À la défense de la gestion de l’offre

Trois présidents de fédérations sous gestion de l'offre ont défendu leur modèle agricole lors du Congrès de l'Ordre des agronomes du Québec

Publié: il y a 5 heures

Nicolas Mesly et Pascal Thériault ont animé un panel mettant en vedette, trois présidents de fédérations de productions sous gestion de l'offre, Benoît Fontaine de la volaille, Sylvain Lapierre des oeufs et Daniel Gobeil du lait.

Les trois présidents des principales fédérations de l’UPA couvrant la gestion de l’offre au Québec ont répondu aux interrogations sur ce mode de mise en marché de leurs produits.

Benoît Fontaine des Producteurs de volaille du Québec, Sylvain Lapierre de la Fédération des producteurs d’œufs du Québec et Daniel Gobeil des Producteurs de lait du Québec ont défendu le système dans un panel clôturant le Congrès de l’Ordre des agronomes du Québec, le mardi 11 novembre 2025 à Saint-Hyacinthe.

Les agronomes Pascal Thériault, directeur du programme Farm Management and Technology au Campus Macdonald de l’Université McGill, et Nicolas Mesly, journaliste, ont mis la table en présentant le système qui contrôle la production, tout en laissant une place pour les importations. Le système de gestion de l’offre a une cinquantaine d’années.

À lire aussi

La Ferme Denijos a obtenu la première position des fermes laitières biologiques au pays pour l’année 2024 pour l’Indice de performance total (IPT) de Lactanet.

L’objectif carboneutralité de la Ferme Denijos

Bryan Denis, de Saint-Cyprien au Bas-Saint-Laurent participe au Laboratoire vivant – Lait carboneutre des Producteurs de lait du Québec. Le Bulletin l’a rencontré.

Que représente une unité de quota et combien ça vaut?

Benoît Fontaine explique que l’unité de référence dans le poulet est le mètre carré. Les producteurs produisent un lot toutes les huit semaines, donc six lots une année et sept l’autre année. Un mètre carré permet de produire 15 poulets. Ce mètre carré coûte 2100$. Pour le dindon, c’est 55 kg par mètre carré, une fois par année. Ça représente environ six dindes de Noël.

Dans la production d’œufs, Sylvain Lapierre explique que l’unité de référence est la poule. Le prix est de 245$. Il ajoute que des programmes de relève octroient des quotas à vie gratuitement.

Dans la production de lait, Daniel Gobeil explique que l’unité de référence est le kg de gras produit par vache par jour. À l’origine, une vache produisait un kilogramme de gras par jour. Aujourd’hui, c’est davantage autour de 1,5 kg par vache. Le Québec et l’Ontario ont plafonné le prix à 24 000$ le kilogramme de gras, mais le prix est beaucoup plus élevé dans les provinces de l’Ouest. Le Québec produit 425 000 kg de matière grasse.  En valeur, c’est 10 milliards de dollars, donc entre 30 et 32 milliards pour le Canada.

Les prix des quotas sont variables d’une province à l’autre dans ces productions.

Est-ce que toutes les valeurs de quota ne viennent pas faire une fausse sécurité pour les institutions financières qui prêtent de l’argent?

« Les institutions prêtent parce que c’est un système qui est solide depuis 50 ans et ils prêtent à 50 ou 75% de la valeur », dit Benoît Fontaine. De son côté, Sylvain Lapierre explique que le prix est justifié par le fait qu’il y a beaucoup d’acheteurs pour peu de quotas à vendre.

« C’est clair que le système financier actuel prend les quotas en garantie, mais la capacité de remboursement est le nerf de la guerre pour les entreprises », ajoute de son côté Daniel Gobeil.

Quelle est la place de la relève?

« Depuis deux ans, nous sommes la seule province au Canada à avoir un système transparent et équitable pour le transfert des quotas », explique Benoît Fontaine. Les Éleveurs de volaille sont aussi en réécriture de leur programme d’aide au démarrage, qui permettra d’accueillir cinq nouveaux producteurs dans chacune des cinq régions du Québec qui recevront chacun un prêt de quotas à vie et transférable à la relève. « Sans doute le programme le plus généreux qui n’a jamais été fait », dit-il.  Il y a actuellement 622 producteurs de poulets au Québec.

