Sous le couvert de neige

On fait bien des profils de sol, pourquoi ne ferait-on pas aussi des profils de neige?

Publié: 13 janvier 2022

Caractérisation du manteau neigeux. Avec une telle couche de glace, les perspectives de survie ne sont pas très bonnes.

En divers endroits, à l’aide d’une sonde, Denis Ruel et ses partenaires ont noté l’évolution relevé la température à un centimètre dans le sol.

On connaît bien le lien entre la survie d’une culture à l’hiver et certains facteurs comme la présence d’une couche de glace au sol. Ou comme des froids extrêmes combinés à une absence de neige. Ou encore un redoux prolongé, toujours en l’absence de neige. Mais il fut une époque où les choses étaient moins claires. «Au début des années 2000, se rappelle Denis Ruel, on commençait à s’intéresser aux cultures d’automne et on voulait mieux comprendre les facteurs de mortalité hivernale.»

D’où l’idée que cet agronome a eue, alors qu’il travaillait comme conseiller en grandes cultures au MAPAQ-Centre-du-Québec (il est maintenant retraité), de faire ce qu’il a appelé des profils de neige. Concrètement, son idée était de creuser dans la neige comme on le fait dans le sol quand on veut effectuer un profil, afin de caractériser la couche de neige accumulée. C’était aussi d’observer ce qui se passe au niveau de la surface du sol, dans ce qu’on pourrait appeler l’interface sol-neige. Enfin, il voulait vérifier s’il y a un lien entre ces caractéristiques et la survie d’un semis d’automne.

La description d’un profil de neige réalisé le 24 mars 2015 dans un champ de seigle donne le ton : «Couverture de neige d’environ 16 pouces comportant les couches suivantes à partir de la surface : 13-14 pouces de neige granuleuse, en transformation; à quelques endroits dans le profil, neige transformée un peu durcie; ¾ pouce de verglas; 1,5-2,0 pouces de neige granuleuse; couverture partielle de ½ pouce de glace grisâtre; sol gelé.»

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«Cette approche n’a rien de scientifique, s’empresse de dire Denis Ruel. C’est une approche empirique, c’est-à-dire fondée seulement sur l’observation.» L’agronome avait développé un vocabulaire varié pour décrire les couches de neige ou de glace : neige glacée dense, neige glacée poreuse, neige granuleuse, neige poudreuse, neige fraîche humide, neige transformée, couche de verglas, glace dense collée au sol, etc.).

«J’essayais de décrire les diverses couches de neige que l’on pouvait voir du milieu de l’hiver jusqu’en mars-avril, raconte-t-il. Évidemment, si ça aidait à mieux comprendre la mortalité, cela n’expliquait pas tout, loin de là et surtout, il n’y avait pas vraiment d’intervention possible pour éviter des dommages et la mortalité des plants.»

En parallèle, à l’aide d’une sonde, l’agronome relevait la température à environ un centimètre de profondeur dans le sol et il en tirait des graphiques reliant cette température à l’épaisseur de neige et à la température extérieure prise par une autre sonde. Il a même fait des suivis avec des sondes placées à deux profondeurs différentes pour suivre la progression du gel dans le sol.

Un des constats qui sont ressortis de cette exploration est l’effet isolant remarquable de la neige. Denis Ruel a constaté qu’une couche de neige de quelques centimètres suffit à bien protéger le sol du froid. Ses graphiques démontrent que, quelle que soit la température extérieure, la température du sol se maintient autour de zéro degré tant et aussi longtemps que la couche de neige demeure en place. Mais quand survient un redoux prolongé entraînant la fonte totale de la neige, suivi d’une vague de froid, la température du sol plonge. Un autre constat manifeste est l’effet létal de la formation d’une couche de glace au sol, dans une baissière par exemple.

L’agronome souligne qu’il subsiste de nombreuses zones grises. L’une de celles qui le turlupine particulièrement concerne les conséquences de la présence d’une épaisse couche de verglas sur quelques centimètres de neige. Les plants pourraient-ils être asphyxiés? «Je m’interroge sur les effets d’une diminution du taux d’oxygène dans le sol ainsi que sur l’accumulation possible de N2O, indique-t-il. Des recherches scientifiques ont démontré que même en plein hiver, l’activité microbienne dans le sol conduit à la production de N2O. Si une couche de glace entraîne l’accumulation de ce gaz, cela pourrait-il intoxiquer les plants ou du moins, nuire à leur survie?»

«J’ai toujours pensé que la mortalité hivernale résulte d’une combinaison de facteurs et de leur synchronicité, poursuit-il. Le réchauffement climatique entraînera des conditions changeantes, voire même extrêmes au cours des saisons. Dans l’avenir, les évènements de pluie sur la neige deviendront probablement plus fréquents, modifiant considérablement les caractéristiques physiques du manteau neigeux.»

Denis Ruel souhaite maintenant passer le relais aux chercheurs. «Dans les conditions où l’on travaillait, nous ne pouvions investiguer plus à fond, lance-t-il. Cela prendrait maintenant une approche véritablement scientifique». 

À PROPOS DE L'AUTEUR

André Piette

André Piette

Journaliste

André Piette est un journaliste indépendant spécialisé en agriculture et en agroalimentaire.