Après plusieurs semaines d’incertitude et d’espoir de voir la menace des tarifs disparaitre, le président américain Donald Trump a finalement décidé d’imposer des tarifs douaniers de 25% sur les produits canadiens et mexicains entrant aux États-Unis, à l’exception de l’énergie, dont les tarifs sont de 10%. La Chine est également frappée de tarifs de 10% qui doublent ceux en place depuis le début de février. Les tarifs sont entrés en vigueur à partir de minuit une, le 4 mars 2025.
La Chine a répondu par des contre-mesures de 15% qui frappent les importations de produits agricoles américains, notamment le poulet, le porc, le soya et le bœuf. Le pays renforcera également ses contrôles sur les transactions avec certaines entreprises américaines.
Le Canada compte également appliquer dès maintenant les contre-tarifs préalablement annoncés lors de la première menace au début février. Une première vague touchera des biens américains avec des tarifs de 25%, totalisant 30 G$.
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Les produits américains touchés par la première vague de contre-tarifs comprennent notamment de la viande, les produits laitiers, les fromages, les œufs, les fruits et les légumes frais, le café, le thé, les noix, les épices, les céréales, les jus de fruits, les vins, les spiritueux ainsi que les huiles.
Une deuxième vague de contre-tarifs plus large sera imposée dans 21 jours, sur des marchandises évaluées à 155 G$.
Le Mexique a quant à lui déclaré que ses mesures de rétribution seront annoncées le 9 mars.
La transformation alimentaire au cœur de la tempête
Tous les secteurs agroalimentaires ont offert un front commun lors d’une conférence de presse à l’UPA le 17 février dernier. Sylvie Cloutier, PDG du Conseil de la transformations alimentaires du Québec (CTAQ), était présente. Les impacts prévus pour le secteur qu’elle représente sont majeurs. « C’est dramatique pour le secteur, puisque 70% de nos produits vont vers les États-Unis. Ce sont des partenaires très proches, avec des relations qui ont été développées dans les dernières décennies. La situation va être très difficile dans les prochaines semaines pour nos membres. Certains clients vont demander d’assumer la facture supplémentaire, alors que d’autres vont connaître des annulations de commandes ».
La chaîne d’approvisionnement a été fortement secouée depuis le début de la décennie, tout d’abord par la pandémie, et par la suite par les grèves ferroviaires et portuaires, rappelle Sylvie Cloutier. « La chaine d’approvisionnement a subi plusieurs facteurs externes au-delà de son contrôle. On s’en remet à peine, mais cette fois-ci, c’est différent. Il y aura des impacts à court et long terme pour le secteur », dit-elle. La meilleure manière d’aider serait par des allégements, de l’aide directe et des investissements afin d’améliorer la productivité.
Les répercussions pour l’économie québécoise et canadienne risquent d’être importantes. Le secteur agroalimentaire est le premier secteur manufacturier au Canada et au Québec, dépassant le secteur automobile ou aéronautique, souligne la PDG. Il emploie 75 000 personnes au Québec et transforme 70% de la production agricole de la province, avec des PME situées dans toutes les régions. Le PIB du secteur est évalué à 8,2 G$.
Le secteur maraîcher québécois dépend du marché américain. Pour assurer la vente de leurs produits, les producteurs risquent d’avoir à vendre à perte sur le marché américain, qui représente le seul marché accessible et sur lequel les légumes du Québec peuvent être compétitifs.
Des programmes d’aide en élaboration
Les souhaits de Sylvie Cloutier pourraient bientôt être réalisés. Le gouvernement québécois a promis de venir en aide aux secteurs touchés. La ministre de l’Économie, Christine Charrette et André Lamontagne, du MAPAQ, ont réalisé plusieurs rencontres dans les dernières semaines afin de connaître leurs préoccupations et leurs attentes, ce qui est le cas de l’UPA, le CTAQ et les Producteurs et productrices acéricoles, pour n’en nommer que quelques-uns.
En conférence de presse mardi, le premier ministre François Legault a dévoilé trois types de mesures afin de soutenir les entreprises québécoises. Le programme Frontière fournira une aide pouvant aller jusqu’à 50 M$, sur une période de 12 mois, pour les entreprises ayant des difficultés au niveau de leurs liquidités. Les entreprises du secteur manufacturier ou d’un secteur primaire, dont le chiffre d’affaires est grandement affecté par les nouveaux tarifs seront privilégiées. Les aides financières consenties prendront la forme de prêts ayant un terme maximal de sept ans avec un moratoire de remboursement allant jusqu’à 24 mois.
Le programme Essor est renouvelé par le gouvernement afin de stimuler la productivité. Québec va bonifier ses aides financières sous forme de prêt remboursable sans intérêt pour des projets d’investissement de plus de 10 M$ qui se démarquent sur le plan de la productivité.
De plus, des pénalités allant jusqu’à 25 % entrent en vigueur immédiatement, sur les soumissions des entreprises américaines qui participent aux appels d’offres publics, sans avoir d’établissements au Québec ou chez ses partenaires commerciaux.
Le fédéral a, pour sa part, déclaré qu’il tenterait de ne pas pénaliser davantage les entreprises canadiennes par les contre-mesures appliquées aux produits américains. Sylvie Cloutier indique qu’il faudra être très stratégique et user de prudence puisque l’industrie dépend de nombreux intrants composés d’ingrédients et d’emballage, y compris les contenants en aluminium. « Il y aura beaucoup de travail à faire de ce côté-là », selon elle.
Ces propos sont repris par l’Association des producteurs maraîchers du Québec (APMQ). « Nos attentes aux gouvernements rejoignent celles de l’Union des producteurs agricoles (UPA), notamment en ce qui a trait aux risques que peut représenter l’imposition de contre-tarifs canadiens sur les produits en provenance des États-Unis (ex. engrais, fertilisants, emballages, équipements, tracteurs – des ressources essentielles au secteur agricole). Il est impératif d’exclure ces catégories de produits afin d’éviter un double impact tarifaire », indique Julien Levac Joubert, gestionnaire des communications et des relations publiques à l’APMQ.
La PGD du CTAQ s’attend aussi à ce que le budget de Québec représente l’urgence de la situation, ce qui veut dire réaligner la direction prise dans la dernière année par le gouvernement québécois pour diminuer le déficit. « Le gouvernement devra modifier ses plans puisque la situation a changé. L’objectif devrait maintenant d’assurer la continuité des affaires », indique Sylvie Cloutier.
D’autres mesures à prévoir des États-Unis
L’annonce des tarifs pourrait être la première salve de la nouvelle politique économique des États-Unis. L’Europe et le reste du monde sont dans la mire, avec des tarifs qui pourraient être imposés dès le 2 avril pour l’Europe. L’administration américaine dit voir dans cette politique une manière de renflouer ses coffres et de diminuer son déficit, malgré le scepticisme de la majorité des économistes.
Le président américain a de plus indiqué qu’il pourrait répliquer à des réactions des pays concernés en ajoutant des tarifs équivalents à ceux déjà en place.
Sylvie Cloutier invite les entreprises en transformation alimentaire à diversifier leurs approvisionnements, à se serrer les coudes et à se mobiliser. Il faudra aussi trouver d’autres débouchés pour leurs produits, même si le défi est d’envergure. Le fait de devoir travailler avec du vivant cause d’importantes limites, mais le marché des produits québécois compte plus de 180 pays. « On l’a prouvé pendant la COVID-19 qu’on pouvait trouver des solutions, dit-elle. La situation est un peu similaire actuellement. Il faut mettre tous nos efforts à passer à travers cette crise, en espérant un retour éventuelle à un contexte plus normal. »
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