Les producteurs d’œufs ont mis en place un programme d’aide au démarrage il y a une vingtaine d’année. Sylvain Lapierre raconte que le but était de renverser le déclin du nombre de ferme productrices d’œufs. Le nombre s’approchait des 100 producteurs. Depuis 2006, 22 producteurs ont démarré avec l’octroi d’un quota prêté à vie de 5000 pondeuses, puis de 6000 lorsqu’ils venaient d’aménager avec un logement enrichi. Depuis 2015, un autre programme a été une quarantaine de producteurs qui font de la vente d’œufs directe aux consommateurs, en plus d’une vingtaine qui ont démarré à partir du système de vente centralisée. « C’est dont environ 80 producteurs de plus », dit Sylvain Lapierre.

Les Producteurs de lait ont un programme d’aide à la relève depuis 2006. Ils octroient un prêt de 20 kg avec priorité d’achat à 30 kg. « Il y a 160 fermes qui ont appliqué depuis 2006 », dit Daniel Gobeil.

« Moi, j’aimerais ça savoir, dans les autres productions non contingentées le nombre de relèves qui s’établissent, questionne Benoît Fontaine. Est-ce qu’on est dans la course ou on est à la traîne? Selon, moi, on est en tête de liste pour l’établissement des nouveaux. »

Quelle est la part de l’international dans les produits sous gestion de l’offre?

« Dans le poulet, c’est 10,5% du marché qu’on offre, mais on s’en sert aussi pour balancer la consommation de viande blanche, viande brune, abats et pattes. Donc, le poulet, c’est constitué de plusieurs morceaux dont certaines sont plus en demande que d’autres », explique Benoît Fontaine. L’allocation permet de faire des échanges à l’international.

Dans les œufs d’incubation, l’allocation est de 23%. « Donc, pour les Américains, le système de contingent au niveau du poulet et de la dinde, ils l’aiment quasiment parce qu’ils ont un marché mature, payant, assuré à eux autres. » Les 10,5% du poulet vient en grande partie des États-Unis et dans les œufs d’incubation en totalité des États-Unis. Les 10,5% équivalent à 118 millions de kg par année.

Du côté des œufs, au Canada, c’est 37 millions de poules. Aux États-Unis, c’est 310 millions. La plus grande entreprise a 48 millions de poules, soit une fois et un tiers la production du Canada. « Donc, des très très grosses entreprises, très concentrées », fait remarquer Sylvain Lapierre. Et il y en a quelques-unes comme celle-ci.

Dans le lait, la règle du 10 pour un 1 est vrai là aussi. « C’est exactement ça », dit Daniel Gobeil. Le Wisconsin produit 1,5 fois la production canadienne et la Californie, 2 fois la production canadienne. « Et je vois des États très près des Grands-Lacs qui sont prêts à approvisionner le Canada », dit Daniel Gobeil.

Selon Daniel Gobeil, notre système de gestion de l’offre soulève de la jalousie parce qu’il ne requiert pas de subventions de l’état. « Donc, c’est clairement un système qu’il faut conserver dans un contexte de déficit tant fédéral que provincial », dit-il. Il ajoute qu’avec les trois derniers accords commerciaux, c’est 18% des parts qui sont données à l’international. « Je pense qu’on a assez donné », dit-il. Selon lui, nous sommes à l’heure des choix pour une autonomie alimentaire.

Pensez-vous avoir l’appui du fédéral pour la défense de la gestion de l’offre?

Sur cette question, Daniel Gobeil se dit rassuré pour l’instant, mais il rappelle que le secteur du lait a été échaudé trois fois plutôt qu’une. La loi C-202 protège la gestion de l’offre en cas d’accord commercial international, mais il reste un certain doute.

Benoît Fontaine ajoute qu’il est rassuré par le fait que ce soit le Parti Libéral qui dirige le Canada, car c’est lui qui a mis en place le système de gestion de l’offre.

Sylvain Lapierre ajoute que l’appui à la gestion de l’offre, c’est un appui à notre production locale et à des prix stables. « On ne laisse pas des étrangers déposer leurs mains sur notre garde-manger national parce qu’une fois que tu fais ça, tu ne contrôles plus ce que tu manges », ajoute Benoît Fontaine.

Du côté adaptation aux changements climatiques, que faites-vous dans vos filières?

