Difficile de bien comprendre ce qui se passe dans le marché du soya à la bourse présentement. Ce mois-ci, dans son rapport mensuel sur l’offre et la demande (… le fameux WASDE), le USDA a de nouveau rehaussé son estimation des stocks de soya américain pour cette année. Une image vaut mille mots: ci-joint ce qu’on observe au niveau des stocks américains depuis le printemps dernier.

Nous sommes partis de prévisions d’inventaires américains pour cette année les plus serrées depuis 2013-2014, avec un très faible ratio inventaires/consommation de seulement 3%, à pratiquement le triple de cette prévision à 8% aujourd’hui.
En fait, avec un second coup d’œil au graphique, on constate qu’il n’y a pas eu autant de soya disponible aux États-Unis depuis plus d’une dizaine d’années, si on exclut la fameuse période de la guerre commerciale États-Unis et Chine (2017-18 à 2019-20).
Plusieurs éléments expliquent cette situation, à commencer par une récolte américaine pratiquement record de soya, mais aussi un ralentissement plus important que prévu de la demande (… trituration) aux États-Unis plus tôt cette année. Force est d’admettre aussi que contrairement à l’an dernier, jusqu’à présent, les ventes à l’exportation de soya sont loin d’être exceptionnelles. Oui, la Chine semble un peu plus active depuis quelques semaines dans ses achats, mais il y a encore du chemin à faire…
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Mais alors, comment expliquer que le prix du soya se montre aussi vigoureux depuis une semaine? Un mot… « spéculation »
Et on spécule sur quoi?
La spéculation…
Essentiellement, que la demande de soya sera meilleure dans les prochains mois. Pour alimenter cette hypothèse, les marchés se fondent entre autres depuis une semaine sur le retour en force de la trituration de fèves aux États-Unis.
Pour faire simple, le prix de l’huile de soya se maintient à un niveau relativement élevé et intéressant depuis un moment, et le prix du tourteau est maintenant de retour à la hausse aussi. Avec ces bons prix pour l’huile et le tourteau, les marges de profit des triturateurs américains sont en forte hausse, ce qui ne manque pas d’alimenter la machine à rumeur comme quoi il se triturera (s’utilisera) donc davantage de soya.

A priori, il faut reconnaître que cette hypothèse tient la route. La question qu’il faut se poser est à quel point il pourra se triturer beaucoup plus de soya que prévu cette année, alors même que le USDA prévoit déjà un volume record de trituration de 2,19 milliards de boisseaux. Évidemment, c’est assez difficile à dire quand on prévoit déjà un record… Mais si on se fit à la dernière fois que ces marges ont été aussi élevées, au cours de l’année 2018, il pourrait se triturer environ 150 à 200 millions de boisseaux supplémentaires. Si c’est le cas, nos fameux stocks américains de soya de cette année en hausse présentement à 340 millions de boisseaux pourraient effectivement fondre comme neige au soleil, à seulement 140-190 millions de boisseaux. Bien entendu, si c’est le cas, le prix actuel du soya à Chicago autour de 12,50 $US/bo. (577 $CAN/tonne) est trop faible et devrait alors plutôt se situer davantage autour de 15-16 $US/bo. (693 à 739 $CAN/tonne).
Par contre, et c’est un bémol important, il n’y a pas que la trituration qui détermine le prix du soya. Et c’est là, à mon avis, que l’idée de faire grimper davantage le prix du soya accroche pour le moment comme on dit.
Les exportations américaines de fève
J’en ai glissé un mot plus tôt, les ventes à l’exportation de soya américain sont jusqu’ici loin d’être exceptionnelles. En fait, dans son dernier rapport mensuel sur l’offre et la demande de novembre dernier, le USDA a même réduit son estimation d’exportation de fèves américaines pour cette année. Et ceci a du sens sachant, entre autres, que la situation économique en Chine est sur la corde raide, notamment en raison de graves problèmes énergétiques.
Mais soyons bons joueurs, et présumons que la Chine puisse avoir finalement plus d’appétit pour le soya dans les prochains mois. Vont-ils vraiment acheter beaucoup plus de soya américain ? On peut en douter…
Récolte record au Brésil?
Jusqu’à présent, du côté de l’Amérique du Sud, les perspectives pour les prochaines récoltes de soya sont excellentes. En fait, au Brésil, on parle des 2e ensemencements les plus rapides jamais observés, et ce, dans d’excellentes conditions. Si tout va bien, on croit même que les variétés de soya les plus hâtives seront récoltées plus tôt, à la fin décembre.
Pour se situer, l’an dernier, la récolte brésilienne de soya avait déjà atteint un record de 137 millions de tonnes. Cette année, avec les conditions actuelles, on jongle maintenant avec une autre récolte record autour de 144 millions de tonnes. Certains commencent même à croire que ce pourrait même aller jusqu’à 150 millions de tonnes.
La situation est peut-être plus ambiguëe du côté de l’Argentine pour deux raisons. Premièrement, en raison d’une taxe sur leurs exportations de soya, les producteurs argentins auront choisi de réduire considérablement leurs superficies en soya pour se concentrer sur le maïs. Ensuite, bien que jusqu’ici des précipitations régulières aient été suffisantes pour éviter des conditions excessivement sèches, certaines inquiétudes persistent qu’une grave sécheresse prenne forme, notamment en raison du phénomène météo La Nina qui est de nouveau à l’œuvre cette année.
Ceci dit, dans l’ensemble, à défaut de graves problèmes météo qui sont toujours possibles d’ici les récoltes cet hiver, tout indique pour le moment, semaine après semaine, qu’une récolte record de soya brésilien inondera le marché sous peu et qu’une récolte « correcte » sera au rendez-vous aussi pour l’Argentine.
Si c’est le cas, les exportateurs américains de soya risquent donc d’avoir rapidement beaucoup plus de fil à retordre. Et c’est sans compter en plus que la fermeté du dollar américain fait en sorte de rendre plus avantageux le prix du soya brésilien.
Bref, encore une fois, à défaut de problème météo, on peut donc non seulement envisager difficilement que les exportations américaines de soya vont surprendre dans les prochains mois, mais pire, qu’elles pourraient même perdre davantage de terrain.
Intentions d’ensemencements 2022
Enfin, dernier clou au cercueil pour le marché du soya, il faut aussi mettre sur la table tout le débat sur la forte hausse des prix des engrais et ce que seront les intentions d’ensemencements en 2022. Je ne me lancerai pas ici dans une analyse des différentes hypothèses qui circulent à ce sujet. Disons simplement qu’il serait quand même étonnant de voir que les superficies en soya n’augmenteront pas davantage, que ce soit ici au Québec, mais aussi et surtout aux États-Unis.
Conclusion
En somme, à moins que des imprévus météo ne fassent surface dans les prochains mois en Amérique du Sud, puis ensuite aux États-Unis, il demeure donc difficile de défendre l’idée que le marché du soya ait nécessairement un fort potentiel à la hausse. Il est vrai qu’on peut croire que la trituration de soya sera mieux que prévu aux États-Unis. Par contre, des points d’interrogation importants restent en suspend pour les perspectives d’exportations de soya américain, puis ensuite plus d’ensemencements au printemps prochain, et qui sait, peut-être même à un niveau record…
Alors, que se passe-t-il présentement dans le marché du soya? Oui, quelques éléments positifs, mais surtout, une bonne dose de spéculation. Pour les producteurs, toute la question est à savoir ensuite est quel chapeau porter: celui du producteur ou celui du spéculateur? Présentement, pour la prochaine récolte, le prix du soya au Québec se transige autour de 580-585 $CAN/tonne livré…