Publié dans Le Bulletin des agriculteurs de septembre 2010
Génétique et génomique vont maintenant de pair. Pourtant, à la ferme comme en laboratoire, les grands bouleversements sont encore à venir.
par André Dumont
On a séquencé l’ADN humain, celui de certaines plantes comme le maïs et le soya, et celui d’animaux comme le poulet et le porc. De toutes ces espèces, la vache laitière est celle qui bénéficie de l’utilisation commerciale la plus large de l’information génomique disponible. Et c’est dans les étables du Québec que ça se passe !
À lire aussi

Prix des grains : sommets de 2022, l’histoire se répétera-t-elle?
Vendre ou attendre d’autres sommets? Plusieurs personnes se pose la question présentement. Il y a matière à réflexion surtout que j’ai reçu une alerte d’un courtier américain disant que les astres étaient moins bien alignés pour le marché du maïs.
Depuis la publication officielle des évaluations génomiques, en août 2009, les éleveurs québécois démontrent un véritable engouement pour les nouveaux outils de sélection disponibles.
Tous utilisent désormais des valeurs génomiques dans la sélection de semences de taureaux. Les éleveurs d’élite font génotyper leurs génisses les plus prometteuses. La génomique en soi est d’une complexité scientifique difficile à saisir. Mais son utilisation par les producteurs est simple, puisqu’on leur présente l’évaluation selon les caractères habituels : IPV, gras, protéine, production, santé-fertilité, etc.
Déjà, on annonce d’autres grandes innovations qui bouleverseront davantage la prise de décision des éleveurs et qui permettront au Québec et au Canada de conserver leur avance en génétique bovine laitière à l’échelle mondiale.
Adoption rapide
D’après Valérie Tremblay, responsable du service-conseil chez Holstein Québec, environ 150 nouvelles femelles sont génotypées au Québec chaque mois. L’évaluation coûte 250 $. En raison du coût, à ce jour, seuls les éleveurs de sujets d’élite s’en prévalent, afin de mieux vendre leurs animaux.
Ces données illustrent le dynamisme des éleveurs québécois, soutient James Peel, directeur général de Holstein Québec. « Nos éleveurs sont extrêmement avant-gardistes. » Lorsqu’on regarde la liste des 500 meilleures femelles au pays en valeur génétique, ou encore les 100 meilleurs troupeaux, on s’aperçoit vite que c’est au Québec que la bonne génétique laitière se trouve.
La bonne nouvelle, c’est que malgré les reclassements à la suite de génotypages, les familles de vaches de génétique supérieure ont obtenu de bons résultats à l’évaluation génomique. C’est donc dire que l’amélioration génétique traditionnelle était sur la bonne voie.
Avec la génomique, on gagne en fiabilité moyenne des IPV. Du côté des taureaux éprouvés au Canada, le gain de fiabilité est de l’ordre de 3 % pour s’établir à 89 % (données du Centre d’insémination artificielle du Québec (CIAQ)). C’est une faible augmentation, mais cela révèle un fait important : les épreuves basées sur la descendance sont encore de loin les plus précises, notamment quand un taureau a plus de 100 filles.
Les gains de fiabilité sont plus importants chez les jeunes animaux, passant de 34 % à 61 % chez les jeunes taureaux. Tous en appellent donc à la prudence : dans un troupeau, il vaut mieux utiliser des doses de plusieurs jeunes taureaux pour atténuer le risque associé à la fiabilité de l’IPVG (G pour génomique).
Quoi qu’en disent certains représentants circulant dans nos campagnes, malgré sa « plus-value », la semence d’un jeune taureau génotypé demeure sujette à un indice de fiabilité et elle peut s’avérer décevante, prévient Serge Blanchette, producteur laitier à La Présentation et premier vice-président du CIAQ.
