Chestakovo (Russie), 1er octobre 2000 – La récolte a été bonne cette année. Les céréales emplissent les hangars. Mais l’agriculture russe reste en crise profonde et ne voit pas comment sortir de l’ornière.
A 100 km au nord-ouest de Moscou, l’exploitation agricole de Chestakovo, qui s’étend sur tout le village, emploie 320 personnes, laboure 3.600 ha de terres et compte 2.700 têtes de bétail, s’en tire plutôt bien : elle reste bénéficiaire.
À lire aussi

Le monde agricole déçu des engagements du gouvernement Legault
Les promesses agroenvironnementales et la tarification carbone ne sont pas à la hauteur des attentes de l’UPA et des Producteurs de grains du Québec. Entrevue.
« Une des rares dans la région. Beaucoup ne s’en sortent pas », commente Anna Kostina, chargée de la surveillance d’une étable de 400 vaches.
Anna Kostina estime l’entreprise collective « bien dirigée » et ne se plaint pas. Elle perçoit régulièrement un salaire mensuel de 1.500 roubles (54 dollars) et des aides en nature : 3 kg de viande gratuits par mois, du lait qu’elle peut acheter à prix réduit, du fourrage cédé pour nourrir la vache et le mouton qu’elle élève sur son petit lopin de terre, comme la moitié des travailleurs agricoles.
Un mieux s’est fait sentir dans le secteur rural après la crise financière de 1998. « La demande pour notre production s’est fortement redressée, les prix sont remontés. Et la situation s’est améliorée pour beaucoup de fermes, petites ou grandes, en 1999 », explique Vassili Chouliepov, directeur de Chestakovo.
« Mais l’effet de la dévaluation est pratiquement réduit à zéro. Les prix des principaux produits agricoles ont à nouveau baissé, alors que les prix industriels se sont envolés », ajoute-t-il, assis dans un vaste bureau où trônent pêle-mêle un drapeau russe, une icône, un tableau de Lénine et la photo d’une solide vache noire et blanche.
Cette année, le climat aidant, la récolte de céréales est satisfaisante. Pas encore terminée sur tout le territoire russe, elle dépasse déjà les 65 Mt, bien mieux que la sombre année de 1998 où elle avait été inférieure à 48 Mt.
Mais les besoins annuels du pays sont encore supérieurs. Et pour relancer l’élevage, c’est plus de 90 Mt qu’il faudrait engranger chaque année, des chiffres que l’on enregistrait encore il y a six ou sept ans.
Le cheptel russe, qui a déjà perdu plus de la moitié de ses têtes en une décennie, continue de s’appauvrir.
Bovins, ovins ou porcins, les exploitations agricoles comptent de moins en moins de bêtes (-2% sur janvier-août). Parallèlement, les productions de viande, de volailles et de lait poursuivent leur chute.
« Le lait se vend moins cher que l’eau. Et les ventes de viande en dumping en provenance de l’étranger dissuadent d’éventuels éleveurs », explique M. Chouliepov.
« C’est notre meilleure récolte depuis plusieurs années. Mais notre bénéfice annuel sera inférieur aux 9 millions de roubles (320.000 dollars) enregistré l’an passé », ajoute le directeur.
Les problèmes financiers ne cessent de s’aggraver, plombent le secteur rural, et ruinent toute possibilité de redémarrage durable, assure cet homme de 50 ans, ingénieur agronome et député de la Douma fédérale, qui estime indispensable un engagement de l’Etat, quelles que soient les formes de propriété.
Aux disparités des prix agricoles et industriels, s’ajoutent un endettement important des grandes exploitations et des crédits trop chers pour tous, un marché de distribution totalement désorganisé, et un matériel largement vieilli.
« Une moissonneuse-batteuse, russe, coûte la moitié de notre récolte annuelle de céréales. Plus de 70% du parc de machines agricoles est obsolète, mais aucune ferme ne peut le renouveler sur ses ressources propres ». La Russie n’est pas en mesure d’être un grenier à blé et de récolter plus, relève M. Chouvalov.
Autour de Chestakovo, les champs en jachère s’étendent à l’infini et des machines rouillées attendent d’improbables réparations.