Cette déclaration de Mario Laplante, il n’y a pas de doute que tous ne la partageront pas. Certains diront qu’il existe réellement des sols dont il n’y a rien à tirer. Il reste que ce producteur et son père ont acquis des terres dont le potentiel paraissait au départ extrêmement faible et qu’au fil des ans, ils ont réussi à en faire des parcelles productives et rentables.
« Nos sols sont pour la plupart de texture très légère, décrit Mario. Ils appartiennent à la série Saint-Amable et ils contiennent 85 % de sable, 10 % de limon et 5 % d’argile. En plus, plusieurs des terres qu’on a acquises avaient été épuisées parce qu’on y pratiquait une rotation patate-patate-patate. Dans certains cas, la teneur en matière organique n’atteignait même pas 1 % ! » Située à Saint-Léonard-d’Aston, dans le Centre-du-Québec, la Ferme Claudette exploite 375 hectares. On y produit, en proportions égales, du maïs-grain, du soya (IP et RR), de l’avoine et du seigle d’automne. À ces productions commerciales s’ajoutent des cultures de couverture, on y reviendra plus loin.
Retour en arrière
Durant les années 1980, alors que la ferme comportait un troupeau laitier, la priorité est allée à l’érochage, au nivellement et au drainage. Cela s’est poursuivi dans la décennie 1990, période où Mario est venu rejoindre son père après avoir complété un DEC à l’ITAQ. À prime abord, drainer un sable peut
surprendre. « La problématique dans certaines zones, explique ce dernier, c’est qu’à 17-18 pouces, il y a comme une couche indurée. Ça ressemble à un mastic. C’est plein d’eau, les drains coulent à l’année. Le drainage est primordial dans ce type de terrain. »
Beaucoup d’heures de travail ont été investies aussi dans le nivellement. « On a pris des champs où tu ne voyais pas un homme d’une planche à l’autre et aujourd’hui, ils sont plats, rapporte-t-il. Il a fallu faire ça graduellement. » D’ailleurs, le travail se poursuit. « On nivelle une cinquantaine d’hectares chaque année, note-t-il. C’était tellement “ carabossu ”, tu le fais une fois, tu dois le refaire quatre ans après. »
Faux départ
Au milieu de la décennie 1990, Mario décide de délaisser la charrue au profit du chisel. « Je n’aimais pas labourer, explique-t-il. Pas assez rapide… À cette époque-là, on suivait des cours avec monsieur Roger Rivest et il prônait beaucoup le chisel. Ça coûtait moins cher de diesel, moins cher d’équipement, moins cher d’usure de pièces aussi. Chez nous, avec du sable et de la roche, les pointes étaient finies après 15 hectares. Du sandblast ! »
« Puis, poursuit-il, on a commencé à suivre des cours de semis direct. On avait une prairie qui n’était pas belle et on y a fait un premier semis direct de soya. Cela a bien fonctionné. On s’est acheté un semoir. » Cela s’est avéré un faux pas. « Nos sols n’étaient pas prêts, juge le producteur. Pas assez bien égouttés. Pas assez bien nivelés. Avec un pH pas à l’ordre et la décompaction pas complétée. La structure de sol n’était pas prête non plus. La vie dans le sol n’était pas assez bonne. » Constatant après trois ans que
les rendements ne cessaient de baisser, Mario et son père ont décidé de revenir au travail réduit : chisel ou off-set à l’automne, herse à disques ou déchaumeuse au printemps.
À propos de rendement, précisons que la ferme dispose de seulement 2450 UTM. « On a un micro-climat dans le secteur, affirme le producteur. Il y a un vaste milieu humide entre ici et l’autoroute 20. On est dans un trou et c’est frais. On s’en va à l’autre bout du rang et on grimpe à 2700 UTM ! Il y a un risque de gel printanier jusqu’au 7 juin et on se fait souvent ramasser par un gel précoce vers le 10-15 septembre. »
Dans le maïs-grain, Mario met la barre à 10 tonnes à l’hectare. « Avec la génétique moderne, les fertilisants et les herbicides, il n’y a pas de raison d’avoir moins de 10 tonnes », lance-t-il. Dans la rotation, le soya succède au maïs-grain. On y a obtenu l’an dernier un rendement moyen de 3,5 t/ha. Ensuite vient
la céréale. Le seigle d’automne génère un rendement fiable oscillant autour des six tonnes. « On va laisser tomber l’avoine, mentionne le producteur au passage. On est assez content des résultats qu’on obtient avec le seigle. Et puis, le rendement est meilleur dans le maïs grain l’année suivante. »
Retour au semis direct
En 1994, Mario et son père ont estimé qu’ils pouvaient revenir au semis direct. Les céréales et le soya se sèment donc maintenant ainsi. Pas le maïs-grain, cependant. « On fait un travail minimum pour que le sol réchauffe plus vite, indique Mario. Dans certains secteurs plus limoneux, on peut aussi effectuer un travail
primaire. »
Le retour au semis direct a été accompagné par l’adoption des cultures de couverture. « Les deux vont ensemble, insiste le producteur. Sans cultures de couverture, le semis direct ne fonctionnerait pas. Il faut qu’il y ait toujours des cultures vivantes dans le sol, sinon ça ne dure pas. Les microorganismes ont toujours besoin de nourriture, comme nous. »
Il sème des plantes de couverture en dérobée après le soya et après le seigle d’automne. « Le seigle d’automne, qui est semé après le soya, constitue à mes yeux un engrais vert, dit ce membre du club Action Semis direct. Après le seigle, on y va avec un pois combiné au radis ou à la moutarde, auxquels s’ajoutent évidemment les pertes de battage. Dans le cas du maïs, il arrive qu’on sème du seigle après les battages si les conditions le permettent. » Le blé d’automne ne figure pas au programme. « On l’a essayé plusieurs fois, rapporte-t-il. Le seigle est meilleur que le blé pour aller puiser les éléments nutritifs dans le sol. Il coûte moins cher à produire. C’est une réalité que je dois accepter. »
