Marché du soya, vers de nouveaux records?

Publié: 3 février 2022

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Marché du soya, vers de nouveaux records?

Vous m’auriez dit il y a quelques semaines que nous en serions rendus là dans le soya, j’aurais été plus que sceptique. Mais les marchés agricoles étant ce qu’ils sont, imprévisibles et liés étroitement aux imprévus météo, nous y sommes.

À la mi-janvier, dans un billet que j’ai écrit sur ce blogue (Acheter les rumeurs, vendre les faits!), je mettais en relief le fait que les marchés carburaient aux rumeurs, et que devant les faits, positifs ou négatifs, ils perdaient de leur vigueur. Et à ce moment, avec le retour de précipitations après plusieurs semaines très sèches en Argentine et dans le sud du Brésil, il y avait matière à croire que le « rallye météo » tirait à sa fin.

À ce moment, le prix du soya à Chicago venait déjà de gagner autour de 2 $US/bo. depuis la récolte à plus de 14,00 $US/bo.; au Québec environ +70 à 630-640 $CAN/tonne.

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Ceci dit, après quelques jours de pause et de conditions plus favorables en Amérique du Sud, la machine à rumeurs s’est de nouveau emballée depuis la mi-janvier.

Au moment où j’écris ce billet, de nombreux analystes et organisations continuent de revoir à la baisse les récoltes sud-américaines. Les précipitations auront été insuffisantes dans certaines régions, et les prévisions météo alternent de jour en jour entre trop sèches ou plus humides pour les semaines à venir. Pour ajouter une touche de nervosité dans l’air, plus au nord du Brésil où la récolte est débutée, des précipitations à répétition continuent de ralentir les travaux aux champs, jetant un doute supplémentaire sur la qualité du soya qui sera récolté.

Bref, on pouvait penser à la mi-janvier qu’avec le retour de conditions plus favorables, le marché du soya avait atteint un sommet, mais Dame Nature en aura décidé autrement, les spéculateurs aussi.

Actuellement, les dernières estimations donnent à croire qu’au Brésil, la récolte de soya sera sous la barre du 130 millions de tonnes, si ce n’est 125 millions de tonnes. Pour se situer, on anticipait plutôt il n’y a pas encore si longtemps une récolte record de plus de 144-145 millions de tonnes suivant une récolte record l’an dernier de 138 millions de tonnes.

Si c’est vraiment le cas, on parle donc effectivement d’un recul considérable de la récolte brésilienne de soya cette année, de 15 à 20 millions de tonnes de moins. Ce n’est pas rien et on doit reconnaître que ceci aura une incidence évidente sur la disponibilité de soya sur les marchés mondiaux dans les prochains mois.

Sur les marchés mondiaux, dans une année normale, ce sont les exportations américaines qui dominent de l’automne en début d’hiver. Par la suite, les exportations sud-américaines, avec le Brésil en tête, prennent progressivement les devants de l’hiver jusqu’à la fin de l’été.

Cette année toutefois, si les récoltes sud-américaines sont aussi mauvaises qu’on le dit, on peut anticiper que les exportateurs américains seront davantage sollicités cet hiver et cet été. C’est le pari que prennent présentement les marchés.

Actuellement, le USDA prévoit que les exportations américaines de soya cette année seront de 2,05 millions de boisseaux (55,79 millions de tonnes), en baisse par rapport aux 2,265 millions de boisseaux (61,65 millions de tonnes) de l’an dernier, pour des inventaires américains de soya prévus en hausse d’un creux l’an dernier de 257 millions de boisseaux (7 millions de tonnes) à 350 millions de boisseaux cette année (10 millions de tonnes).

Si toutefois les exportations américaines de soya dans les prochains mois sont plus fortes que prévu en raison des mauvaises récoltes sud-américaines, on peut maintenant croire que les stocks américains de soya seront de nouveau assez serrés.

Et bien évidemment, si c’est le cas, on comprend pourquoi les prix sont donc actuellement aussi vigoureux. Surtout qu’en réalité, nous n’avons pas non plus encore une bonne idée de combien seront mauvaises ou non les récoltes sud-américaines.

Maintenant, qu’est-ce que je pense de cette situation? Est-ce qu’on peut croire que le prix du soya puisse « encore » grimper davantage? Vendre ou attendre? Méchante bonne question…

  1. Au même titre que nous ne savions pas ce qui nous attendait côté météo sud-américaine il y a quelques semaines, c’est toujours le cas présentement. Tout ce qu’on sait, c’est que les prévisions « long terme » proposent encore des températures anormales sèches pour le sud du Brésil et l’Argentine. Ceci peut encore affecter spécialement les cultures de soya en Argentine.
  2. Les spéculateurs demeurent très actifs cette année dans le marché des commodités, incluant celles agricoles, rendant les prix « beaucoup » plus nerveux qu’à la normale, avec de fortes variations.

Tant que nous n’aurons donc pas l’heure juste sur ce que seront vraiment les récoltes sud-américaines, les paris sont donc ouverts à savoir jusqu’où les prix peuvent grimper.

Ci-joint, si ça peut vous aider à mettre les choses en perspectives, le comportement du prix livraison immédiate (ou « spot ») du soya à Chicago.

Quelques observations rapides à prendre en compte :

  1. Une tendance haussière bien apparente qui a pris forme à l’automne dernier est toujours à l’œuvre.
  2. Nous avons eu depuis la mi-janvier un « rallye météo » intéressant qui a poussé le prix du soya à de nouveaux sommets rapidement; un gain d’autour de 1 $US/bo. (36,7 $US/tonne).
  3. En « principe », tant que la tendance haussière en place depuis l’automne n’est pas brisée, nous avons le potentiel de grimper davantage.
  4. Toutefois, avec la forte hausse depuis 1 semaine, bien possible que le prix se corrige, question de faire sortir un peu la vapeur d’un marché en surchauffe. Vus sous un autre angle, les spéculateurs ont fait de l’argent rapidement, et seront peut-être tentés d’engranger des profits, surtout si la météo se veut un peu moins menaçante en Amérique du Sud. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé à la mi-janvier dernier.

Maintenant, si le marché du soya poursuit à la hausse, avec les paramètres que nous avons sous la main pour l’instant, possible qu’on aille chatouiller les sommets de la dernière année, dans un 1er temps autour de 16,00 $US/bo. (588 $US/tonne), puis ensuite 16,6750 $US/bo. (613 $CAN/tonne).

Concrètement, pour le prix du soya au Québec, si les acheteurs restent actifs et ne font pas trop reculer leur « base $US », autour de 0,00 à 0,10 $US/bo. fab ferme, et que le dollar canadien se maintient sous autour de 0,78 à 0,80, nous aurions donc maintenant effectivement la capacité d’atteindre de nouveaux prix record à plus de 750-785 $CAN/tonne.

À savoir ensuite si ce sera vraiment le cas reste à voir. Mais contrairement à la lecture des marchés que nous pouvions avoir il n’y a pas encore si longtemps, les astres sont beaucoup mieux alignés maintenant pour que ce soit possible.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean-Philippe Boucher

Jean-Philippe Boucher

Collaborateur

Jean-Philippe Boucher est agronome, M.B.A., consultant en commercialisation des grains et fondateur du site Internet Grainwiz. De plus, il rédige sa chronique mensuelle Marché des grains dans le magazine Le Bulletin des agriculteurs.