révisés. La plupart des institutions financières au Canada tablaient sur un recul des taux d’intérêt dès la fin de 2023, mais la banque centrale a clairement indiqué qu’elle voulait contrôler l’inflation, dont ceux de l’énergie et de l’alimentation, avant d’agir dans ce sens.
À partir des plus récentes déclarations de la Banque du Canada, FAC est d’avis que les taux directeurs resteront semblables pour le reste de l’année et une partie de 2024. « La première baisse pourrait être à la fin du printemps 2024 ou au début de l’été, croit Jean-Philippe Gervais. Cela sera fait très tranquillement parce que les mesures d’inflation de base que la Banque du Canada surveille sont autour de 3,5% et 4%. Cela sera difficile d’abaisser l’inflation près de 2% de façon constante. »