Incertitude, changement de ton au département de l’Agriculture des États-Unis (USDA) et absence du sujet de la gestion de l’offre sont quelques-uns des éléments qui ressortent du 101e Forum sur les perspectives agricoles du USDA, tenu en février dernier dans l’État de Virginie, à deux jets de pierre de Washington.
Rarement les présentations faites par l’organe agricole des États-Unis ont retenu autant l’attention, en raison du contexte de tension extraordinaire qui existe entre le pays et le reste du monde. David Tougas coordonnateur économie et commerce à la Direction recherches et politiques agricoles de l’Union des producteurs agricoles (UPA) était présent lors de l’événement et en a rapporté les faits saillants lors d’une présentation en ligne le 9 avril.
D’entrée de jeu, David Tougas a indiqué qu’il ne pouvait extrapoler sur les développements ayant eu lieu depuis la tenue du Forum. Le renversement surprise de la politique tarifaire des États-Unis le 9 avril est un bon exemple de l’incertitude qui règne actuellement. De plus, la question des tarifs n’a pas été abordée directement.
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La Tournée des grandes cultures, dont le but est d’évaluer le potentiel de rendement du maïs et du soya, aura lieu cette année le 19 août dans plusieurs régions du Québec.
Signe du changement en cours aux États-Unis, une présentation de la nouvelle secrétaire au USDA, Brooke Rollins, a reçu un accueil poli, mais qui tranchait avec ceux de ses prédécesseurs. Les communications du département reflètent également l’approche ultra partisane de la nouvelle administration, un autre changement de cap important pour le USDA.
Cette année, le 101e forum du département agricole avait pour thème « Relever les défis de demain, aujourd’hui ». Les perspectives pour les productions végétales, animales et les revenus nets agricoles ont été présentées.
Perspectives végétales
David Tougas a souligné que depuis 2023, le Brésil dépasse les États-Unis pour la production de maïs, ce qui est vrai depuis 2016 à propos du soya. La production de maïs est donc étroitement surveillée, surtout les conditions sur le terrain, tout comme le retard actuel de la deuxième production annuelle qui pourrait affecter les rendements.
Le ratio maïs-soya aux États-Unis est actuellement très bas, ce qui signifie habituellement une meilleure rentabilité du maïs. La substitution entre les deux cultures dans les intentions de semis en faveur du maïs pourrait être plus forte que prévu, ce qui pointe vers une récolte record. Heureusement, la demande est bonne pour la céréale.
Le coordonnateur de l’UPA a souligné l’importance de la trituration qui absorbe beaucoup de la production pour fabriquer du biocarburant, autant sur le marché américain que canadien. Si on résume en prix, ces derniers devraient tourner aux alentours de 10 $US pour le soya, 5,50 $US pour le blé et 4,20 $US pour le maïs, ce qui ramène ce dernier dans ses marges de prix de 2019-2020.
Productions animales
Tous les voyants sont au vert pour les productions animales. Le USDA s’attend à une légère augmentation dans la production de poulet et de porc. L’exception demeure la production de bœuf qui peine à se remettre de ses niveaux plancher d’élevage, une situation présente depuis quatre à cinq ans. Les États-Unis sont même devenus un importateur net, avec deux millions de livres de viande importées par année.
La production est stimulée par des niveaux records de consommation de viande dans les dernières années, la dinde et le veau faisant exception. La consommation de poulet à elle seule a augmenté de 18,7% en dix ans. Contrairement à ce que qui avait été signalé il y a quelques années, il n’y a pas de recul dans la consommation de viande.
Une hausse du prix est anticipée pour toutes les viandes, surtout le bœuf. La production d’œufs a été au centre de l’attention dans les derniers mois avec la crise aviaire qui affecte les États-Unis avec des prix à 8 $US la douzaine. Pour essayer d’enrayer l’épidémie, 180 millions de poulets et poules ont été abattus dans les deux dernières années, a ajouté David Tougas.
La crise semble être davantage sous contrôle avec moins de cas depuis le début de l’année. Le gouvernement américain a également accordé 1G $US pour des mesures de biosécurité, une aide aux producteurs de même que pour favoriser les importations. Les prix des œufs reviennent déjà à la normale. En général d’ailleurs, l’inflation alimentaire est bien contenue aux États-Unis.
La propagation de la grippe aviaire dans les bovins laitiers a fait craindre le pire, mais n’a pas affecté la production. Le coordonnateur de l’UPA indique que les marge dans le secteur laitier sont jugées intéressantes avec des coûts de production en baisse et des marges stables pour 2025.
Revenus agricoles
Les revenus agricoles américains devraient diminuer en 2025 de 1,8%, avec certains postes de dépenses en diminution, dont les intérêts et les pesticides. L’aide du gouvernement fédéral y est pour quelque chose, mais signe que les choses progressaient bien, le revenu net de 180 G$ se situait en haut de la moyenne sur 20 ans, en excluant les paiements.
Le soutien accordé par Washington retient tout de même l’attention, surtout qu’un programme de 31 G$ voté par Biden est présentement sur la glace, le American Relief Act, dont 10 G$ dédiés à une assistance économique aux producteurs agricoles.
David Tougas note que depuis 2018, la moitié des paiements provient de l’extérieur du Farm Bill, ce qui représente 150 $US par hectare pour le maïs-grain et 104 $US pour le soya. Il ajoute d’ailleurs qu’un décrochage a lieu depuis 2018 entre les revenus agricoles au Québec et aux États-Unis et semble s’agrandir. La source des différences semble provenir des dépenses d’intérêt. La valeur des terres, qui suivait la même courbe jusqu’en 2011, diverge de plus en plus. La valeur terres aux États-Unis a d’ailleurs doublé dans l’intervalle, alors qu’elle a quadruplé au Québec, même en comparant avec les terres du Corn Belt et celles de la Montérégie.
Le bio et le marché canadien
La fin de présentation a été consacrée à un survol de différents sujets, particulièrement le Canada.
Le marché du bio demeure fort aux États-Unis, bien que la production soit en baisse depuis 2021, ce qui fait que le pays doive importer pour subvenir à la demande.
La demande pour le canola sera à surveiller puisque la céréale est utilisée pour la production de biodiésel, une partie provenant du Canada. La production future pourrait cependant stagner, selon ce que l’administration Trump décidera de favoriser ou non le biodiésel.
Le nom du Canada a à peine été mentionné, mais cette absence était révélatrice, indique David Tougas. Le Canada est le deuxième marché d’exportation agricole des États-Unis, derrière le Mexique. Avec la Chine, les trois pays représentent 50% des importations des produits agricoles. Les États-Unis dépendant d’un seul marché, le Canada, pour plusieurs secteurs agricoles, comme les fruits et légumes, bien que le nom de ce marché n’ait pas été dévoilé pendant les présentations.
Il était clair toutefois que le Canada est considéré comme un partenaire de premier plan, comparativement à l’Union européenne (UE) et la Chine. Dans la question de la gestion de l’offre, le nom du Canada n’a même pas été mentionné, ce qui tranchait avec les récriminations récurrentes du président américain.
Gregg Doud, ancien négociateur lors du renouvellement de l’ALENA, a plutôt ciblé l’UE avec qui les exportations stagnent depuis 45 ans, particulièrement dans le secteur laitier où le déficit commercial s’agrandit.
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