Tarifs américains : un choc structurel pour le Québec, selon Desjardins

Le rôle des entreprises dans ce contexte est d’éviter de réagir à chaque nouvelle et plutôt de se préparer

Publié: 11 février 2025

Tarifs américains : un choc structurel pour le Québec, selon Desjardins

Le Canada et le Québec vivent une intense période d’incertitude depuis l’assermentation de Donald Trump à la présidence américaine le 20 janvier dernier. Menace de tarifs tout azimut, et même d’annexion aux États-Unis, tout est remis en question depuis trois semaines.

Desjardins a organisé un webinaire le 10 février ayant pour thème l’impact de la nouvelle administration américaine sur l’économie québécoise et sur votre entreprise. Jean-Yves Bourgeois, premier vice-président aux services aux entreprises au Mouvement Desjardins, a débuté en indiquant que les intervenants « allaient essayer de faire la différence entre faits et fiction, (même s’il est difficile maintenant de distinguer les deux) de l’incertitude et de l’anxiété que cela a créé ». Comment, a-t-il ajouté, peut-on utiliser des outils pour se préparer pour la prochaine décennie, et pas seulement les quatre prochaines années?

Selon le vice-président, économiste en chef et stratège, Jimmy Jean, le contexte des tarifs concerne principalement le commerce de biens. En 2024, les exportations du Canada vers les États-Unis étaient de  590 G$, ou 76% des exportations canadiennes totales. À l’inverse, la valeur des biens importés des États-Unis était de 488 G$, pour un surplus commercial de 102 G$, provenant surtout du pétrole. En excluant cette catégorie, le Canada affiche un déficit d’environ 40 G$ avec les États-Unis. « Est-ce un motif sérieux pour expliquer les agissements des États-Unis? » a lancé l’économiste. Selon lui, les explications sont ailleurs, surtout quand on relativise le déficit commercial annuel des États-Unis qui est de 1200 milliards de dollars.

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Jimmy Jean indique que le Canada a un joker dans son jeu, représenté par le dollar canadien. L’économiste invoque que la dévaluation de la devise depuis un an atténue l’impact des tarifs, s’ils devaient être appliqués. Il distingue deux facettes du choc des tarifs; la première pour l’exportateur qui doit baisser le prix de ses marchandises ou assumer une baisse de demande, et la deuxième dans le cas où l’exportateur n’a pas beaucoup de pouvoir de marché vis-à-vis l’importateur.

Mais il y a des situations où le fournisseur (ou l’exportateur) détient un pouvoir du marché parce qu’il n’y a pas d’alternative à ses produits. L’aluminium illustre ce genre de situation, les États-Unis important 60% de leur aluminium du Canada.

Depuis janvier 2024, le huard a enregistré 6,2% de dévaluation, ce qui fait que des tarifs de 10% ont déjà été intégrés ou annulés. M.Jean calcule que la devise devrait perdre encore 65 cents pour annuler de moitié les effets de tarifs de 25%.

Plongée dans la politique américaine

Pour le professeur de science politique à l’UQAM, Frédéric Gagnon, il faut arrêter de réagir à toutes les annonces de Donald Trump, surtout quand on considère qu’il reste 1440 jours à l’administration Trump. Le président ne peut pas faire ce qu’il veut, ce qui se manifeste de différentes manières. Les cours américaines en sont un exemple, car elles remettent en question certains décrets signés jusqu’à maintenant. Les sondages montrent aussi que le soutien à Trump est 48%, ce qui signifie que la moitié de la population américaine est en désaccord avec lui.  D’autres sondages ont indiqué que 40% des Américains étaient contre les tarifs, tout comme certains républicains.

Les réactions des marchés seront aussi à surveiller, surtout s’ils réagissent mal à certaines décisions du président américain. À cela s’ajoute l’inflation qui a permis à Trump de se faire élire. Si elle augmentait, certains pourraient se rappeler que les tarifs sont en cause. Les élections de mi-mandat pourraient aussi amener le président à la prudence pour ne pas perdre ses majorités dans les deux chambres, surtout que la popularité du président décline habituellement avec les années. Les gouverneurs des États, surtout ceux qui ont le Canada comme principal marché, pourrait faire pencher la balance. Les Canadiens ont aussi un poids non négligeable en privilégiant les produits locaux.

« L’instabilité est la nouvelle stabilité », a ajouté Jimmy Jean. Il a rappelé que les décisions actuelles  ressemblaient à ce qui s’était passé au premier mandat de Trump. Du côté du Canada, la réaction du premier ministre Justin Trudeau est jugée bonne. La cohésion entre les provinces envoie aussi un message aux États-Unis, à part l’Alberta qui joue davantage en solo en raison de la particularité de ses exportations. Pour l’instant, le sursis d’un mois est également une bonne chose, ce qui s’apparente à un recul de la part des États-Unis à la suite d’une réaction négative des marchés.

Que peut-on faire face à l’incertitude

Les gouvernements auront un rôle à jouer dans ce chapitre des relations canado-américaines, a déclaré Frédéric Gagnon. Celui du fédéral sera limité par la prorogation du Parlement jusqu’au 24 mars, mais les provinces pourront réagir avec des mesures d’urgences ou de soutien. La latitude économique du gouvernement est différente en raison des déficits, ce qui fait que la marge de manœuvre n’est pas la même qu’au début de la pandémie.

Il s’agit d’une guerre commerciale qui n’a pas grand-chose en commun avec une récession. Si on peut s’attendre à ce que la situation s’améliore graduellement dans le cas d’une récession, l’imposition de tarifs signifie des changements structurels qui demanderont une réponse différente des gouvernements. Certaines entreprises ne seraient plus viables, mais on pourrait soutenir des secteurs avec des marchés d’avenir, tels que l’Asie (qui a un marché de 500 millions de personnes) ou l’Europe.

Le Québec dispose de plusieurs avantages, que ce soit par la présence des minéraux critiques sur le territoire et l’électricité qui est une force d’attraction importante. La Banque du Canada devrait également intervenir par une baisse des taux. Le rôle des entreprises dans ce contexte est d’éviter de réagir à chaque nouvelle et plutôt de se préparer en évaluant leur clientèle, la chaine d’approvisionnement, et aviser ses acheteurs américains sur les impacts des tarifs sur le commerce. Les associations sectorielles sont aussi très actives pour avoir l’information pour leurs membres.

Ce que Trump veut faire

La stratégie du président américain est de faire paniquer pour obtenir plus, c’est dans ce sens qu’il utilise la menace des tarifs pour obtenir des compromis, que ce soit pour la gestion de l’offre, la défense, ou à la frontière. Même s’il s’agit d’un message inquiétant, les faits montrent que ses menaces ne se réalisent pas. Trump a déclaré dans son premier mandat qu’il allait déchirer l’ALENA alors qu’il a renégocié l’ACEUM. Que fait-on à moyen long terme avec notre relation avec les États-Unis? Il faut s’attendre, selon les experts, que le trumpisme ne disparaitre pas avec Trump, c’est pourquoi il faut se préparer à des tensions géoéconomiques pour la prochaine décennie.

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À PROPOS DE L'AUTEUR

Céline Normandin

Céline Normandin

Journaliste

Céline Normandin est journaliste spécialisée en agriculture et économie. Elle collabore également au Bulletin des agriculteurs.