Dans un contexte de taux d’intérêt qui ont grimpé de façon importante et qui demeurent élevés, nous avons rencontré l’agroéconomiste Vincent Cloutier, vice-président associé pour la région de la Montérégie-Est et conseiller stratégique à la Banque Nationale. À quoi doit-on s’attendre pour l’avenir? Que fait le conseiller en financement dans ce contexte?
Dans les deux dernières années, la hausse des taux d’intérêt a été importante. Quel est le taux d’intérêt pour emprunter dans le secteur agricole en ce moment?
Le taux de base [taux préférentiel] à la Banque Nationale est à actuellement à 7,2%. Évidemment, ça peut varier en fonction des différents produits de prêts, des différentes échéances et des différents profils de risques.
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Quel était-il y a deux ans?
Je crois qu’il était de 2,45%. Au-delà des chiffres, ce qu’il faut se rappeler, c’est qu’on a observé au cours de 18 derniers mois ce que j’appelle un redressement brutal de la politique monétaire. Au cours des dernières décennies, nous n’avons pas observé de resserrement aussi brutal en termes de rehaussement des taux en un si court laps de temps.
Toutes les fermes agricoles ont des emprunts, pour des projets passés ou à venir. Quel est l’effet de ces hausses brutales sur ces entreprises?
Nous, ce qu’on sent dans le champ présentement, c’est une forme de retenue, de prudence, une espèce de pas de recul à l’égard de nombreux projets. Nos entrepreneurs ont beaucoup de projets, mais dans un contexte de redressement brutal de la politique monétaire, plusieurs prennent un pas de recul et c’est tout-à-fait sain. C’est ce que les banques centrales souhaitent. Il y a beaucoup de projets qui étaient prévus cette année et qui sont reportés.
Quelle est l’attitude de votre Banque face à votre clientèle agricole dans ce contexte?
Nous, on veut comprendre notre clientèle et les accompagner dans cette stratégie-là. Notre rôle d’accompagnateur prend doublement d’importance dans une situation un peu plus serrée ou un peu plus délicate comme celle-là. Cette hausse de taux d’intérêt est loin d’être banale. Il n’y a pas de recette unique. Pour nous, chaque situation est unique et on veut comprendre où notre clientèle veut aller et à quel rythme. On s’efforce d’accompagner notre clientèle en fonction de ça.
Que conseillez-vous aux agriculteurs?
En 2023, le revenu net agricole sera manifestement plus bas qu’en 2021 et 2022, qui ont été deux excellentes années, deux années records. Et au fur et à mesure que les prêts sont renouvelés, l’effet des taux d’intérêt se fait sentir directement. Nous, on analyse les situations une à une. Et dans un contexte où c’est un peu plus serré, on recommande à notre clientèle – et on les accompagne là-dedans – de bien budgéter tous les projets et à se préparer à différentes éventualités. On continue de penser qu’on est au sommet de la courbe de taux, mais on ne sait pas quand ils rebaisseront et encore moins, à quel rythme. Ils peuvent rester élevés plus ou moins longtemps. Donc, il faut se préparer à ces éventualités-là et faire preuve de prudence dans un tel contexte. Ça ne veut pas dire de ne pas faire de projets, mais les projets doivent être mesurés, calculés doublement dans un contexte comme celui-là.
La Banque du Canada a gardé son taux directeur le mercredi 25 octobre, est-ce la fin des hausses des taux d’intérêt?
Une autre hausse d’ici Noël n’est pas impossible. On ne s’attend pas à des baisses imminentes. On reste prudents et on se fait à l’idée que les taux pourraient rester relativement élevés pendant encore quelques mois.
Est-ce qu’il y a des productions agricoles qui sont plus susceptibles à la hausse des taux d’intérêt?
Je vais te répondre à partir de données de Statistique Canada. Le ratio de couverture des intérêts, qui est calculé globalement pour toute l’agriculture canadienne, et en fonction des provinces, est demeuré relativement constant au cours des 20 dernières années, même si les taux d’intérêt étaient beaucoup plus élevés il y a 15 ans qu’ils ne l’étaient dans les 5 à 10 dernières années. Pourquoi? Parce qu’au Québec et en Ontario, notre agriculture est très bien protégée par des politiques agricoles interventionnistes. Pensons à la gestion de l’offre, à l’ASRA ou à d’autres politiques. Donc, ces politiques vont continuer d’aider l’agriculture.
Y a-t-il des productions qui sont plus à risque?
Sans dire que certaines sont plus à risque que d’autres, je te dirais que dans les cinq à sept dernières années, il y a eu une vague d’investissements dans le secteur laitier dans l’Est du Canada – qui est très positive – mais cet investissement a fait que l’endettement a progressé proportionnellement plus vite dans le lait que dans d’autres secteurs en ce moment. Donc, il risque d’y avoir un plus grand nombre d’entreprises laitières qui doivent faire preuve de prudence en ce moment. Et ça, c’est visible à partir des données de Statistique Canada.
Avez-vous remarqué une augmentation du nombre d’entreprises en difficulté?
Ça ne fait malheureusement pas partie des questions que je peux répondre. C’est du domaine confidentiel. Je te confirme toutefois que la situation que l’on vit, elle n’est pas banale. Elle représente un défi de taille qui rejaillit sur les entreprises de façon différente en fonction des situations de chacun. Certaines entreprises peuvent faire face à des situations plus délicates que d’autres. Nous, notre job, c’est d’accompagner notre clientèle dans la traversée de cette houle-là.
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