Le buzz est aux vaches!

Je reçois encore autour de 0,22$ sur chaque pain qui se détaille à plus de 4$

Publié: 29 novembre 2022

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Il y a sûrement moyen d’améliorer la distribution des marges dans cette chaîne de valeur. À condition de vouloir la redéfinir si on veut être le plus efficace possible.

La semaine dernière, j’apprenais que les dépanneurs voyaient leurs marges sur la vente de lait fondre comme neige au soleil. Ils souhaitent en tirer un peu plus de 0,16$ de marge sur chaque vente. Un peu normal quand on considère l’espace de réfrigération nécessaire et la gestion que ça demande.

Ça me fait quand même sursauter quand de mon côté, je reçois encore et toujours autour de 0,22$ sur chaque pain qui se détaille à plus de 4$. Attends une minute : 0,22$ brute sur chaque pain vendu. C’est loin d’une marge nette. Toujours surpris qu’on mentionne encore et toujours la hausse des prix de vente à la ferme quand on tente d’expliquer l’explosion du panier d’épicerie.

En fait, on finit par se demander : qui engrange des profits dans la grande chaîne de distribution? Quand on voit certains géants boiter de la patte! Certains ont pris le temps de faire le calcul d’où vient la construction d’un prix d’aliment une fois sur une tablette. On arrive au même constat qui nous mène au commentaire tellement facile : le marché est fait comme ça! Accepter ce constat explique pourquoi rien ne bouge et que les agriculteurs d’ici ne parviennent pas à répondre à certains besoins du marché d’ici.

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Je me suis permis une petite escapade à un endroit où j’espérais ne pas trop voir de champs en culture. Question de faire le plein d’énergie en oubliant le plus possible les tracas.

En fait, les signaux du marché local sont un peu contradictoires. Prenons par exemple le soya pour alimentation humaine. Le Québec s’est longtemps démarqué par sa quantité de soya non OGM à identité préservée. On s’accroche à ce marché depuis ses débuts. Au départ, on recevait des surprimes d’environ 20% du prix de la valeur du soya standard. Aujourd’hui, on ne reçoit même pas 10%.

On a modifié nos installations d’entreposage, modifié des équipements pour faciliter les nettoyages, automatiser la paperasse pour parvenir à rentabiliser le plus possible la marge qui fond. Considérant que le rendement est le même (ce que de plus en plus d’agriculteurs mettent en doute), on se retrouve avec une faible marge additionnelle, en plus d’avoir un chantier de récolte 50% moins efficace et d’avoir à répondre à une foule d’exigence.

Quand tu réalises que Gertrude est arrêtée au bout du champs en attendant la journée parfaite pour une récolte de qualité et qu’autour la majorité des agriculteurs roulent à plein régime. C’est un effort supplémentaire qui a son prix! Quand on ose en parler, on nous parle de la compétition sur les marchés. Je comprends ça! On se retrouve donc dans un cercle vicieux.

Je m’occupe d’implanter un bon système de culture favorisant la biodiversité générale de mon environnement et je compétitionne avec certains endroits qui font tout le contraire et le client m’impose ce prix. Certains nous reprochent d’avoir une certaine tendance à produire majoritairement les mêmes cultures, comme le maïs et le soya. Mais à chaque fois qu’on vise produire une autre culture, on nous propose des prix qui nous permettent « d’espérer » arriver à la rentabilité des cultures populaires.

Alors plusieurs se demandent pourquoi prendre le risque d’implanter une nouvelle culture et arriver à la même marge sur chaque hectare?  Peut-être bonifier en pensant faire de la transformation. Oui, mais ça prend du travail additionnel, une bonne organisation, en plus du défi d’atteindre une certaine rentabilité. Sans oublier qu’il fut un temps où chaque petite municipalité ou région avait sa laiterie, sa meunerie, sa petite quincaillerie, même son épicerie. Ceux-ci ont graduellement disparus face au déplacement de nos consommateurs vers les concurrents à grandes surfaces.

Bizarre que personne ne semble oser parler de ces irritants. Au final, j’ai beau travailler plus de 100 heures par semaine, planter des arbres, m’occuper de nos récoltes, de nos champs et nourrir notre biodiversité, je suis payé aux tonnes produites. Malheureusement, l’amour de la profession, ça ne fait pas les paiements. Et on semble préférer discuter du buzz des vaches en cavale que des défis qu’il faut surmonter pour réussir à bien nourrir nos gens sans que ça aille de mal en pis! Profession agriculteur.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Paul Caplette

Paul Caplette

Agriculteur et collaborateur

Paul Caplette est passionné d’agriculture. Sur la ferme qu’il gère avec son frère en Montérégie-Est, il se plaît à se mettre au défi et à expérimenter de nouvelles techniques. C’est avec enthousiasme qu’il partage ses résultats sur son blogue Profession agriculteur.