« Nous, les producteurs, sommes friands de nouveaux produits, dit-il. Mais il faut faire attention et ne pas mettre tous nos oeufs dans le même panier. »
Malgré son propre intérêt pour la génomique, Serge Blanchette garde les deux pieds sur terre. Les premiers veaux issus de semence de taureaux génotypés viennent à peine de naître. À moins de les génotyper à leur tour, impossible de constater une amélioration immédiate dans la qualité génétique de ces sujets. L’utilisation de la génomique est encore trop récente pour qu’on observe déjà une amélioration de la qualité génétique dans les troupeaux, reconnaît le docteur Jacques Chesnais, généticien principal à l’Alliance Semex. Par contre, ces améliorations seront beaucoup plus rapides qu’auparavant, expliquet- il, puisqu’en génotypant un taureau dès sa naissance, l’intervalle entre les générations est grandement réduit. Avant la génomique, il fallait attendre au moins quatre à cinq ans pour qu’un taureau soit éprouvé à l’aide de sa descendance.
Avec la génomique, il sera beaucoup plus facile de faire des gains du côté de la santé, la fertilité et la longévité, affirme Jacques Chesnais. Traditionnellement, ces caractères étaient de faible héritabilité. De plus, leur expression est beaucoup influencée par l’environnement. Jacques Chesnais insiste pour dire que le confort et la qualité de l’alimentation demeurent très importants pour l’expression des gènes, qu’il s’agisse de ceux responsables de la production, de la santé ou de la fertilité. Par contre, avec la génomique, on peut sélectionner en choisissant des animaux dont l’évaluation génomique dévoile clairement des forces pour les caractères qu’on désire améliorer dans son troupeau.
Nouveautés à venir
Ce nouveau panel de marqueurs sera à la portée d’un plus grand nombre d’éleveurs qui pourront faire génotyper un plus grand nombre de génisses. Son utilisation pourrait devenir la norme, non plus seulement pour la vente de sujets d’élite, mais aussi dans la vente de sujets de qualité pour troupeaux commerciaux.
Dans le milieu, on parle aussi de la disponibilité éventuelle d’un test de 500 000 à 700 000 marqueurs. D’ici à son application commerciale, le coût de la technologie devrait avoir baissé significativement. Les marqueurs sont des sections du génome qu’on a réussi à associer à un caractère, comme la production de matière grasse ou la santé du pis. Estimer les effets de 500 000 marqueurs, plutôt que 50 000, sera un mandat de taille pour les scientifiques, affirme Jacques Chesnais.
Pour les producteurs, la prochaine innovation qui bouleversera leur régie sera probablement la disponibilité commerciale du génotypage des embryons pour en déterminer le sexe et la valeur génétique. Avec des embryons sexés, les producteurs obtiendront beaucoup plus de génisses que ce dont ils ont besoin, ce qui leur permettra d’utiliser la génomique pour choisir les meilleures.
Autre grand développement à venir : l’Initiative canadienne en génomique, un projet conjoint du Réseau laitier canadien, des associations Holstein, de l’Alliance Semex et de trois universités. L’idée : utiliser les étiquettes d’oreille pour collecter de l’ADN d’à peu près toutes les vaches au pays.
Cette banque d’ADN serait un formidable outil d’identification et de traçabilité. Le producteur qui voudrait une évaluation génomique de sa vache n’aurait qu’à la demander, moyennant des frais minimes, l’échantillon d’ADN ayant déjà été prélevé.
La gestion de cette banque d’ADN – qui pourrait rapidement s’élever à 1,5 million d’échantillons en cinq ans – et des résultats des génotypages présente d’importants défis techniques et informatiques.
« Le Canada a toujours été un leader en génétique bovine laitière, affirme Jacques Chesnais. Pour que ça continue, nous devons maintenant être les meilleurs en génomique. »
Description des photos
Les photos sont publiées dans le magazine imprimé
1. Le Québec est un leader en génétique laitière.
2. Selon Jacques Chesnais, généticien principal à l’Alliance Semex, il est encore tôt pour voir une amélioration notable de la qualité des troupeaux grâce à la génomique, mais l’avancement se fait rapidement.
3. Quelque 150 nouvelles femelles sont génotypées au Québec chaque mois.