Nous y sommes. Comme chaque année, une fois la dernière tourtière du Temps des Fêtes digérée, le débat prend forme. La faveur des ensemencements ira où cette année? Le maïs? Le soya?
Selon de premiers sondages réalisés par les équipes de Farm Futures et S&P Global (Le Bulletin – 2024, une année soya ou maïs?), aux États-Unis, les producteurs américains auraient l’intention de semer 2% de plus de soya cette année, pour 2% moins de maïs.
Ceci fait effectivement beaucoup de sens essentiellement pour deux raisons.
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Pour chaque culture, il existe un moment où une simple marche dans la parcelle permet de détecter les anomalies susceptibles d’affecter le rendement et dont les symptômes peuvent s’estomper avant la récolte.
D’une part, les producteurs américains ont semé l’an dernier leurs plus importantes superficies en maïs en 10 ans. On se rappelle également que ces ensemencements représentaient un bond important de 7% de hausse par rapport à l’année précédente. Donc d’un point de vue strictement agronomique, considérant les rotations de cultures, il fait du sens que les producteurs américains aient l’intention de se tourner un peu plus vers le soya cette année.
D’autre part, bien que le marché du soya à Chicago ait encaissé une bonne dégelée depuis le début de l’année, il conserve l’avantage si on se fie au ratio soya/maïs*. Pour ce faire, je vous ai joint d’ailleurs le graphique de ce ratio qui permet de constater qu’effectivement, la balle reste dans le camp du soya si on s’en tient uniquement à la notion de ce qu’il serait en principe le plus payant de semer cette année.

À ces deux éléments, j’ajouterais que bien que le marché du soya ait connu un bon revers depuis le début de l’année en raison surtout des spéculateurs et de la météo sud-américaine plus favorable, on retient que les inventaires américains restent serrés, et la demande un peu plus vigoureuse que dans le maïs. Donc en principe, le contexte du marché du soya reste quand même un peu plus intéressant *pour l’instant* que celui du maïs.
Et qu’en est-il au Québec? Sèmerons-nous plus de soya aussi?
La situation m’apparaît quelque peu différente. D’entrée de jeu, contrairement aux Américains, l’augmentation dans les ensemencements de maïs a été beaucoup plus modérée au Québec l’an dernier. Selon Statistique Canada, on parle d’une augmentation annuelle de seulement 1% (aux États-Unis, 7%). C’est plutôt les ensemencements de soya qui ont réalisé un bon annuel de 5% au Québec pour atteindre un record historique de 405 300 ha (898 300 acres).
Donc, si on s’en tient uniquement à l’aspect agronomique et l’idée qu’il faut idéalement faire des rotations, alors la balle est un peu plus dans le camp d’une augmentation dans le maïs plutôt que dans le soya au Québec cette année.
Par contre, ce qui mêle les cartes, c’est que le début de 2024 a été particulièrement cruel pour le prix du maïs au Québec. Même si la dernière récolte a été décevante, pour faire simple, la demande ne lève pas pour l’instant.
À l’automne dernier, ceux qui ont assisté à mes conférences se rappellent que mes projections pour la prochaine année mettaient notre pire scénario pour le prix moyen du maïs au Québec à un creux autour de 230 $/tonne. Eh bien, malheureusement, c’est ce qu’il se produit présentement. Le prix moyen au Québec gravite autour de 230-240 $/tonne à la ferme (selon les régions).
En fait, le prix du maïs au Québec a perdu environ 7 à 8% de sa valeur depuis le 1er janvier dernier. Pour moi, c’est du jamais vu depuis certainement plus d’une dizaine d’années si ce n’est pas plus. En temps normal, on le sait, le prix du maïs a plutôt tendance à s’apprécier suivant la récolte.
Bref, si d’un côté l’aspect agronomique nous invite à penser qu’on devrait semer plus de maïs cette année au Québec, concrètement ce qui se passe présentement dans notre marché local nous donne plutôt à croire que ce ne sera pas nécessairement le cas.
Si on jette un coup d’œil au ratio soya/maïs avec nos prix au Québec, on constate aussi que comme à Chicago, la balle est plutôt dans le camp qu’il serait plus intéressant de semer du soya et non du maïs.

Alors, qu’est-ce que les producteurs sèmeront le plus cette année? Aux États-Unis, les sondages et une certaine clairvoyance nous donnent effectivement à croire que ce sera le soya. Au Québec, on pourrait croire agronomiquement que ce serait le maïs qui devrait l’emporter. Par contre, avec la situation que nous vivons dans notre marché local, peut-être bien que pour une 2e année, la faveur ira quand même de nouveau au soya.
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*Note à ce billet
Pour ceux qui sont moins familiers avec le ratio soya/maïs, qu’est-ce que c’est?
Le concept est assez simple. On prend le prix du soya et on le divise par le prix du maïs. Plus le ratio est élevé, plus d’un point de vue strictement « prix », il est intéressant de semer du soya. À l’opposé, plus le ratio est bas, plus il est intéressant de semer du maïs.
Dans les marchés, les analystes ont donc ainsi pris pour habitude depuis longtemps d’utiliser ce ratio comme point de départ pour se faire une idée si les producteurs vont semer plus de soya ou de maïs au printemps prochain.
Il y a, par contre, plusieurs éléments à faire attention avec ce ratio à mon avis.
En tête de liste, on retient que ce ratio n’intègre pas la notion de coût de production. Par exemple, le ratio peut être fortement en faveur de semer plus de maïs. Toutefois, si le coût de production pour le maïs est beaucoup trop élevé, en raison par exemple des prix trop chers des engrais, il n’est pas sûr qu’il se sèmera autant de maïs qu’on peut l’envisager même si le ratio indique que ce sera le cas.
Ensuite, ce ratio ne tient pas nécessairement compte non plus de l’aspect agronomique des rotations des cultures. Donc même s’il penche en faveur qu’il devrait se semer davantage de soya par exemple, si dans l’année précédente, il y a eu d’importantes superficies en soya, il n’est pas sûr que les producteurs seront tentés d’en semer de nouveau autant dans l’année suivante.
Bref, il faut quand même interpréter ce ratio avec un grain de sel. C’est un indicateur intéressant à utiliser, mais il doit l’être en le mettant en contexte avec d’autres facteurs à considérer.