Les intercalaires dans le maïs n’ont pas sa faveur non plus. « J’aime mieux travailler sur d’autres choses, commente-t-il. Il y a un coût relié à ces équipements et à l’opération de semis. Selon mon calcul, le jeu n’en vaut pas tout à fait la chandelle. J’aime mieux semer du seigle après la récolte du maïs. Comme on produit du seigle, la semence n’est pas coûteuse et ça ne coûte pas cher à semer non plus. »
Le producteur souligne au passage les bienfaits des céréales à paille sur ses sols. « La qualité du carbone est meilleure avec une céréale qu’avec du maïs, estime-t-il. La vie dans le sol est meilleure après ça. C’est tout de suite visible, tu vois apparaître les cabanes de vers de terre. Après le soya, il ne reste plus de résidus de céréale en surface alors qu’on voit encore des résidus de maïs. »
Apport de fumier solide
Voulant aller plus loin pour augmenter la teneur en matière organique de ses sols, Mario a même démarré en 2018 un élevage de porcs sur litière. « On croit qu’apporter du fumier solide va aider beaucoup à long terme à atteindre et à maintenir la teneur en matière organique des sols », déclare-t-
il. La porcherie possède une capacité de 1500 têtes. Elle exige une quantité importante de paille : 800 balles carrées de sept pieds par année, soit 1000 tonnes. En retour, l’élevage produit environ 1300 tonnes de fumier. Un fumier que le producteur qualifie de « vitamine » pour son type de terrain.
« Avec un rapport C sur N de 20, c’est un fumier qui libère son carbone lentement sur une période de deux à trois ans, décrit-il. Il contient environ quatre kilos d’azote à la tonne, neuf kilos de phosphore et huit kilos de potasse. » Précisons que le fumier est épandu après les récoltes de céréale. Pour l’instant, l’introduction des cultures de couverture n’a pas conduit à une réduction importante de la fertilisation azotée. « Dans le maïs, on y va avec 160-170 unités d’azote, indique Mario. Il en faut pas mal compte tenu
du fumier. Pour gérer du carbone, il faut de l’azote. Avant que la vie dans le sol soit à 100 %, il faut que tu fasses au moins trois rotations de céréales. On n’est pas rendu là dans tous les champs. Je m’attends à ce qu’éventuellement nos besoins en azote minéral baissent énormément. »
Chose sûre, l’adoption du semis direct puis des cultures de couverture et du fumier solide a conduit déjà à une hausse appréciable de la teneur du sol en matière organique. Celle-ci approche du seuil des 4 %. Le producteur ne s’attend toutefois pas à ce qu’elle grimpe beaucoup plus. « On ne doit pas se faire d’illusion, il ne peut pas se développer une structure à tout casser dans nos sols, dit-il, ajoutant que maintenir 4 % constitue en soi déjà un défi : un sable, c’est facile à monter… et facile à redescendre ! Il dégrade sa matière organique deux fois plus vite qu’une argile. »
Bye bye maïs ?
Quand il est question d’avenir, le producteur fait part d’une idée à première vue surprenante. « J’aimerais me payer le luxe de retirer le maïs de la rotation », lance le producteur de 49 ans. « C’est l’économie présentement qui fait que je n’y vais pas pour l’instant, explique-t-il. Le maïs, c’est sûr qu’il est rentable. Même avec l’engrais à 1000-1200 dollars la tonne. Mais en temps normal, je ne suis pas sûr qu’il le soit
tant que ça si tu prends en compte que ça te prend un séchoir performant, du propane, deux semoirs, une remorque à grain. Sans oublier que tu travailles dans la boue tard l’automne et que tu compactes. » Par ailleurs, le producteur trouve qu’il s’agit d’une culture stressante. « Tu mets beaucoup d’argent dans la terre, dit-il. Et tu travailles tôt le printemps si tu veux qu’il performe à l’automne… avant que les gels n’arrivent ! »
Qu’est-ce qui prendrait la place du maïs ? Il hésite un instant avant de répondre. « Je ne sais pas si je dois dire ce que j’ai pensé, dit-il. J’ai visité une ferme en Ohio où le producteur ne fait plus de maïs depuis 1995. Il fait trois semis de soya, puis un blé d’hiver. Après chaque récolte de soya, il sème du seigle pour couper le cycle des maladies. La cinquième année, il sème du blé. Puis, il repart son cycle. Son sol est en meilleure condition que celui du voisin, qui a gardé une rotation classique avec maïs, et ses rendements sont comparables. Son taux de matière organique a même monté ! »
« Donc, j’aimerais faire plus de céréales à paille, poursuit-il. Cela me permettrait de ne faire que du semis direct, ce qui maximiserait l’utilisation de mon équipement. Par ailleurs, la charge de travail serait mieux répartie. Au printemps, un seul homme arriverait à semer les céréales et le soya. Et puis, le niveau de
risque est moindre sans maïs. Si le soya subit un gel, au pire, tu vas le resemer. Il repaie la semence la plupart du temps. Mais pour faire plus de céréales, il faut qu’elles soient plus rentables. Ça passe par le rendement. »
Quelle que soit la direction que prend Mario, il est clair qu’il poursuivra ses efforts pour améliorer ses sols. « C’est long d’arriver à un sol qu’on ne touche plus, où il n’y a pas de différence de rendement qu’on le travaille ou pas, dit-il. On y travaille depuis 30 ans et on s’en vient tranquillement vers ça. »