Benoît Fontaine en a profité pour venter le bilan de la production du poulet qu’il présente comme la protéine la plus verte. La réduction de la conversion alimentaire, soit la quantité d’aliments pour produire un kilogramme, a permis de réduire la consommation d’eau et l’empreinte environnementale. L’étude du cycle de vie l’a démontré. Et le fumier de volaille est très recherché.

De leur côté, les producteurs d’œufs se sont associés à Agriclimat pour avoir un bilan de leurs fermes dans le but de se fixer des objectifs. Ils ont vu à quel point il était important de travailler sur l’efficacité alimentaire. Sylvain Lapierre a notamment venté l’utilisation de sous-produits dans l’alimentation. Ils travaillent aussi à allonger le cycle de ponte pour garder les poules plus longtemps, passant de 12 jusqu’à 15 mois.

Dans le lait, le cycle de vie du lait canadien a révélé que les producteurs au pays sont parmi les plus bas au monde. La filière s’implique aussi en recherche et dans le Laboratoire vivant – Lait carboneutre. « Pour explorer les meilleures pratiques et les intégrer partout sur les fermes », dit Daniel Gobeil. Il ajoute l’implication dans le projet de Méthane Québec qui permet d’estimer la quantité de méthane entérique par l’analyse du lait de réservoir. Il souhaite aussi réduire la paperasse pour les producteurs.

Qu’en est-il de la taille des fermes et de la concentration?

Daniel Gobeil explique que les petites et les grandes fermes ont chacune leurs avantages. Il voit notamment des petites fermes qui réussissent à avoir un équilibre 360. De leur côté, les grandes fermes ont accès à des économies d’échelle et un accès plus rapide à de la nouvelle technologie.

Au niveau de la concentration, Benoît Fontaine explique qu’elle existe partout, avec ou sans gestion de l’offre. De son côté, Sylvain Lapierre ajoute que la fédération des producteurs d’œufs a mis en place des mécanismes pour limiter l’achat des autres entreprises dans le but de limiter la concentration. L’augmentation est davantage du côté de la croissance de la consommation d’œufs.

Daniel Gobeil précise qu’il y aura toujours de la consolidation. « En 1983, on était 18 000 fermes au Québec […], à matin on est 4215 », dit-il. Mais il ajoute que toutes ces fermes sont familiales, mais de différentes tailles, de 20 à 2000 vaches. « Et on respecte tous les modèles », dit-il. La moitié des fermes ont moins de 75 vaches. Selon lui, la majorité des fermes québécoises disparaîtraient s’il n’y avait plus de gestion de l’offre.

Est-ce qu’il y aurait encore des œufs produits au Canada sans gestion de l’offre?

Benoît Fontaine explique que la gestion de l’offre permet d’avoir de la production de poulet dans dix provinces et du dindon dans huit provinces canadiennes. « On est un pays nordique. Sans gestion de l’offre, on ne produirait pas de poulet ici. Ça, c’est clair », dit-il. Il ajoute qu’il faut beaucoup de chaleur pour démarrer des poussins. Selon lui, les fermes font partie de la solution économique parce que ces fermes dépensent dans les villages et permettent de la dynamiser.

Sylvain Lapierre croit lui aussi qu’il n’y aurait pas de production d’œuf au Canada sans gestion de l’offre. Il souligne toutefois que la production américaine ne rencontre pas nos normes qui ont été mises en place ici pour satisfaire les consommateurs.

Comment on fait pour appuyer la gestion de l’offre sans abîmer les autres secteurs agricoles?

Benoît Fontaine explique que chaque pays a des produits sensibles qui sont protégés. « Et ça a toujours été reconnu à l’OMC », dit-il. Il souhaite donc la même chose pour la gestion de l’offre. « Donc, les produits sensibles, on les protège », dit-il.

Selon Sylvain Lapierre, c’est possible de protéger les deux. Selon Daniel Gobeil, tous les producteurs sont là pour nourrir le monde. « Je pense que ce n’est pas au secteur agricole de se diviser », dit-il. Toutes les filières sont interdépendantes.

À lire aussi:

« Appelez-nous, on est prêt à discuter! »

À PROPOS DE L'AUTEUR

Marie-Josée Parent

Marie-Josée Parent

Agronome et journaliste

Marie-Josée Parent couvre les productions laitière, bovine, avicole et porcine au Bulletin des agriculteurs.